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Comment les Etats-Unis ont échoué à intégrer la Russie dans un système paneuropéen ?


Libé
Dimanche 27 Mars 2022

Les relations entre la Russie et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) au cours des 30 dernières années ont connu une spirale descendante, passant de la lune de miel à la dispute, de la détente à la chamaillerie, et de la nouvelle guerre froide à la quasi-guerre chaude, a récemment déclaré un expert à Xinhua.

 L'évolution spectaculaire de leurs relations n'est pas seulement le reflet des changements radicaux de l'orientation identitaire et de la politique étrangère de la Russie, mais aussi de l'influence croissante des Etats-Unis sur les anciens pays du Pacte de Varsovie dans l'après-guerre froide, a estimé Kang Jie, chercheur associé à l'Institut chinois des études internationales. 

Il y a trente ans, la Russie nouvellement indépendante avait tenté d'adhérer à l'OTAN, mais elle s'était heurtée à la promesse de l'administration de George H.W. Bush de ne pas étendre l'OTAN d'un centimètre vers l'est.  Malgré l'absence d'engagement direct, la Russie est maintenant dans une guerre presque chaude avec l'OTAN dans le cadre de son conflit militaire avec l'Ukraine, a signalé M. Kang. 
 
ILLUSIONS (1991-1993)
Avant l'effondrement de l'Union soviétique, le dirigeant russe de l'époque Boris Eltsine avait dit aux Etats-Unis et à l'OTAN que la coopération avec la seule alliance militaire occidentale faisait partie intégrante de la sécurité de la Russie, et avait qualifié l'adhésion à l'OTAN d'"objectif politique à long terme" pour son pays.  La Russie a suivi un internationalisme libéral après son indépendance.

Le ministre russe des Affaires étrangères de l'époque Andreï Kozirev avait écrit dans NATO Review, le magazine officiel de l'alliance, que "nous voyons les pays de l'OTAN comme nos amis naturels et, à l'avenir, comme des alliés". 

L'ancien président américain George H.W. Bush a déclaré à plusieurs reprises que la Russie serait admise dans l'OTAN à condition qu'elle entreprenne des réformes. 
 
FISSURES (1994-1998)
 
Le lancement de l'élargissement de l'OTAN vers l'est a ébranlé les illusions de la Russie envers l'Occident, a noté M. Kang.

A partir de la fin 1993, l'administration de Bill Clinton commença à élargir l'OTAN vers l'est afin de rivaliser avec les républicains, de s'attirer les faveurs du complexe militaro-industriel et de gagner les électeurs américains d'origine polonaise et tchèque. 

La réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN a annoncé une feuille de route d'expansion sans consultation préalable avec la Russie, ce qui a irrité M. Eltsine. 

En 1995, un groupe d'experts nommé par le président russe a proposé deux options pour l'expansion de l'OTAN : soit l'OTAN donnerait à la Russie le droit d'y adhérer, soit l'OTAN devrait être placée sous l'autorité d'une Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) élargie et dirigée par les Nations Unies, au sein de laquelle la Russie aurait un droit de veto.  Au cours des dernières années, la partie russe a mentionné à plusieurs reprises que l'OTAN avait renié son "engagement de non-expansion vers l'est".

En février 1990, lors de la visite en Union soviétique du secrétaire d'Etat américain de l'époque, James Baker, pour négocier la réunification de l'Allemagne, ce dernier a proposé à l'ex-dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev que les Etats-Unis et l'OTAN garantissent que la juridiction et la présence militaire de l'OTAN ne se déplaceraient pas d'un centimètre vers l'est après la réunification de l'Allemagne. 

Du point de vue de la Russie, la "non-expansion vers l'est" inclut certainement les pays d'Europe de l'Est situés à l'est de l'ex-République démocratique allemande (RDA), ce qui équivaut à l'engagement américain de ne pas étendre l'OTAN vers l'est.

Mais, aux yeux des Etats-Unis, cet engagement ne visait qu'à la réunification de l'Allemagne, et la question de l'élargissement vers l'est n'était pas à l'ordre du jour de toutes les parties de l'époque, de sorte que cet engagement ne s'applique pas selon eux à l'Europe de l'Est. 
 
CRISE ET LUNE DE MIEL (1999-2005)
 
Les Balkans ont constitué la première arène de la lutte entre la Russie et l'OTAN, a rappelé M. Kang. En mars 1999, malgré les avertissements répétés de la Russie, l'OTAN a lancé des frappes aériennes à grande échelle contre l'ex-Yougoslavie.

En avril de la même année, toujours en dépit de l'opposition russe, l'OTAN a publié un nouveau concept stratégique mettant l'accent sur les "opérations hors zone", marquant l'expansion des opérations militaires de l'OTAN de la défense collective à la projection de puissance à l'externe, a-t-il noté. 

En réponse, la Russie a immédiatement gelé toutes ses relations avec l'OTAN et a lancé le plus grand exercice militaire, Zapad-99, depuis l'effondrement de l'Union soviétique.
En octobre 1999, la Russie a publié de façon anticipée une nouvelle version de sa doctrine militaire, soulignant pour la première fois que l'invasion militaire extérieure était la principale menace. 

En fait, la crise du Kosovo n'a pas changé l'attitude pragmatique de la Russie en matière de coopération avec l'OTAN. En août 1999, le Premier ministre russe de l'époque Vladimir Poutine avait déclaré que la Russie devait s'intégrer au "monde civilisé" et qu'elle le ferait, tout en précisant qu'elle coopérerait avec l'OTAN.

