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Entretien avec le grand griot Mory Kanté: “Le sous-développement coûte plus cher que le développement”


PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN BOUITHY
Lundi 13 Juillet 2009

Entretien avec le grand griot Mory Kanté: “Le sous-développement coûte plus cher que le développement”
Dans cet entretien-confession, le griot de Kissidougou, Mory Kanté, revient sur sa prestation à Casablanca, évoque son étonnant parcours et nous livre avec enthousiasme ses impressions sur des sujets actuels, touchant aussi bien aux questions universelles qu’à l’immigration et au sous-développement. Rencontre.

Libé : Votre chanson « Yéké Yéké » a dernièrement électrisé le public marocain lors de votre prestation à Casablanca. Comment expliquez-vous un tel succès, 22 ans après sa sortie ?

Mory Kanté : Il faut savoir créer de l’enthousiasme dans la musique. Que vous jouez à la kora, au balafon ou à tout autre instrument, vous devez créer quelque chose que les gens n’oublieront pas de sitôt. Dès lors que votre travail est bon, on ne l’oublie pas.
La caractéristique, la mélodie, l’harmonie et la façon de jouer rentrent naturellement en ligne de compte. C’est notamment le cas de cette chanson dont les paroles ont été écrites en mandingue guinéen, mais en mandingue facile, de telle sorte que tout le monde peut la comprendre sinon la fredonner.

Le public a beaucoup apprécié votre show : il a dansé et repris en chœur certains morceaux de votre répertoire. Avez-vous ressenti cette belle ambiance ?

Bien sûr, j’ai senti cet enthousiasme, ce désir et cette envie de s’amuser et de partager le feeling. « Yéké Yéké » veut aussi dire feeling. Je suis très enchanté d’avoir passé de si bons moments avec le public casablancais.

Quel bilan faites-vous de votre si longue et riche carrière?

Le bilan est positif. D’autant plus que dans ma carrière, outre la chanson « Yéké Yéké », j’ai été disque d’or dans d’autres opus, tel que l’album « Touma ». J’ai aussi été numéro un mondial en musique et mon dernier disque fut classé par Amazon.com comme le meilleur album de la musique internationale au monde. Je l’ai eu une fois dans ma carrière, pour moi c’est comme si j’avais gagné une Coupe du Monde (rire).
Vous avez reçu de nombreuses récompenses et joué dans de prestigieuses scènes. On a envie de vous demander si vous avez encore un rêve.
J’ai enfin réalisé un rêve auquel je tenais et pour lequel j’ai fait la promotion pendant près de dix ans. Il s’agit d’un complexe implanté à Nongo village, en Guinée Conakry. Cette cité marche déjà. Elle comprend une salle de spectacles de 1500 places, deux studios d’enregistrement de 48 et 24 pistes, un hôtel, des restaurants, un bar et un night-club.
C’est une véritable cité artistique aussi grande qu’un mini-quartier qui peut accueillir tous les musiciens du monde entier : Japonais, Américains, Européens et Africains pourront s’y retrouver et échanger leurs expériences. Mais aussi, communiquer avec la musique africaine et ses instruments traditionnels.

Vous faites partie des rares musiciens qui ont su mêler les sonorités africaines à la musique internationale, à une époque où une telle démarche n’était pas toujours bien perçue. Pensez-vous que les musiques africaines qui n’ont pu gagner en notoriété paient le prix de leur renfermement?

Je crois qu’il y a un problème de lobbying alimenté par la crise mondiale. Mais cette dernière ne veut pas dire la fin du monde. Au départ de la vie de l’humanité, il n’y avait que deux personnes, Adam et Eve, aujourd’hui nous sommes des milliards.
Je crois que ce qui a été la survie et l’essentiel de la vie de l’individu et d’une entité humaine, c’est la liberté sans laquelle rien ne marche. La musique, elle, est libre, elle ressemble à notre deuxième partie. L’homme est composé de quatre éléments : l’âme, le corps spirituel, le corps physique et la nature. Donc, je pense que nous sommes animés de ces quatre éléments.

Quels souvenirs gardez-vous du groupe « Rail Band» de Bamako dont vous êtes l’ancien sociétaire aux côtés d’autres artistes de renom comme Salif Keita ?

Nous étions jeunes et avions cette insouciance de ne pas penser à l’argent. Seules comptaient la perfection, la persévérance et la réussite. A notre époque, nous souhaitions qu’on nous qualifie de forts. Ce qui est sûr avec le Rail Band, c’est qu’on a formé de nombreux artistes qui ont bien réussi leur carrière tels que Salif Keita, Tchektigane Chek. C’était la belle époque.

Vous avez reçu un enseignement traditionnel auprès de votre grand-père, puis de votre père décédé à 109 ans avant celui de l’école française. Pensez-vous que ces trois enseignements aient pu contribuer à façonner l’homme que vous êtes devenu? Ou auriez-vous pu être influencé par d’autres enseignements?

Je considère toute l’humanité comme une seule personne. En tant que maître conférencier dans plusieurs universités du monde, je me suis souvent intéressé à la culture et son industrialisation ainsi qu’à la philosophie qui régit l’entreprise culturelle. Et à chaque fois, j’ai pu apprécier comment tout cela a une base qui est la vérité, l’identité. Ceci pour dire que si la liberté d’une personne peut aller de un à cent, celle de l’humanité va de cent à l’infini. Et dans cette liberté, il y a ce qu’on appelle la vérité qui ne peut se sentir que s’il y a une réaction qui peut être la musique, la force spirituelle...
Il y a 25 ans, vous vous êtes rendu en France dans l’espoir de vous perfectionner et de trouver une place au soleil, un parcours presque identique à celui que bon nombre de jeunes africains font aujourd’hui. Que pensez-vous de la politique de l’Union Européenne en matière d’immigration?
Aujourd’hui, c’est une certitude que le monde développé payera le prix de son indifférence à l’égard du sous-développement. Mais, j’espère qu’il n’est pas trop tard pour que les Occidentaux prennent la mesure du drame que vivent les pays sous-développés.
Nous sommes tous identiques d’autant plus que nous appartenons tous à une même espèce. Quand bien même notre morphologie et nos races sont différentes, si on me dépouille de ma peau, je peux donner mon cœur à un Blanc.
C’est un problème lié au développement et à l’environnement. Et je crois qu’il y a quelque chose à savoir en Afrique.
Hormis la kora auquel vous portez un grand intérêt, quel est l’instrument de musique parmi ceux que l’on a pu apprécier lors de vos concerts qui a votre préférence ?
J’apprécie tout. Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter mon disque «Tabou» dans lequel vous retrouverez plusieurs sonorités issues justement de tous ces instruments.

Des projets en vue ?

Outre l’inauguration officielle de la cité artistique qui ne saurait tarder, un nouvel album -dont certains morceaux ont été joués au spectacle de Casablanca- est en cours de réalisation.
Au jour d’aujourd’hui, j’ai trois groupes en Europe : un premier groupe traditionnel acoustique, un autre électrique et un Big Band en Scandinavie que je développe. J’ai aussi une symphonie de 135 musiciens qui sont en fait des instrumentalistes qui font des chœurs. C’est en réalité un grand opéra traditionnel qu’on développe.


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