De violents combats de rues se poursuivent à quelques mètres de là, dans le méandre des ruelles sablonneuses et du pâté de maison voisin. Epuisés, les hommes du CNT sont la cible des tireurs dès qu’ils s’exposent à découvert ou dans un axe en enfilade. Une muraille de sable, un bus calciné, la carcasse d’une voiture retournée bloquent le passage de leurs 4X4. Dégoulinant de sueur, les combattants en armes doivent se faufiler tête baissée dans un labyrinthe de villas rectangulaires, au hasard d’une porte de garage défoncée ou d’un mur écroulé. Une odeur de charogne empeste devant l’une des habitations saccagées.
Les cadavres des loyalistes jonchent, paraît-il, les maisons grêlées par la mitraille. Pas le temps de vérifier. Les chargeurs sont vidés en rafale au travers d’une fenêtre. Plus posé, un anti-Kadhafi attend derrière la lunette de son fusil de précision Dragonov la bonne occasion pour appuyer sur la gâchette. Dans un fracas assourdissant, un autre ouvre le feu au lance-roquette anti-char sur une façade à 100 mètres de là. Manqué. Les balles des pro-Kadhafi continuent de siffler dans tous les sens. On distribue des grenades parmi les pro-CNT pour lancer l’assaut du poste de tir. Les combattants affirment avoir évacué vers l’arrière 17 familles prisonnières des combats. Le drapeau vert de l’ancien régime flotte encore sur de nombreux toits. Sur l’avenue «libérée» et jonchée de douilles, des combattants se reposent à couvert, adossés à un muret, ou grignotent à la va-vite des fruits distribués par le ravitaillement venu de l’arrière. Un imam sorti de nulle part et tout parfumé donne des leçons de morale: «Il ne faut pas piller». Mais aussi: «Quand vous voyez l’ennemi, il faut crier +Allah Akbar+», une consigne déjà respectée à la lettre depuis longtemps. Indifférent à ces sermons, le commandant du secteur, Naji Mismari, cherche à «neutraliser un sniper». Allongé avec une poignée d’hommes derrière un tas de sable sur le trottoir, il tient une position adverse dans la ligne de mire de son fusil d’assaut FN, lâchant régulièrement un coup de feu. Une roquette anti-char vient exploser dans le sable juste sous son nez, projetant en l’air un nuage de poussière. L’explosion résonne dans les tympans, mais personne n’est blessé. «Nous contrôlons toute la route du nord au sud. C’est une victoire importante, car elle relie le sud de Syrte au coeur de la ville», explique le commandant Mismari, le visage encore jauni par la poussière.
«Nous avançons lentement pour rester en ligne et éviter ainsi les tirs de rocade» qui marque à l’est la limite du centre-ville, longe au nord le front de mer et se prolonge jusqu’à l’ouest de Syrte. Au sud-est, elle mène au principal rond-point d’entrée de la ville, en passant par le Centre de conférence de Ouagadougou et l’université, deux des principaux points de résistance des pro-Kadhafi.