L’expérience marocaine en la matière et celle des pays démocratiques pousseraient plutôt à une prudence dans les jugements. En la matière, le comportement du citoyen n’est jamais une équation mathématique. C’est toujours une formule chimique qui ne dépend pas de lois et le comportement électoral n’est jamais le fruit de déterminisme.
Il est utile cependant, alors que les échéances de la démocratie locale pointent à l’horizon, d’ouvrir un débat pour cerner les phénomènes qui émergent au fur et à mesure de la construction du jeune édifice démocratique marocain. La démocratie aussi est un apprentissage. D’abord pour tenter de comprendre ce comportement qui semble en passe de devenir une tendance lourde de notre paysage politique, celui de la désaffection à l’égard de la chose électorale. Pour le cas de figure de l’inscription sur les nouvelles listes électorales, des observateurs ont souligné en premier lieu des carences techniques: si les citoyens ne se bousculent pas aux guichets ouverts à cette occasion, c’est parce qu’ils butent sur des dysfonctionnements au niveau de l’organisation de l’ensemble de l’opération.
C’est plausible. Notre administration ne brille pas par son efficacité en la matière étant habituée à d’autres mœurs pendant une longue période où les choses étaient plus “simples”, l’époque du bourrage des listes et des urnes. La démocratie et la transparence forment une nouvelle réalité pour tout le monde. C’est pour cela que nous ne suivons pas jusqu’au bout l’analyse qui met en avant les carences techniques pour expliquer cette nouvelle variante de l’abstention.
Nous sommes partisans plutôt de l’approche politique et culturelle voire anthropologique. Peut-être qu’il ne faut pas négliger aussi des facteurs conjoncturels en l’occurrence; nous en citons quelques-uns. Les caprices du climat (il pleut beaucoup, et il fait froid) qui ne poussent guère à sortir ou à faire des heures supplémentaires citoyennes. Il y a aussi l’impact de la couverture médiatique extravagante de la guerre au Proche Orient: les gens ont été dégoûtés de la vie publique. Les images de l’horreur rendent comme un luxe dérisoire l’acte électoral. Au-delà de la conjoncture, nous pensons que ce nouveau comportement à l’égard des élections arrive comme un aboutissement d’un long processus historique. Celui de l’évolution de la vie électorale et de la vie politique marocaine: les gens ne vont pas voter et/ou ne vont pas s’inscrire tout simplement pour savourer une liberté retrouvée. Etre un citoyen libre à qui on ne dicte pas son comportement, le Marocain a envie de l’affirmer aujourd’hui y compris par défaut, en adoptant une position qui apparaît de prime abord “négative”. Alors de grâce, Messieurs les politiciens n’allez pas concocter une loi pour rendre obligatoire le geste électoral. Il faut comprendre cette soif qui vient de très loin. Faut-il souligner à ce propos que, pendant longtemps, nous avons eu des “élections” trop correctes: des listes électorales “à jour”; des “taux de participation” historiques…les gens réagissent aujourd’hui par une sorte de rejet. Cette approche que nous tentons d’expliciter a été la nôtre quand il a été question d’analyser le fort taux d’abstention en septembre 2007. Nous avons dit qu’il faut désormais nous habituer à des chiffres très bas en matière de participation et aujourd’hui en termes d’inscription. En fait c’est la démocratie même qui est appelée à être repensée en fonction de ces tendances lourdes. Les formes de représentations classiques sont devenues caduques face aux nouvelles formes de médiation sociale. Les élections sont réduites aujourd’hui à une machine à reproduire les mêmes élites : voir à ce propos toutes les réformes apportées au code électoral (proportionnelle; liste; quota…) qui finissent par vider les élections de leur sens, celui du libre choix de l’électeur pour les transformer en une variante à peine déguisée de la cooptation opérée au sein de la même couche sociale, celle du corps des élus déjà en place. Cette fermeture du système est en train d’être remise en question par l’émergence de nouveaux comportements politiques et par l’apparition de systèmes parallèles où s’exerce souvent le pouvoir réel.