Fenêtre... : Tahar Ben Jelloun ou les secrets du verbe

Jeudi 26 Août 2010

Prix Goncourt en 1987 pour son chef d’œuvre La nuit sacrée (Seuil, 1987), membre de l’Académie Goncourt, prix international de poésie «Argana» 2010, l’écrivain et poète franco-marocain Tahar Ben Jelloun est incontestablement l’un des phares fondamentaux de la Littérature Francophone. Tahar Ben Jelloun se démarque essentiellement par l’univers romanesque qu’il a coutume de créer à son lectorat. Il s’agit d’un monde puisé dans la réalité des petites gens qui meublent son musée imaginaire comme marocain et comme citoyen du monde. Il y dépeint leurs vies, leurs rêves, leurs désirs, leurs exploits et leurs échecs. Il y dépeint la mentalité d’un peuple en mouvement. Il s’agit en effet d’une plume accompagnatrice de la mémoire des marocains. Sa plume trace énergiquement le cours de leur mémoire inchoative. C’est pratiquement en fin sociopsychologue, nanti d’un regard méticuleux et d’une analyse consciencieuse, que Tahar Ben Jelloun suit l’évolution de la condition de l’être marocain. En fait, depuis Harrouda (Denoël, 1973) il entame la voie d’une écriture qui dévoile scrupuleusement et minutieusement la vie secrète des gens marginalisés. Harrouda, cette femme prostituée qui mendie pour survivre dans les ruelles de la ville de Fès, dialogue souverainement avec Ahmed/Zahra de L’enfant de sable (Seuil, 1985). C’est là un dialogue microstructurel qui favorise les intimités entre les personnages de Tahar Ben Jelloun, comme s’il s’agissait d’un puzzle structuré autour de l’idée des personnages qui nomadisent d’un roman à un autre, en vue de mettre en perspective le fonctionnement de la narration. Il s’agit, en d’autres termes, d’une technique d’emboîtement d’une histoire dans une autres afin de mettre en exergue le commencement, l’évolution et l’aboutissement de la vie d’un personnage. Tout se passe dans l’univers romanesque de Tahar Ben Jelloun comme s’il s’agissait d’écrire un roman-puzzle qui réunirait merveilleusement toute la panoplie de son imaginaire, tout en gardant intact les intrigues locales relatives à chaque roman. L’art d’écrire chez Tahar Bern Jelloun consiste à prolonger l’histoire entamée dans un roman dans un autre, à terminer la progression, à faire valoir le sens de l’inachèvement. Si les textes de Tahar Ben Jelloun sont d’une beauté et d’une magie indubitables, c’est parce qu’ils éveillent la curiosité du lecteur avide d’apprendre davantage sur les personnages qu’il a côtoyés tout au long de sa lecture. Dans la  discipline de son verbe, Tahar Ben Jelloun offre généreusement et métaphoriquement au lecteur universel les trésors occultés d’une tradition orale relative au Maroc. Du reste, son écriture se veut un hommage à ce Maroc profond, ancestral et mystérieux. Le lecteur de Tahar Ben Jelloun y pénètre équipé des clefs magiques facilitant l’ouverture de toutes les portes verrouillées de son passé lointain. Il y pénètre comme pour se regarder dans un miroir occulte, certes, mais qui témoigne d’un visage ayant eu lieu. Dans un style particulièrement fantastique et onirique propre à la tradition orale du Maroc (Jamaa Lafna), Tahar Ben Jelloun entraîne son lecteur dans les labyrinthes de sa propre mémoire. Il lui conte son propre conte et sa propre vie. Il l’initie à la vénérer ou à la dépasser. Nombreux sont les thèmes qu’aborde Tahar Ben Jelloun dans ses textes. Il est, tout compte fait, l’auteur de la mémoire des lieux et des gens de son pays. Fès ou Tanger, Zina ou Mohammed, La nuit de l’erreur (Seuil, 1997), Partir (Gallimard, 2006), Sur ma mère (Gallimard, 2008) ou Au pays (Gallimard, 2009), la dynamique de dire la réalité des êtres et des choses est la même. A travers ses textes, tout porte à croire que Tahar Ben Jelloun condamne et accuse la société patriarcale qui déconsidère l’originalité inventive de la femme marocaine. Il dénonce le poids insoutenable de cette tradition masculine qui étouffe l’épanouissement légitime de la féminité comme potentiel à libérer. En filigrane, Tahar Ben Jelloun dénonce le fanatisme religieux et toutes les formes de prosélytisme ou de racisme (Le racisme expliqué à ma fille, Seuil, 1998.) Tahar Ben Jelloun chemine comme voix littéraire solennellement marocaine. Son œuvre reste à méditer…

Atmane Bissani

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