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Fenêtre : Arts et Etres

Jeudi 2 Février 2012

Fenêtre : Arts et Etres
La civilisation humaine souffre. Elle est malade. Le constat est si simple à vérifier si l’on  considère les différentes crises qui assiégent les paysages politique, économique, culturel du monde actuel. Quand les arts et les lettres ne se portent pas bien, les êtres vont mal. Quand la raison recule devant la superstition, le devenir humain est en danger. Quand le philosophe cesse d’assumer son rôle de « médecin de la civilisation », comme le pense Nietzsche, la sûreté humaine se trouve être vouée aux gémonies. Ceci étant, notre propos ici n’est pas de penser la crise de la civilisation humaine qui, du reste, demeure une vérité palpable – nous y consacrerons un autre article –  mais de penser la crise de l’interculturel comme l’une des manifestations concrètes de la crise de la civilisation humaine. Cette crise, nous semble-t-il, peut avoir des rapports fort étroits avec la soi-disant pureté des pratiques artistiques. Nous poserons tout de go que, d’un côté, la séparation des arts signifie la séparation des êtres, et, de l’autre, la réunion des arts signifie la réunion des êtres. Dans son ouvrage théorique « L’impureté » (Grasset, 1985), Guy Scarpetta définit celle-ci comme étant « une sorte de confrontation, de décloisonnement, de contamination des arts les uns par les autres. » Il s’agit en effet de créer un texte hybride et composite qui ne triomphe à aucun genre en particulier. L’impureté demeure à plus forte raison le contraire de tout idéologie générique, elle est le contraire de la pureté en ceci qu’elle définit le brassage des genres en vue de mettre en crise leur unicité et/ou particularité. Dans cette perspective Guy Scarpetta voit que la littérature aujourd’hui a tendance à fabriquer un genre « bâtard », c’est dire un genre fondé essentiellement sur l’enchevêtrement des arts, un genre qui traverse l’opposition des genres pour atteindre « un dispositif, impur bâtard, où d’autres arts peuvent se profiler. » L’impureté  travaille sur les échos, sur les traces que recèle la mémoire des textes. Un texte, suivant cette logique, ne peut signifier que dans sa relation avec d’autres textes. De la narration à la méditation, de l’autobiographique au philosophique, l’impureté semble ourdir une toile d’araignée rassemblant plusieurs voix et plusieurs expériences de la pratique artistique humaine. L’impureté est née en fait dans un contexte particulier, un contexte ontologiquement tragique : la perte existentielle de l’être.  L’impureté effectivement tente de répondre à cette instabilité psychique et existentielle que vit l’être dans un monde sans père ni repères. L’impureté ouvre davantage le champ de réflexion pour poser d’autres questions on ne peut plus délicates : Qu’est-ce que l’identité ? Qu’est-ce que l’altérité ? Si dans le contexte de l’impureté le texte ne peut se définir qu’à partir de sa relation avec d’autres textes, d’autres genres et d’autres souffles, il en est de même pour l’être humain qui, pour exister, il a besoin d’être « avec », d’être pensé parallèlement avec autrui. L’impureté traduit non seulement l’errance des textes, mais aussi et surtout l’errance des êtres. En quête de rencontres salvatrices, l’être/texte erre loin d’une identité spécifique, loin d’un genre particulier. Il entre en communication avec d’autres identités/genres afin de s’enrichir de leurs couleurs, leurs timbres, leurs secrets, leurs douleurs, leurs joies, leurs échecs et leurs ambitions. L’être/texte teste l’expérience du vivre ensemble et tolère, tout en la dissolvant, la différence au sein du vraisemblablement identique. L’errance de l’être/texte laisse entendre que texte et être sont fondamentalement intertextuels. Ils fondent leur existence sur le rapport à l’autre, sur la coexistence, sur l’écho et sur l’interstitiel. S’il est, en effet, évident que l’intertextualité définit le dialogue, l’échange et la transformation que connaissent les textes dans leur côtoiement permanent, il n’en demeure pas moins manifeste qu’elle définit également l’état composite de l’être en tant qu’entité complexe, composite et hétérogène. Tout comme le texte, l’être a besoin d’errer. Seule la  pérégrination existentielle leur permet de vivre le bonheur de l’instabilité. Texte et être sont en devenir, l’impureté nourrit leur errance. Elle les protége des retombées du croupissement et leur apprend les bienfaits du déplacement. Ceci dit, l’impureté constitue une esthétique s’inscrivant dans un cadre postmoderne retraçant un cheminement autre quant à la pensée humaine. Nombreuses sont les voix littéraires qui se réclament de l’impureté comme esthétique, théorie et pratique. Citons à titre d’exemple Milan Kundera (L’insoutenable légèreté de l’être), Robert Musil (L’homme sans qualités), Hermann Broch (Les somnambules). La leçon qu’enseigne l’impureté à l’homme des temps modernes, si leçon il y a,  s’avère être, au niveau de  la créativité, la possibilité d’explorer d’autres horizons relatifs à la pratique artistique humaine ; et au niveau de l’identité, opter pour l’altérité, le droit à la différence, en tant que remède incontournable contre les maux de ladite pureté raciale et identitaire. Le cloisonnement des genres littéraires tue le texte. Le repli identitaire tue l’être. L’impureté, brassage des arts, rejoint l’altérité, brassage des identités, dans l’essentiel : l’Universel. S’il en est ainsi, l’esthétique de l’impureté rejoint la pensée de l’altérité en vue de créer un lieu de rencontre entre les arts et les êtres. La rencontre des arts implique immédiatement celle des êtres et donc celle des cultures…

Atmane Bissani

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