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En Irak, les accusations de “terrorisme ” cachent parfois de vieux conflits


Libé
Vendredi 8 Janvier 2021

S ous une tente d'un camp du nord de l'Irak, Nour se languit de sa maison de Mossoul où elle ne peut revenir car les autorités locales l'accusent de liens avec les jihadistes. Un prétexte, assure-t-elle, pour couvrir un vieux conflit foncier. Des ONG de défense des droits humains craignent que des centaines de familles de déplacés, comme celle de Nour, soient laissées pour compte en raison de différends de longue date ou d'efforts pour leur extorquer de l'argent, sous le label de lutte antiterroriste. En 2007, bien avant que le groupe Etat islamique (EI) ne s'empare d'un tiers de l'Irak, un litige opposait la famille de Nour et un cheikh influent dans leur ville natale. Le dignitaire accusait le père de Nour d'être à l'origine d'un attentat. En fait, "il nous en voulait parce que nous possédions des terres qui, selon lui, lui appartenaient", affirme à l'AFP cette Irakienne de 22 ans dans le camp de Hassan Cham. Lorsque l'EI a occupé en 2014 la province de Ninive, dont Mossoul est le chef-lieu, son frère a rejoint les jihadistes, reconnaît-elle, donnant du grain à moudre aux accusateurs de la famille. Nour a fui l'offensive et leur père a été tué par l'EI après avoir refusé de lui prêter allégeance, raconte-t-elle encore. Malgré cela, "le cheikh a essayé de discréditer notre famille. Chaque fois qu'il y avait un problème en ville, c'était la faute de mon père ou de mon frère".

Sous la tente, un vieil homme acquiesce: "mon neveu a été pointé du doigt aussi" par un voisin qui l'accusait d'avoir volé sa terre. Après la mort de son frère au combat en 2017, Nour et sa famille l'ont publiquement renié. Normalement, selon la loi tribale, plus personne ne peut leur faire porter ses fautes. Mais selon elle, le cheikh avait déjà pris les terres et les maisons de la famille. "Quand j'ai essayé de revenir, j'ai découvert qu'il était protégé par le Hachd alChaabi", dit-elle, en référence à une coalition d'anciens paramilitaires pro-Iran désormais intégrés à l'Etat. "Pour pouvoir rentrer, nous devons payer (le cheikh), mais nous n'avons pas cet argent", assure-telle. Selon un rapport de Mélisande Génat pour l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), les familles de déplacés peuvent faire "confirmer la fausseté des accusations" par "des comités de chefs tribaux et de dignitaires politiques et militaires". Ensuite, les accusations "doivent être abandonnées par l'Etat" et un retour est possible. Mais, ajoute le rapport, dans les zones où est présent le Hachd, les accusateurs peuvent s'en rapprocher et faire accréditer les accusations de "terrorisme".

Dans une tente voisine, une Irakienne se présentant sous le pseudonyme de Sara vit avec sa soeur, veuve d'un combattant de l'EI. Suspectée de sympathie pour ce groupe, cette dernière a été emprisonnée plus d'un an. "Nous avons payé 180.000 dollars à un membre du Hachd (pour la faire libérer). En vain", raconte Sara désignant sa soeur, prostrée sous un voile qui ne laisse apparaître que ses yeux. Pour obtenir sa libération, la famille a finalement engagé un avocat en s'endettant. Aujourd'hui, elle n'arrive plus à rembourser ses créanciers. Selon Sara, des membres du Hachd lui ont même volé à un barrage 500 dollars reçus d'une ONG. Avec les accusations qui planaient autour d'elles, un vieux conflit familial a refait surface. "Nous avions des problèmes avec nos cousins, et quand ils ont appris l'arrestation de ma soeur, ils ont fait de faux témoignages" pour discréditer la famille, dit-elle à l'AFP. Non seulement ces familles ne peuvent rentrer chez elles mais les autorités leur demandent de quitter Hassan Cham. Depuis l'automne, Bagdad cherche en effet à fermer le plus possible de camps où vivent encore plus de 200.000 Irakiens. "Des centaines de familles au moins (...) ne peuvent pas retourner dans leur région d'origine à cause de ces accusations (...) généralement basées sur des rumeurs (...) et souvent liées à des problèmes tribaux ou familiaux", confirme à l'AFP Belkis Wille, de l'ONG Human Rights Watch. L'Etat n'a pas mené la nécessaire réconciliation, accuse-t-elle. Résultat, dit-elle, "ces familles sont traitées comme des ennemis de l'Etat".


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