Arnold Zephir : Le Maroc fait partie des rares pays du monde à posséder une autorité administrative indépendante pour protéger les données personnelles


Libé
Mardi 29 Septembre 2020

Donald Trump accuse l’application chinoise Tik Tok d’espionnage aux Etats-Unis. Les créateurs de cette application, extrêmement populaire auprès des jeunes Américains, collecteraient les données personnelles des utilisateurs et traceraient l’activité de quelque 100 millions d’Américains. Cette polémique relance le débat sur la protection des données personnelles sur les réseaux sociaux. Arnold Zephir, co-fondateur de l’entreprise Prevision.io spécialisée dans le Big Data et l’intelligence artificielle, répond aux questions de Libération à ce sujet.

Libé : Les données personnelles des Français sont-elles bien protégées ?
Arnold Zephir :
Sans prétendre connaître dans le détail la législation chinoise, ce qui est certain, c’est que les données des Français utilisées par l’application Tik Tok peuvent être transférées sur le “sol” chinois et dépendre donc de la législation chinoise. Tout le débat actuel provient justement de cette notion de transfert : l’exploitation des données des Français, même au sein de l’application d’un développeur chinois, est protégée par la GDRP, d’une manière assez contraignante. Cependant, la GDPR autorise le transfert des données vers des régions qui n’y seraient pas soumises sous certaines conditions de sécurité et de confidentialité.

Tout le débat actuel porte justement sur “est-ce que la Chine remplit ces conditions ?
Même si c’était le cas, le problème posé par Tik Tok réside dans la nature des données récoltées. Il semblerait que l’application ait collecté des données de natures diverses sans consentement explicite de l’utilisateur en jouant sur certains flous juridiques. Il va sans dire que ce comportement n’inspire pas confiance quant à la confidentialité des utilisateurs de Tik Tok.

Combien valent vraiment nos données pour les grands groupes ?
La valeur des données de nos activités présente deux aspects asymétriques : - A titre individuel, elles permettent de nous proposer des offres mieux ciblées. Pour un groupe qui vend un produit destiné au consommateur, cela veut dire des publicités mieux choisies et donc une augmentation des ventes. - A titre collectif, nos données personnelles présentent un intérêt statistique quand elles sont en assez grand nombre. Dans ce cas, ce n’est plus l’individu qui intéresse l’entreprise mais la puissance mathématique contenue dans le grand nombre de données. En effet, cette “puissance statistique” est le carburant des intelligences artificielles qui régissent aujourd’hui bon nombre de processus opérationnels des entreprises. Dans ces cas, la valeur des données peut parfois se chiffrer en million, quand celles-ci permettent d’optimiser un processus industriel tel que la logistique ou les transports.

Comment protéger nos données ?
Evidemment, la première protection est de bien lire les conditions d’utilisation qu’on accepte souvent sans faire attention. Ensuite, dans la plupart des smartphones des grandes marques, il existe tout un tas d’options permettant de protégerses données efficacement. Cependant, nous sommes souvent tous coupables de négligence sur ces points. Les comportements qui doivent mettre la puce à l’oreille sont les suivants : - une application qui demande plus d’infos que nécessaire. Si une application de fitness demande à accéder à vos données de poids ou de taille, ça paraît normal. Par contre, si une application de jeu vidéo demande à accéder à vos données de santé, ou si l’application de fitness demande à accéder à vos photos, cela doit être un signal important. - si l’application est gratuite et sans service supplémentaire à acheter ou autre. Dans la plupart des cas, cela va dans le sens où le modèle économique de l’application est la revente ou l’exploitation des données des utilisateurs.

Fuites, vente, trafic, collecte des données : une fois renseignées, nos données nous appartiennent-elles toujours ?
Quoi qu’il arrive, pour les sociétés européennes, toute utilisation non consentie explicitement de nos données personnelles est interdite et répréhensible. Cela va même plus loin puisqu’en cas de vol ou fuite de données, les responsables de l’entreprise sont mis en cause et peuvent être condamnés à dédommager les utilisateurs, voire même finir en prison. A côté de cela, en France et en Europe, tout utilisateur dispose du droit d’effacement et peut donc demander à toute entreprise qui fournit un service numérique en France d’effacer les données le concernant, sans explication, ni justification. Evidemment, la lourdeur des démarches conduit parfois à négliger cette possibilité. Cependant, même si la loi nous protège, elle n’empêche pas que les délits se produisent et une fois que nos données personnelles se retrouvent diffusées, il est difficile d’empêcher le préjudice. D’une manière générale, sans sombrer dans la parano, il est fortement déconseillé de laisser dans nos smartphones des données nous concernant qui pourraient nous porter préjudice en cas de fuite.

A votre avis, comment des pays africains comme le Maroc, doivent-ils agir pour protéger les données de leurs citoyens ?
La grande majorité des pays africains ne dispose d’aucune loi ou d’organisme protégeant les données personnelles, leurs citoyens doivent donc être encore plus vigilants que les autres pour éviter tout problème. Le Maroc, lui, fait partie des rares pays du monde à posséder une autorité administrative indépendante pour protéger les données personnelles, à l’instar de la France ou de l’Europe. Elle ne possède malheureusement pas encore de pouvoir coercitif qui lui permettrait d’appliquer des sanctions en cas de non-respect, mais les choses évoluent dans le bon sens.

Propos recueillis par Youssef Lahlali
(Paris)

 


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