Entretien avec Aâssou Aâkka, secrétaire provincial du Syndicat national de l'éducation (FDT) à Tiznit : “Le Plan d'urgence n'a pas fait objet de concertations”


ENTRETIEN REALISE PAR IDRISS OUCHAGOUR.
Mardi 13 Octobre 2009

Entretien avec Aâssou Aâkka, secrétaire provincial du Syndicat national de l'éducation (FDT) à Tiznit :  “Le Plan d'urgence n'a pas fait objet de concertations”
Libé: Est-ce que votre syndicat approuve la philosophie et l'approche que le Plan d'urgence prône pour sortir de l'ornière notre système éducatif ?

Aâssou Aâkka : Pas du tout. Au niveau de notre syndicat, nous sommes convaincus que le Plan d'urgence en question ne fera que retarder, encore plus, le lancement de la vraie  réforme  de notre système de l'enseignement. Toutefois, nous reconnaissons que ce plan est le  premier du genre  à se démarquer par rapport aux autres tentatives de réforme passées, par la dimension du budget alloué. D'immenses moyens financiers sont en effet mobilisés par ce programme afin de venir à bout des obstacles qui entravent l'avancée de l'enseignement. Mais, malheureusement, nous considérons qu'il ne faut pas s'attendre au miracle !

Pourquoi craignez-vous que ce plan échoue?

En premier lieu, parce que  l'élaboration du projet  a  encore péché par  l'attitude d’auto- suffisance et d'exclusion de la part de son  initiateur à l'encontre des partenaires sociaux de l'école. Pourtant, à scruter les dispositions et recommandations du   plan, il s'avère que le corps enseignant est tenu d’être l'un des maillons forts et le principal acteur dans la réussite de l'application de cette réforme .C'est  donc à l'aune de l'engagement et d'adhésion des enseignants au projet qu'on peut évaluer les chances de son succès sur le terrain. Malheureusement, aujourd'hui, cette attitude du ministère du tutelle a engendré au contraire une grande démobilisation dans les rangs de ceux-ci vis-à-vis d'un  projet qui est, comme je viens de dire, catapulté d'en haut, non concerté, et  donc à vision unilatérale.
En deuxième lieu, en raison d'une gestion dénotant encore de  dysfonctionnements d'antan (demi-mesures, improvisation…) à l'origine de l'échec des tentatives antérieures de la réforme du système. Cela est  perceptible déjà au niveau de plusieurs volets du plan. Nous pouvons citer, à titre indicatif, le programme Tissir lancé depuis l'an dernier. Ce projet visant à maintenir les apprenants démunis à l'école,  a déjà suscité beaucoup de remous et protestations auprès des parents d'élèves bénéficiaires à cause des cafouillis subis par l'opération   de la part de  l'administration provinciale chargée de son exécution.
Pourtant la délégation provinciale de l'Education se targue d'un programme qu'elle juge efficient quant à la lutte contre la déperdition scolaire, notamment au niveau des bourses, des cantines et transport scolaire, d'aides  financières aux parents d'élèves pauvres pour   lutter contre l'absentéisme, etc.
Concernant  le transport scolaire, les chiffres avancés cachent l'ampleur du phénomène de l'abandon à cause de l'éloignement des structures scolaires des lieux de  résidence des élèves. Il faut se demander combien d'élèves sont privés de ce service pour s'apercevoir du nombre insignifiant qui en bénéficie. Les bus mis à contribution en la matière ne dépassent pas quelques véhicules qu'on peut compter sur le bout des doigts. Il n'y a donc pas de quoi pavoiser ! Idem pour les bourses. La demande est très loin de l'offre. On prétend étendre l'assiette des bénéficiaires, mais cela n'a pas grand effet sur la rétention des élèves à l'école  puisque les abandons se comptent encore par centaines, notamment dans le milieu rural où la pauvreté sévit et agit comme cause de l'arrêt de scolarité des apprenants. Quant aux cantines, outre leur insuffisance, on remarque la persistance des mêmes difficultés . D'abord, ce service n'est dispensé que tardivement au milieu de l’année scolaire, notamment dans certaines régions rurales où  justement ce service est primordial.
En plus, le règlement des rémunérations  relatives  au personnel recruté pour les cuisines accuse des retards  qui peuvent durer un an.  D'autre part, les rétributions octroyées à ces cuisiniers notamment des milieux ruraux montagneux lointains (Tafraout, Aflla Ighir…) sont chichement dérisoires, à tel point qu'elles ne peuvent couvrir les dépenses liées au transport pour pouvoir les percevoir à la délégation. Cela a poussé nombre d'entre eux à ne plus se réengager. Et à de nombreuses cantines de cesser ainsi leurs services  faute de cuisiniers. Pour le programme Tissir, celui-ci pâtit des mêmes problèmes dus encore  à la mauvaise gestion.  Des aides décidées l'année dernière, ne sont toujours pas octroyées aux parents d'élèves bénéficiaires  dans certaines régions de la province. Ceux-ci ont protesté en brandissant la menace de retirer leurs progénitures de l'école !Est-ce ainsi que nous allons lutter contre l'abandon scolaire? L'instituteur qui constitue l'acteur central dans la réussite de cette opération, puisque c'est à lui qu’incombe le travail de suivi de la présence des élèves devant bénéficier du soutien pécuniaire,  le programme d'urgence a-t-il pensé à le motiver pour accomplir correctement ce travail ? Pas du tout ! Au contraire, il se voit ainsi contraint à une corvée supplémentaire à son travail normal, car  il est  tenu, en plus,  de  veiller au contrôle des absences de cette catégorie  d'élèves. Une opération   soumise  à  une série de dispositions  et formalités particulières. Mais  sans contrepartie. Et en l'absence même d'une  formation suffisante pour ce faire. Ainsi lors de l’année scolaire précédente, ce n'est que vers le milieu de l’année qu'une  formation expéditive leur a été donnée. Ce qui a donné lieu à beaucoup d'improvisations dans la gestion de cette opération et s'en est suivi surtout un manque  flagrant de  contrôle rigoureux et régulier des absences  par les enseignants  qui en sont chargés, étant démotivés par un projet imposé et auquel ils n'adhèrent pas. Bref, il faut reconnaître qu'avec des méthodes pareilles, on ne  doit pas s'attendre à pouvoir faire la “révolution” que les initiateurs du programme d'urgence laissent miroiter.

