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Face au coronavirus, les herboristes de Tunis font le plein

Lundi 16 Mars 2020

Face au coronavirus, les herboristes de Tunis font le plein
Thym, gingembre frais, feuilles de sauge: sur les étals du souk aux plantes médicinales de Tunis, Baya s'approvisionne et se renseigne auprès d'un herboriste sur les recettes traditionnelles pour se prémunir du nouveau coronavirus, contre lequel aucun remède n'est connu.
"J'ai peur pour mon père qui est âgé et malade, donc je suis venue ici pour chercher des plantes qui renforcent son immunité", explique cette fonctionnaire de 43 ans à l'AFP.
S'il n'y a eu que 18 cas officiellement répertoriés depuis le 2 mars, et aucun décès à ce jour, les autorités ont pris des mesures fortes, et les chalands sont moins nombreux à se presser dans les ruelles dallées de la médina.
Mais les Tunisiens continuent à venir au Souk el Blat, le quartier des herboristes en plein cœur de la vieille ville, reconnaissable à ses effluves aromatiques et ses échoppes où s'alignent fioles, poudres et fagots de plantes diverses accrochés en hauteur.
Les plantes médicinales locales et importées sont d'ordinaire prisées pour se prémunir notamment de la grippe hivernale, dont les symptômes sont similaires à ceux du nouveau coronavirus, une pneumonie virale qui a fait plus de 5.000 morts dans le monde.
Outre une ruée vers l'ail, dont le prix a flambé et atteint parfois 25 dinars (8 euros) le kilo, la plupart des clients cherchent des plantes et mixtures "efficaces" mais aussi "pas chères".
"Je peux comprendre que la population revienne à la tradition", confie le pharmacologue Hédi Oueslati, directeur général de la Santé en Tunisie.
Il rappelle cependant: "actuellement, il y a ni médicaments ni plantes miraculeux contre le nouveau coronavirus".
"Quand il s'agit de petites recettes de grand-mère pas dangereuses qui ne posent pas de problèmes, d'accord!", estime M. Oueslati. Mais "il faut faire attention et ne pas tomber dans le charlatanisme."
Des personnes profitent de l'anxiété généralisée "pour vendre des prétendues mixtures dont on ne connait même pas la composition", prévient-il. "Qu'est-ce que je prends pour ce corona?", lance à un marchand Hanen Oueslati, une cliente sans lien familial avec M. Oueslati. Devant un étal de romarin et d'origan frais, cette femme de 38 ans raconte: "je veux des plantes qui stérilisent la maison, et d'autres qu'on peut utiliser en infusions à boire."
"Le but est de nous protéger, ni plus ni moins, surtout qu'il n'y a pas de médicaments contre ce virus", assure-t-elle.
Pour l'herboriste Fethi Ben Moussa, 61 ans, "les Tunisiens aiment tout ce qui est traditionnel et naturel: ils font confiance, surtout en ces moments de panique, aux recettes de nos ancêtres!"
"Les gens demandent des choses à préparer à la maison comme le thym, le gingembre, le moringa qui sont très bien pour l'immunité et pour combattre les virus", affirme-t-il.
L'herboriste conseille aussi à ses clients de parfumer leurs maisons avec les graines du peganum Harmala, plante vivace qui aurait des vertus désinfectantes -- à l'en croire, même contre le nouveau coronavirus, bien que ce ne soit pas prouvé.
Dans sa boutique sombre comme une grotte, où s'entassent des plantes mystérieuses, Haj Mohamed, lui, propose des mixtures "100% efficaces contre les virus", à base de gingembre, de miel de jujubier et de curcuma.
Pour cet herboriste de père en fils, ce sont "des ingrédients magiques combattant toute sorte de grippe", promet-t-il, fier de sa production.
Mais "tout ce qui est naturel n'est pas anodin!", avertit le docteur Chokri Hamouda, directeur général des Soins de santé en Tunisie soulignant "un problème de respect des principes de l'hygiène dans les souks traditionnels et dans le pays en général".
"Nous ne prétendons pas remplacer les médecins ni guérir les gens, mais nous sommes de bons connaisseurs des secrets des plantes", juge pour sa part l'herboriste M. Ben Moussa. "Nous aidons nos clients à apprendre le bon usage des merveilles de la nature."

