Fenêtre... : Face aux séquelles de la mémoire


Atmane Bissani
Jeudi 1 Mars 2012

Fenêtre... : Face aux séquelles de la mémoire
La condition humaine est tellement compliquée que les facettes qui entrent dans sa structuration demeurent fort nombreuses et fort diverses. L’être est dominé par les traces de sa vie antérieure, présente et à venir que sa quiddité ne cesse de se façonner traduisant, ainsi, une éternelle aventure existentielle. L’être oublie et se souvient. L’être perd et gagne. L’être vit et meurt. Telle est sa condition d’être humain. Telle est sa condition d’être versatile. Dans « L’entretien infini », Maurice Blanchot voit que dans l’oubli comme forme de non-présence, non-absence « il y a ce qui détourne de nous et il y a ce détour qui vient de l’oubli. Rapport entre le détour de la parole et le détour de l’oubli. De là qu’une parole, même disant la chose oubliée, ne manque pas à l’oubli, parle en faveur de l’oubli. » L’oubli stipule l’arrêt de la fonction de se souvenir. Il se veut une déconcentration qui désengage la mémoire de sa fonction de garder une trace. Si se souvenir est un lien que tisse la mémoire de l’être avec son vécu, oublier est une séparation entre la mémoire de l’être et son vécu. L’oubli est un effacement volontaire de la mémoire des restes des expériences vécues. C’est une libération de la mémoire des fardeaux de la mémoire. C’est un mutisme à l’égard de certaines « choses » de la mémoire. Oublier c’est gommer les traces indésirables que dessinent les jours sur la mémoire de l’être. Oublier c’est faire un tri au sein de la mémoire. Il s’agit d’une remise en cause et en question de tout un parcours ontologique vécu par l’être en vue de se réaliser comme possibilité existentielle. Il est question ici d’une récupération de l’être via la pratique de l’oubli comme moteur de réanimation des potentialités fondatrices de l’être. L’oubli nourrit la mémoire d’une énergie salvatrice et rédemptrice capable de mobiliser son fonctionnement mécanique de telle manière à redéfinir la logique du sens de l’être comme être en devenir. L’oubli favorise, en fait, la stratégie de devenir de l’être. L’être devient car il est habilité à oublier. L’être devient car il est projet d’être. Tout se passe ici comme si le devenir  dépendait strictement de la capacité qu’à l’être d’oublier. D’où phénoménologiquement, l’oubli est une thérapie qui guérit de la tyrannie des souvenirs importuns. Oublier donc est un voyage au-delà des murailles de la mémoire qui se refuse aux cicatrices. Il s’agit de manifester la victoire d’être capable de surpasser sur la défaite d’être incapable de dépasser. Or, est-ce qu’on oublie réellement ou on fait seulement semblant d’oublier ? Somme-nous en mesure de rendre à notre mémoire sa limpidité initiale et sa virginité intacte ? Et puis, que reste-t-il de la mémoire si l’oubli total est possible ? La mémoire est un palimpseste qui n’oublie que pour se souvenir davantage. La mémoire n’efface une trace que pour s’en souvenir autrement. L’oubli n’est pas un sentiment, c’est, plutôt, une opération qui engage des sentiments tels la haine, la douleur, l’amertume, le chagrin, etc. L’être est certainement qualifier à oublier la blessure qu’aurait créée chez lui une certaine expérience, mais jamais ses échos. Les échos d’une expérience vécue sont généralement la fabrique des rêves et des restes qui pèsent si lourd sur les mécanismes biologique et psychique de l’être. L’être n’oublie pas, il « croit » oublier  du fait qu’il ne cesse de se rappeler de ses oublis. La mémoire repense et retravaille inlassablement ses « choses » et ne les abandonne que pour les classer provisoirement. La mémoire est ce cercle condamné à tourner continuellement et intelligemment autour de ses « choses », c’est dire les motifs de son existence. Elle se rappelle de tous les détails qui les constituent et ne s’en débarrasse pas pour autant. La mémoire ne tolère donc point à l’oubli de ravager ses « choses » et, ipso facto, à limiter sa dynamique de stockage. La mémoire emmagasine tout. Elle n’efface pas ; elle classe selon sa propre chronologie qui ne dépend que d’elle seule. Elle est reconstitution du passé et formulation de l’avenir. Si l’oubli condamne la mémoire d’être intolérable, la mémoire, elle, condamne l’oubli d’être fasciste. L’oubli est négation. La mémoire est réactualisation. Ceci étant dit, oublier revient à dire, sinon vivre sans Histoire, du moins vivre en dehors de l’Histoire, nonobstant, il n’y a pas d’Histoire sans mémoire. D’où la relation existant entre oubli, séparation et création. Tout oubli est séparation, et toute séparation est création. Si la séparation est l’envers de l’expérience de l’oubli que vit l’être, la création, elle, en est l’endroit. La séparation n’élimine pas la trace que laisse l’autre inculquée dans la mémoire de l’être. Elle ne diminue en rien la valeur ajoutée d’ « être avec ». La séparation retrace le cheminement des énigmes de l’expérience humaine et fonde la logique de la création comme victoire du plein sur le vide, de la plénitude de l’être sur la vacuité du néant. Le « je » de la création renaît du dépassement de « tu » de la séparation. Le « je » transcende le « tu » comme pour faire valoir un « il y a » incontestablement éternel. Entre le « je » de la création et le « tu » de la séparation, cet « il y a » demeure éternellement philosophique, poétique, transcendantal, spirituel, métaphysique et trace résistant à la logique de l’oubli…


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