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« Barboka », la drogue des pauvres fait des ravages

Jadis appelée « Maajoune », elle a changé plusieurs fois de dénomination


Bentaleb Hassan (Stagiaire)
Jeudi 16 Juillet 2009

« Barboka », la drogue des pauvres fait des ravages
Ils s’appellent « Saïd », « Zakaria », « Mourad », « Fouzia », ou « Hanane ». Ils ont 16, 20, 26 ans, ou plus. Ce sont les nouveaux adeptes de « Barboâa », une drogue jadis appelée « Maajoune », mais qui a changé plusieurs fois de dénomination à partir des années 2000 pour s’appeler « Kika », « Chocolat », « Katila », « Qualité ».
Ils vous accueillent avec des yeux fatigués et des regards vides. Avec un large sourire, ils commencent à vous raconter leurs histoires interminables, parfois avec joie, mais souvent avec amertume.
Saïd (17 ans), sans emploi, plusieurs fois victime d’une overdose, raconte : « La dernière fois, c’était il y a quelques mois. Je m’en suis bien sorti, la prochaine fois, je ne sais pas. Souvent, j’ai pensé à m’arrêter, mais je ne sais pas si je peux m’en sortir ».
Comme la plupart des consommateurs de la « Barboka », Saïd a commencé très tôt. « La première fois, c’était à l’école, alors que j’avais 13 ans. Un ami m’a invité à en déguster, et depuis ce jour, je suis devenu accro. Au début, j’achetais une demi-dose et l’accoutumance s’est installée progressivement. Cela dure depuis huit ans ».
C’est le cas aussi de Mourad, (24 ans), cordonnier, qui se rappelle ses premiers pas dans le monde de la « Barboka » : « J’ai commencé au lycée, à cette époque, j’avais 16 ans. J’ai acheté ma première dose pour imiter des amis. J’ai commencé avec une demi-dose, mais pas régulièrement, après c’est devenu trois doses par jour ».
Ahmed (34 ans), père de famille, se souvient que tout a commencé dans son quartier, avec quelques amis. Cette expérience va durer une quinzaine d’années. « C’est drôle, mais c’est la vérité. Je ne peux pas m’en passer. C’est devenu une habitude. Le comble, c’est que je suis marié et que j’ai des enfants. Alors, j’essaie d’être discret et de la consommer à l’abri des regards de ma femme et de mes enfants».
La « Barboka » est donc un phénomène qui transcende les âges et les générations. Elle est consommée à partir de 12 ans, et cela peut durer des décennies. Toutefois, la tranche d’âge la plus touchée est celle comprise entre 16 à 25 ans.
A l’occasion du traditionnel et passionnant derby Raja-WAC, Mourad en consomme à satieté. « Au stade, avec les foules qui crient et l’ambiance qui règne, on est au top du top. « Barboka » m’aide à vaincre ma timidité et à m’intégrer dans le décor», explique-t-il, lui qui n’est pas le seul à croire aux bienfaits de la « Barboka ». « On devient consommateur parce qu’on croit que cette drogue est l’antidote de tous nos maux. Un antidote qui nous permet de nous évader, d’échapper aux contraintes sociales, de créer notre propre monde, avec nos propres valeurs et nos propres normes. Certains l’utilisent pour s’amuser, rigoler, ou pour avoir plus d’énergie et de dynamisme. D’autres la consomment seulement par habitude et par dépendance », nous précise un connaisseur. Pour lui, si les usages se diversifient, l’objectif est le même : créer un monde en parallèle à la réalité.
Mourad préfère pour s’approvisionner aller chez « Dalmaa » au quartier périphérique Moulay Rachid.
A Casablanca, les vendeurs sont connus sous des noms bizarres. Comme « Rasta », ou « Oum laid » à Sbata, « Lahbabi » dans l’ancienne Médina ou « Moutcho » qui n’a pas de domicile fixe et qui écoule sa marchandise sur son scooter. La plupart de ces vendeurs sont issus des quartiers populaires (Derb Sultan, Derb El Kabir, Hay El Mohammadi …).
Ils sont jeunes (24 à 34 ans), vendent leur drogue chez eux et ont été déjà condamnés par la justice. On trouve aussi des femmes qui s’adonnent à ce trafic, mais les accros préfèrent souvent s’approvisionner chez les hommes. Il s’agit de toute une chaîne avec des grossistes, qui fabriquent 10.000 à 20.000 unités par jour, ce qui représente un chiffre d’affaires de 80.000 DH, et de petits vendeurs, qui ne dépassent pas 100 unités par jour, avec un bénéfice net de 5000 DH par jour.
Une « Barboka » est produite à 1,50 DH, et est vendue à 5 DH ou 7 DH, pour atteindre parfois 10 DH. Les prix varient selon la qualité du produit, et plus précisément le degré d’extase provoqué. La mauvaise qualité est vendue à 5 DH.