Qu’en est-il des ressources humaines?

La situation   au niveau de la délégation de Tiznit affiche des déficits inquiétants  d'enseignants disponibles. Le redéploiement de l'effectif devient ainsi un sacré problème. Car elle se retrouve à chaque opération  entre l'enclume de cette problématique et le marteau des pressions dont certains  syndicats influents  usent  pour  placer leurs adhérents à des postes douillets dans les périmètres urbains, et ce même au détriment de l'intérêt des élèves des zones rurales, qui se voient  du coup  abandonnés dans des classes sans enseignant!
On doit savoir que la région de Tiznit s'avère être désormais un lieu de transit pour des enseignants. Beaucoup d'entre eux  passent par cette région avant de se faire muter vers les destinations choisies. D'où le fait que ces ressources  humaines quittent  massivement la région à travers des mouvements de mutations nationales et régionales  plus qu'elle n’en reçoit. Pour ainsi créer ce déficit récurrent. Je pense que c'est là l'origine du problème. Mais à dire que des syndicats usent de ce comportement que vous avez évoqué, nous considérons que c’est exagéré. L'opération de redéploiement, prend en considération certains cas sociaux, comme  par exemple les enseignants souffrant de maladies chroniques pour les rapprocher lors de leur affectation des lieux de soins dans ou près des villes, ainsi que  les institutrices mariées qui doivent travailler près de leurs conjoints. Mais à part ces cas, je ne pense pas que les syndicats transgressent les dispositions gérant l'opération.

Le Plan d'urgence, pour pallier ce problème, a opté pour le recrutement parmi les docteurs chômeurs. Que pensez-vous du niveau de la formation éclair  qui leur est « ingurgitée »?

De notre côté, nous saluons quand même cette mesure qui va certainement soulager les rangs de nos chômeurs diplômés. Nous avons déjà vécu cette expérience; nous estimons même que le rendement de ces recrutés  à l'école est meilleur et nous considérons que cela ne pose pas problème. Certes, une formation pédagogique est nécessaire et le ministère en est conscient.  Il a pris toutes les dispositions qui s'imposent à cet effet. Cependant, je veux à l'occasion remettre sur le tapis un problème que tout le personnel de l'académie de SMD vit actuellement au niveau de la formation continue. Cette opération est centralisée à Agadir pour toute la région de Souss-Massa-Draâ. Par ailleurs, de grandes enveloppes  sont allouées dans le budget de l'Académie régionale pour l'aménagement de l'enceinte du collège Zerktouni, qui abrite les locaux où sont dispensées les formations continues au personnel de l'enseignement, des structures d'accueil et de restauration. Mais à notre grande surprise, il s'est avéré que ce service n'est pas dispensé à tous. Dernièrement, des enseignants de Ouarzazate et Zagora, ont été invités à Agadir pour recevoir une formation dans le cadre du programme Tissir. Ceux-ci ont dû payer eux-mêmes les frais de nourriture et de logement à  l'hôtel pendant leur séjour. On se demande alors qui s'est emparé des services de ces locaux. Nous avons beau signaler cela aux responsables, même au directeur de l'académie ; mais on a compris qu'il n'en a cure ! Nous demandons à ce que ces formations soient faites au niveau des délégations  qui doivent être dotées de centres d'accueil ouverts à tout le personnel de l'enseignement sans discrimination aucune.

Quel regard portez-vous sur l’enseignement privé à Tiznit compte tenu de la réforme actuelle que connaît l'enseignement  public ?

Le secteur de l'enseignement privé dans la région de Tiznit se renforce chaque année par l'ouverture des écoles au centre-ville et dans les nouveaux quartiers. On assiste à un véritable phénomène qui touche désormais certains espaces ruraux. Mais ce qui est regrettable, c’est que ce secteur exploite dans la région des  bacheliers et licenciés, recrutés pour devenir des « enseignants », qui sont souvent contraints de percevoir un salaire dérisoire de 600 à 1000DH  par mois. Ceci au moment où certains professeurs et instituteurs des écoles publiques dispensent des cours pour arrondir leur fin de mois  au détriment de leurs classes qu'ils n'hésitent d’ailleurs pas à déserter. C'est dire que l’esprit mercantile continue toujours à animer certains promoteurs de ce secteur, loin des soucis pédagogiques et déontologiques requis. Le secteur a besoin d'un assainissement dans ce sens.



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