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Il nous revient toujours au moment où l’on ne s’y attend pas.
Tandis que certains déplorent à haute voix le prétendu désert
culturel qui règnerait au Maroc, il y a des écrivains qui
enrichissent le paysage littéraire d’une belle façon. Critiquer ne suffit pas, il faut encore apporter une pierre à l’édifice.
« Testament d’un livre » (Marsam, 2018) le fait de la plus belle
des façons, que cela soit sur le territoire marocain mais aussi
au Salon du livre de Paris et à Lisbonne.
Retour sur l’un de nos coups de cœur littéraires
de 2018, en présentation
à la Villa des arts de Rabat le 3 avril.
Les premières lignes nous mettent d’emblée dans l’atmosphère. C’est un livre qui s’adresse aux lecteurs, non un personnage humain ou une voix d’outre-tombe, un livre de pages et de sang qui frémit lorsque des mains se posent sur lui et se délecte du regard de ceux qui parcourent les mots en son sein. Le pari est osé car si cette voix est caricaturale, il est difficile d’entrer dans l’univers de l’auteur et d’avoir l’impression que c’est vraiment un livre qui nous parle. Mais Abdellah Baïda, en funambule avisé, sait manier les dosages entre la fiction et le réel, et nous introduit avec virtuosité dans son monde : « J’écris dans l’urgence avec le peu de force qui me reste. Il faut rappeler, il faut consigner ici certains faits avant qu’ils ne disparaissent et que plus personne ne s’en souvienne. La mémoire est fragile. L’écrit compte beaucoup, ou du moins compte-t-il jusqu’à présent, mais je ne saurai dire comment la mémoire sera préservée par la suite ». Le livre a connu un âge d’or.
Aujourd’hui, face à des concurrents mais aussi à des gens qui veulent sa peau, il se sent menacé et voit la mort venir. Dans un sursaut vitaliste, il prend la parole, au sens fort du terme, et nous livre les trames parfois les plus intimes de son existence. Tout commence à Khizanat Al-Quaraouiyine à Fès, à un moment où il y avait une émulation intellectuelle, où les gens avaient soif de culture, où le livre avait une sacralité presque plus importante que celle accordée à la vie humaine. Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui, cette même bibliothèque soit fermée au public et que ses livres y soient reclus comme dans une prison ? Quels ont été les moments de gloire du livre et pourquoi ses ennemis sont en train de gagner la partie ? La mise à mort serait-elle imminente ?
Le livre nous parle des grands amoureux de la littérature, de la philosophie, des sciences,il cite des écrivains, des libres penseurs mais aussi des lecteurs qui le chérissaient. Qui, en effet, peut mieux connaître les auteurs et les différents lectorats que le livre lui-même ? « Testament d’un livre » évoque Aristote, Averroès mais aussi Kafka, Mallarmé, Zweig, Proust. On serait surpris de ne pas voir de nom d’auteurs marocains mais entre les lignes, si l’on regarde bien, on y trouve les sourires calligraphiques d’Edmond Amran El Maleh relative à cette mémoire benjaminienne qui hantait son œuvre (p. 9, p. 64), les relents libertaires de Mohammed Leftah (p. 18) et les diatribes du prophète voilé de Khatibi (p. 131). Baudelaire aussi est entre les lignes. Et même Mamoun Lahbabi. Tous ces gens-là sont les « complices » et les « incomparables amants » d’un livre qui prône explicitement sa bisexualité, avec une préférence néanmoins pour les lectrices.
Les premières paroles de ce testament décrivent les violences faites aux livres, les responsables qui ont fait brûler la bibliothèque d’Alexandrie, les autodafés des nazis, le bombardement de Pékin en 1937 qui fit 2000 000 victimes parmi les livres, le génocide des ouvrages enfermés dans un hammam transformé en lieu de purification ethnique. En s’en prenant aux livres, leurs ennemis s’en prennent à l’humanité à venir, en la privant de ce qui a existé précédemment : « Un livre est plus fort que l’existence humaine. La vie peut prétendre à l’éternité quand elle est inscrite dans un livre ». Le principal ennemi est la Brigade Anti-Livres, la B. A. L, qui apparut au XVIème siècle et choisit le livre comme cible car il diffusait le savoir. Elle a dressé un « index librorumprohibitorum » et cherche à éliminer chacun des livres écrits par les auteurs y figurant. Mais une fois que l’on a dit cela, que reste-t-il encore à énoncer ? Ce serait trop facile de donner au livre le « beau rôle » et d’en faire une simple victime ! Abdellah Baïda est trop proche de Baudelaire ! Et puis ce testament du livre n’a rien à léguer hormis la vérité. Il faut aller plus loin et parler aussi des crimes du livre, de sa face sombre, parfois violente. Parler aussi de ceux qui savent partager les livres, les offrir, en valoriser le contenu. Les ennemis du livre, ceux qui le menacent également d’une mort qui ne serait pas tant physique que symbolique, ce sont les blasés, les ignares, ceux qui jugent ce qu’est un bon livre avec leur vue nombriliste et qui clament haut et fort la nullité des productions livresques sans rien connaître du monde littéraire qu’ils critiquent (mais qu’ils peuvent aussi louer quand il y a quelque profit à en tirer). Souhaitons à ce «Testament d’un livre» d’échapper à leur morsure et surtout à leur bave.
Si le lecteur décide de flirter avec cet ouvrage remarquable, de se laisser un peu aller dans tous ces univers, il pourra vivre certains moments de plaisir intense, à l’instar de la jolie fille peinte par Hermann Fenner-Behmer qui sait ce qu’aimer lire veut dire.
* Cercle de Littérature
Contemporaine