Certains consommateurs n’hésitent pas à pointer du doigt le laxisme des policiers, et une certaine complaisance entre ces trafiquants et certains agents de la paix. En effet, à l’inverse des trafiquants de drogue, qui sont parfois mis sous surveillance et souvent arrêtés et condamnés à des peines de prison, les trafiquants de « Barboka » ont la conscience tranquille, car rares sont les arrestations qui sont opérées dans leur milieu, et même si on les arrête, les peines ne dépassent pas 3 à 4 mois de prison ferme. Et souvent, comme l’affirment plusieurs usagers, on arrête seulement les petits vendeurs.
Les composants d’une « Barboka » varient selon les vendeurs. Mais les ingrédients les plus utilisés restent le chocolat, le haschich de mauvaise qualité, la marijuana, l’huile, le miel, le sucre, de l’anesthésique, des psychotropes, un insecticide et du cirage. Tous ces ingrédients n’ont de secret pour personne. Les recettes aussi. Les plus célèbres sont celles composées de haschich et de chocolat. Ou celle où l’on mélange la marijuana, l’huile, et le miel. Mais les recettes les plus fortes et les plus dangereuses restent celles qui intègrent du cirage, de l’anesthésique et quelques gouttes d’un médicament prescrit pour soigner les trisomiques, ou celles qui se composent de quelques comprimés psychotropes, et d’un anesthésique. Pourtant, on ne doit jamais mélanger le cirage, les psychotropes et l’insecticide. Car, leur mélange est mortel.
Pour la plupart d’usagers, ces composants, malgré leur danger, ne représentent pas un souci. « Tant que le pire n’est pas survenu, on s’en fiche », avoue Saïd. « On sait que c’est dangereux, on sait qu’on joue avec notre vie. Mais il suffit qu’on la déguste pour qu’on oublie tout », déclare Ahmed.
Mourad a déboursé 30 DH pour l’achat de trois capsules, et 20 DH pour l’achat de quelques cigarettes et un petit « morceau » de haschich. Il doit aussi prendre un sandwich. Il a l’habitude de débourser de 100 à 150 DH pour sa consommation de « Barboka ». « On peut débourser jusqu’à 250 DH par mois, ça dépend de la consommation de chacun ». Car si la « Barboka » ne coûte pas cher, elle incite à faire d’autres dépenses, comme la bouffe, le haschich, et les cigarettes. La « Barboka » aiguise l’appétit. Son consommateur ressent une vive envie de manger. Il fume aussi en parallèle, car avec le temps, la « Barboka » devint elle-même insuffisante, alors il cherche autre chose. Il invente d’autres recettes, pour en augmenter l’effet.
Pour Saïd et pour une majorité de consommateurs, la « Barboka » est un moindre mal par rapport au haschich, aux cigarettes, ou à l’alcool. Elle est discrète et plus ou moins tolérée socialement. « Je préfère consommer du B plutôt que du haschich, pour la simple raison qu’elle est moins chère et qu’elle a plus d’effet ». Ces dernières années et suite à la guerre déclarée par l’Etat contre les trafiquants de drogue, le haschich est devenu de plus en plus cher, et de moins en moins de bonne qualité. Les psychotropes sont eux aussi chers (une gélule coute 35 DH). En plus, ils sont dangereux, et difficiles à se procurer, car il faut une ordonnance médicale. Pour Saïd : « J’essaie d’éviter les psychotropes, car on perd le contrôle de soi-même ». « Avec la « Barboka », on veut seulement rigoler, s’amuser. Avec les psychotropes, on sait d’avance qu’on cherche des ennuis », réplique Mourad.
Zakaria (22 ans), victime d’une substance toxique contenue dans la « Barboka » se confie : «C’était horrible, j’ai vu la mort en face, j’ai récité la Chahada. Il fallait une intervention chirurgicale pour résoudre le problème. Hamdou llilah, je suis encore en vie. D’autres ont payé de leur vie ». Saad (33 ans) se rappelle l’histoire d’un ami qui a perdu la vie suite à une overdose : «A cette époque, il avait des problèmes familiaux et financiers. Il a trouvé la solution dans la « Barboka ». Un jour, suite à une overdose, il s‘est trouvé au CHU. Quelques jours plus tard, il a perdu la vie ».
Avec le temps, Mourad a commencé à ressentir les effets néfastes provoqués par cette drogue sur sa santé et son mental. Il a de plus en plus de mal à se concentrer et souvent, il est dans l’incapacité de travailler. Parfois, il lui arrive de confondre réalité et fiction. Souvent, il plonge dans des dépressions aiguës.
Mourad veut changer. Il cherche autre chose. Il s’est converti à la Chicha. Mais il revient au point de départ. Quand on fréquente le monde de la « Barboka », on n’en sort pas indemne. On en paye toujours les frais. Si certains consommateurs ont vu leur santé péricliter, d’autres ont été atteints de folie et d’autres ont tout simplement perdu la vie.
Mourad semble réfléchir. Peut-être, est-il en train de penser à arrêter, mais pas aujourd’hui.


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