Adieu Liberté


Mohammed Bakrim
Vendredi 19 Décembre 2008

Adieu Liberté
Vous connaissez certainement la salle Liberté. Tout un pan de la mémoire cinéphilique casablancaise et un vrai monument architectural. Le site a été vendu. Et des risques planent sur son devenir. Fermée depuis belle lurette, la salle agonisait, devant nous.  Impuissants…au moins neufs salles ont disparu depuis le début de l’année en cours. Un vrai drame. Les débats parallèles lors de cette édition du Festival national abordent souvent cette question. Surtout après l’annonce faite par le directeur général du CCM du projet de 250 écrans à l’horizon 2012.
Il faut  relever, en effet ce paradoxe : le cinéma marocain marque des points, s’affirme en tant que production, en tant que films qui disent une façon de voir le monde…Parallèlement à cette « embellie » professionnelle, le cinéma disparaît du paysage social ; du paysage urbain. Je ne parle pas seulement de la salle comme édifice mais du cinéma comme pratique sociale, sociétale, comme rite. Le cinéma a été longtemps le parent pauvre de notre paysage culturel aussi bien en tant que référent qu’en tant que pratique sociale. Sa situation est l’une des expressions les plus éloquentes du malaise de l’accès  à  la modernité.
 Première idée, le décollage du cinéma est un choix de société; au-delà  de la profession, c’est l’ensemble de la collectivité qui est concernée: les politiques, les “civils”, le public. Renoir a dit une fois que c’était la vivacité et la réceptivité du public français qui avaient permis le renouvellement du cinéma en France dans les années trente.
Au Maroc, nous sommes en passe de vivre un cas de figure opposé avec le public comme paravent justifiant les pires concessions artistiques et culturelles. Il y a de plus en plus une sorte de sur-moi esthétique qui fait vivre la production une sorte de blocage symbolique.
Cette question du public doit être abordée d’une manière approfondie. Si l’on parle du public en termes d’entrées réalisées, il faudra tout de suite préciser que le parc des salles disponibles ne favorise nullement l’existence d’un véritable public pour le cinéma. Les chiffres  à  ce niveau sont hallucinants. C’est la catastrophe imminente; la “crise cardiaque” dont on avait parlé pour l’ensemble du pays! L’urgence ici est cruciale si l’on veut continuer  à  parler de cinéma.
Deuxième niveau, le public en tant que donnée culturelle: là  encore, c’est la crise. La cinéphilie n’a plus de militants; elle n’est plus une composante du profil professionnel: beaucoup de jeunes arrivent dans le circuit de décision sans aucune culture cinématographique, générale ou locale; des milliers de décideurs politiques,  à  tous les échelons, les élus notamment, n’ont aucune considération pour le cinéma. L’école, les médias y sont pour quelque chose.
Dans un contexte qui offre un environnement peu favorable, comment parler du cinéma  à  l’intérieur des films ? comment parler de la dimension artistique ? On a par exemple soulevé des lacunes au niveau  de l’écriture, au niveau de la narration. L’explication avancée ne manque pas de paradoxe. On relève la langue de l’écriture du scénario en l’occurrence le français. Comme si le passage  à  une autre langue apporterait un plus d’imagination. Un scénario est une matière première qui peut se présenter en un langage codé pourvu qu’il fasse parvenir son programme narratif, ses “instructions”. L’autre remarque concerne l’absence des rapports avec les écrivains, avec les romanciers, encore une fois comme si les cinéastes boudaient un véritable marché florissant de la fiction. Il se trouve que nous sommes une société peu portée sur le roman; nos plus belles productions, dans ce domaine, sont de nature expérimentale. Les romans de Naguib Mahfouz ont préparé le terrain devant l’émergence du réalisme égyptien. Qu’est-ce qu’on pourrait dire pour le Maroc? Le roman lui-même cherche sa légitimité publique et il vit la même situation que le cinéma,  à  ce niveau. On peut même dire que les films marocains jouent le rôle de pionnier en matière de fictionnalisation.




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