Fenêtre : De la poétique de l’attente

Jeudi 29 Décembre 2011

Pour amadouer la douleur de l’attente, il faut nourrir le sens de l’espoir. L’attente a plusieurs facettes. Elle peut être personnelle comme elle peut être collective ; elle peut être économique comme elle peut être politique. L’être est condamné à attendre qu’un événement advienne dans sa vie pour l’illuminer. La société attend que des changements sérieux l’atteignent pour qu’elle se réalise historiquement. Mais l’attente peut avoir un sens plutôt philosophique qui interroge l’être dans sa relation au monde. En effet, l’attente a  toujours été considérée comme l’une des manifestations de la difficulté d’être dans le monde, donc d’habiter le monde. Existentiellement, l’attente se définit par l’absence de repères salvateurs. Il s’agit là d’une errance dont les tenants et aboutissants sont lamentablement voués aux énigmes du hasard. Attendre c’est nourrir l’espoir dans la douleur du désespoir. C’est remplir le vide que crée l’absence d’une lumière possible, par une sensibilité créatrice et audacieuse habilitée à tolérer la démesure et le dérapage psychosomatique que vit l’être en attente. Attendre c’est attendre quelque chose. Mais attendre peut aussi être n’attendre rien. L’être attend des choses de la vie, certes. Mais qu’attend-il de la mort? Le souhait vide l’épreuve d’attendre de sa logique infernale, car attendre ne répond pas fatalement à un besoin mais forcément à une expérience faite à la fois de douleur et de bonheur. D’où, j’attends donc je suis. D’où, également, je n’attends pas donc je suis. Tout se joue ici entre l’ « être » et l’  « avoir », entre la dynamique interne qui gère l’expérience d’être, c’est dire être déterminé par la « nature » d’être, et la dynamique externe qui conduit cette expérience, c’est dire être défini par la « culture » d’être. Alors que l’être naturel vit l’expérience d’attendre comme expérience limite de son enracinement dans les limbes de l’infini et du spirituel, l’être de la culture, lui, vit cette même expérience comme expérience de son enracinement dans les gouffres du fini et du temporel. Attendre peut ronger de l’intérieur comme il peut participer positivement de la fabrique de l’espoir. Toujours est-il que l’attente est à la défensive. Tout se passe ici comme si l’être se laissait développer en soi un mécanisme psychosomatique de lutte contre le vide et le marasme que stipulent l’échec et le délaissement existentiels dans son âme. L’être n’attend donc pas par courage mais plutôt par peur. C’est parce que l’être a peur de perdre qu’il attend. C’est parce qu’il a peur d’être abandonné qu’il nourrit l’espoir de ne pas l’être. C’est parce que Vladimir et Estragon ont peur de périr qu’ils passent toute leur vie durant à attendre Godot qui ne viendra jamais. La peur, la solitude et le sentiment d’infériorité alimentent l’expérience d’attendre. C’est pourquoi il n’y a pas d’attente sans angoisse comme il n’y a pas d’angoisse sans attente. Dialectiquement, « attente » et « angoisse » fonctionnent en tandem. Si, en effet, l’angoisse ontologique définit la nature d’être de l’être, l’attente, quant à elle, vise l’apaisement de cette angoisse du fait que l’attente est une animation du fonctionnement de l’organisme dans son sens biologique. Les images sont si nombreuses que les métaphores ne suffisent pas à cerner tous les types et toutes les formes d’attente. Le poète attend l’avènement d’un vers comme la mère celui d’un enfant. L’amant attend la générosité de sa maîtresse comme le paysan celle de la pluie. L’artiste peintre attend le jaillissement d’une couleur comme le mystique celui d’une illumination. L’attente cultive la patience. Elle s’inscrit dans la lignée du temps qui, parfois, traverse nonchalamment les douleurs et les angoisses des personnes qui attendent. C’est ainsi que le temps, facteur déterminant dans toute expérience d’attendre, se fait lui-même attendre et prier de fonctionner an faveur des êtres en désolation. L’attente s’apprend et apprend. Elle s’apprend, et c’est là son côté négatif, comme manière de faire face, comme méthode de lutte passive et pacifique. Elle apprend, et c’est là son côté positif, à l’être de ne plus être dans la passivité et de passer à l’action, de s’autoriser de soi-même afin de sortir du bourbier. Dans ce cadre, attendre revient à dire être dépendant, être sans volonté, être-là, dans l’inutilité. Dans l’attente rien n’est sûr mais tout est possible, tous les calculs sont faux et toutes les hypothèses sont justes. Aussi, l’« attente » finit-elle par devenir synonyme de la « vie » dès lors que toutes les deux restent absconses et pas trop certaines. Vivre c’est attendre et attendre c’est vivre. Dans l’expérience de la vie comme dans celle de l’attente, l’inconnu et l’imprévu entrent toujours en ligne de mire et fonctionnent comme lignes de fuites capables de dysfonctionner tout fonctionnement et déprogrammer toute programmation. Cependant, l’attente est à penser aussi comme poésie, comme métaphore d’un bonheur toujours possible et toujours à nourrir. Dans toutes ses facettes, l’attente n’est supportable que lorsqu’elle fonctionne comme poésie, c’est dire comme voyage interne permettant le repérage d’un « il y a » indispensable à toute expérience ontologique quelle qu’elle soit. La poétique de l’attente enrichit l’expérience poétique de la vie…

Atmane Bissani

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