Quelles empreintes laissent les grandes épidémies sur les sociétés ?

Pays à l'arrêt, frontières bloquées, économies au ralenti, écoles fermées: en quelques semaines, le coronavirus a imprimé sa marque sur presque toute chose.
Quelles empreintes les grandes épidémies passées comme la grippe espagnole de 1918 ou la peste noire du XIVe siècle ont-elles laissées sur les sociétés?
L'Europe à la fin du Moyen-âge ou au sortir de la Première Guerre mondiale n'a pas grand-chose à voir avec la société d'aujourd'hui, hyper-connectée et mondialisée. "Mais une épidémie est toujours un moment de test pour une société et une époque", estime l'historien des sciences Laurent-Henri Vignaud, de l'Université de Bourgogne.
"Elle met en danger le lien social, déclenche une forme larvée de guerre civile où chacun se méfie de son voisin", souligne-t-il.
"Au stade où nous en sommes, cela donne ces scènes grotesques où des clients de supermarché se battent pour le dernier paquet de papier toilette... Plus tragiquement en Italie, des médecins doivent choisir de sauver un patient plutôt qu'un autre faute de matériel, comme en situation de guerre", selon M. Vignaud.
Instauration de quarantaines, invention de méthodes de désinfection : les grandes épidémies ont tout d'abord marqué "notre système sanitaire", explique l'historien et démographe Patrice Bourdelais, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
La grippe dite "espagnole" à la fin de la Première Guerre mondiale a eu "un effet structurant sur l'histoire de la santé", souligne le géographe Freddy Vinet, de l'Université Paul Valéry de Montpellier.
Cette grande pandémie moderne avec ses 50 millions de morts a fait prendre conscience de la nécessité d'une gestion mondiale du risque infectieux et fait émerger une génération de jeunes médecins spécialistes des virus.
Autre type d'impact: "Sur le plan des comportements, s'est créée une distance minimale à l'autre qui est supérieure dans nos sociétés occidentales à ce qu'elle est dans d'autres", indique M. Bourdelais. Les épidémies conduisent aussi à la désignation de boucs émissaires, selon cet historien. "Nous avons vécu un petit épisode de xénophobie contre les Chinois au début de la présente épidémie", rappelle-t-il.
Durant la grande épidémie de peste qui ravage l'Europe médiévale entre 1347 et 1351, les populations juives sont la cible d'attaques exacerbées, parfois de massacres comme en 1349 à Strasbourg, où près de 1.000 Juifs sont brûlés.
Les grands épisodes de peste induisent aussi des "réactions de type épicurien" de fuite en avant, de dépenses sans compter: "Les gens choisissaient le cabaret ou la taverne et vivaient chaque jour comme s'il devait être le dernier", rapportent les historiens britanniques William Naphy et Andrew Spicer dans l'ouvrage "La Peste noire, 1345-1730".
D'autres au contraire choisissent de se retirer du monde, comme le rapporte l'écrivain italien Boccace (1313-1375), qui dans le Décaméron raconte la réclusion volontaire de dix Florentins hors de la ville pour échapper à la peste.
"Une épidémie, c'est une coproduction entre nature et sociétés, entre microbes et humains. Un germe ne devient dangereux que dans certaines circonstances", souligne Laurent-Henri Vignaud.
Ainsi la peste noire ravage à la fin du XIVe siècle une "Europe en pleine forme où les échanges commerciaux sont intenses, les villes populeuses, les campagnes exploitées jusqu'à saturation", dit-il.
La peste profite de cette prospérité, y met fin et sonne l'arrêt du système de servage qui fondait la société médiévale, explique M. Vignaud.
En 1918, la pandémie grippale a des conséquences économiques "finalement assez faibles au regard des effets de la guerre en Europe", note Freddy Vinet. Une exception car en règle générale, les épidémies ont des effets économiques importants, "interrompant les échanges" et "réorientant le commerce vers d'autres voies", selon M. Bourdelais.
A l'époque médiévale, il est probable que la répétition des épidémies de peste sur le bassin méditerranéen ait profité au développement des villes du nord de l'Europe, souligne-t-il.
Aujourd'hui, des crises sanitaires à répétition en Chine, centre manufacturier de la planète, pourraient inciter à diversifier les sites de production et d'approvisionnement, ajoute-t-il.

 


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