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 sont devenus une occasion de réchauffer les relations entre les deux parties, selon l'expert, pointant le fait que M. Poutine a été le premier des dirigeants des grandes puissances à appeler à soutenir le président américain de l'époque, George W. Bush, et après cela, les Etats-Unis et la Russie ont mis en place un groupe de travail conjoint sur la lutte antiterroriste.  En décembre 2004, un plan d'action OTAN-Russie contre le terrorisme a été approuvé par les deux parties, et la Russie a participé à l'opération antiterroriste de l'OTAN en Méditerranée, intitulée "Active Endeavour". 

Pendant ce temps, le secrétaire général de l'OTAN de l'époque George Robertson et les dirigeants de certains Etats membres de l'OTAN ont été favorables à l'adhésion de la Russie à l'OTAN. 

Cette période est considérée comme une courte lune de miel entre la Russie et l'OTAN, a observé M. Kang.  Toujours au cours de cette période, trois points de rupture dans les relations de la Russie avec les Etats-Unis et l'OTAN ont commencé à émerger, a-t-il poursuivi. 
Le premier est le système anti-missile et la stabilité stratégique. En 2002, les Etats-Unis se sont retirés unilatéralement du Traité anti-missile balistique (ABM) signé par les Etats-Unis et l'Union soviétique.  Le deuxième est l'élargissement vers l'est de l'OTAN.

Après l'adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque en 1999, l'OTAN a entamé son deuxième cycle d'expansion vers l'est. En 2004, les pays baltes, à savoir l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, l'ont rejointe.  Le troisième est ce qu'on appelle "les révolutions colorées" dans "l'espace post-soviétique". De 2003 à 2005, celles-ci ont eu lieu dans des pays tels que l'Ukraine et la Géorgie. 
 
ELARGISSEMENT DES FISSURES (2006-2013)
 
Après 2006, le déploiement du système anti-missile, l'expansion vers l'est de l'OTAN et "les révolutions colorées", ces trois fissures non seulement n'ont pas été réparées, mais ont continué à s'élargir.  En 2006, les Etats-Unis ont formellement proposé le déploiement de bases anti-missile en Europe de l'Est, et en janvier 2007, ils ont lancé des négociations avec la Pologne et la République tchèque.

 Un mois plus tard, lors d'un discours prononcé à la Conférence sur la sécurité de Munich, M. Poutine a vigoureusement condamné l'expansion vers l'est de l'OTAN et le déploiement de systèmes anti-missiles américains en Europe de l'Est. Ce discours a été considéré comme un événement charnière dans les relations de la Russie avec les Etats-Unis et l'OTAN.  Après son entrée en fonctions en 2009, le président américain d'alors Barack Obama a proposé de "réinitialiser" les relations américano-russes, signifiant une réparation des relations de la Russie avec les Etats-Unis et l'OTAN.

Depuis lors, la Russie et l'OTAN se sont efforcés d'améliorer leurs relations. Toutefois, peu de progrès ont été réalisés.  Fin 2009, le président russe de l'époque, Dmitri Medvedev, a proposé de mettre en place une nouvelle architecture de sécurité européenne pour remplacer des organisations telles que l'OTAN et l'OSCE, et mettre fin à la guerre froide une fois pour toutes. 

Bien que la Russie et l'OTAN aient repris leur coopération militaire en 2010, les négociations sur le nouveau mécanisme de sécurité entre la Russie, les Etats-Unis et l'Union européenne n'ont pas progressé. Entretemps, les Etats-Unis et l'Occident ont continué d'encourager des "révolutions colorées" au Moyen-Orient ainsi que chez les proches voisins de la Russie.
 
 
DETERIORATION RAPIDE (2014-2022)
 
La crise ukrainienne qui a éclaté en 2014 est devenue le plus grand tournant dans les relations entre la Russie et l'OTAN, a rappelé l'expert, notant que les deux parties ont rompu leur coopération en matière de sécurité et sont entrées dans une importante confrontation militaire.

L'OTAN a commencé à fournir de l'aide militaire à l'Ukraine après la crise, y compris l'envoi de conseillers militaires et d'instructeurs. Lors du sommet de Varsovie en 2016, les membres de l'OTAN ont décidé de stationner des bataillons multinationaux dans les trois pays baltes et en Pologne.

 Pendant ce temps, la dispute entre les Etats-Unis et la Russie sur la mise en œuvre du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) s'est également intensifiée, tandis que les deux parties se sont accusées mutuellement de l'avoir violé.  En 2019, les Etats-Unis ont officiellement annoncé leur retrait de ce traité.  Alors que la Russie et l'OTAN font face à une confrontation à grande échelle et que les Etats-Unis encouragent l'Ukraine à se joindre à l'OTAN, la Russie a proposé trois dialogues sur la sécurité avec les Etats-Unis, l'OTAN et l'OSCE fin 2021, tous trois sans résultats, a rappelé Kang Jie. 

Le 24 février, l'armée russe a lancé une opération militaire spéciale en Ukraine, qui, selon l'expert, a marqué le début du plus grand conflit armé dans la région depuis le Seconde Guerre mondiale. 

En général, a-t-il estimé, les élites russes ont espéré plus d'une fois intégrer la Russie au sein de la communauté de sécurité occidentale, ce que les Etats-Unis et l'OTAN ont refusé.  Poussé par son idéologie et par le complexe militaro-industriel, Washington a fermé les yeux sur l'opposition répétée de la communauté stratégique nationale et de la Russie.

 Les Etats-Unis ont étendu l'OTAN vers l'est à maintes reprises et fomenté plusieurs "révolutions colorées" autour de la Russie, la mettant au pied du mur, a conclu M. Kang. 


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