Abderrahim Tourani : La lettre et l’esprit de l’ironie


Par Redouane Taouil
Jeudi 7 Novembre 2019

Abderrahim Tourani : La lettre et l’esprit de l’ironie
Cet écrivain, dont on ne rencontre pas de nouvelles dans des anthologies ou des numéros spéciaux de revues dédiés à cette forme brève de fiction, est l’auteur d’un recueil «Nazaoua Goya» (Caprices de Goya), qui est de part en part animé par le dessein original de conjuguer fantastique et mode ironique. Pour marquer ses réserves sur le roman, André Gide préféra ressusciter la sotie, sorte de pièce dramatique du XVIème siècle interprétée par des sots, qui raille les vices de la société.
Ce vocable sied avec force aux exercices satiriques de ce recueil dont la référence au célèbre peintre espagnol est parlante à plus d’un titre.  «L’écrivain et la nouvelle chauve» est emblématique de ce ton si particulier : la nouvelle est le sujet de la nouvelle à travers une mise en abyme où l’auteur est confronté à un miroir cauchemardesque qui le dépossède de l’identité …d’auteur.
 
L’écrivain et la
nouvelle chauve


 La nouvelle chauve ne cède pas à l’auteur. Il tente en vain de la séduire en lui offrant une cigarette puis un verre. Comme elle ne répond pas, il s’en va. Visiblement anxieux.
Dans la rue, l’écrivain croise des odes, des méditations littéraires, des romans et des nouvelles magnifiques à tous égards. Une nouvelle sourit en lui faisant un clin d’œil. Il la suit. Elle pénètre dans des rues désertes puis s’arrête devant une porte antique.
Dans une chambre à coucher obscure, elle ôte ses très légers vêtements et demande à l’écrivain d’en faire autant. L’écrivain essuie ses lunettes, incrédule, et reste médusé à voir la nouvelle enlever sa perruque. Elle est toute chauve. Il découvre que son œil est en verre et que ses seins sont atrophiés. La nouvelle ne prête aucunement attention à l’ébahissement de son convive. Elle pose son dentier sur la commode et s’agrippe à l’écrivain avide de sucer son sang.
Il s’oppose de toutes ses forces et parvient à étrangler la farouche nouvelle et la tue avant qu’elle ne l’achève. Il s’empare de sa perruque, de l’œil en verre et du soutien-gorge gonflable et fuit.
Il s’arrête au marché aux puces pour offrir à la vente ces objets. Faute d’acquéreur, il s’en débarrasse en les jetant dans une benne.  Il rentre chez lui. La nouvelle est assise sur son lit revêtant les habits d’une ode conçue selon une métrique rigoureuse. Aussitôt qu’elle le voit, elle se lève et l’implore de lui restituer seulement son dentier. Sans attendre sa réponse, elle saute sur lui, le dépouille de ses dents et des yeux, lui arrache ses cheveux et disparaît.
L’écrivain est transféré vers le  dispensaire littéraire où les critiques lui conseillent de ne plus approcher les nouvelles mais plutôt le roman.
Longtemps après, il est resté souffrant et n’a guéri qu’après s’être délivré de l’idée selon laquelle le roman est le grand père de la nouvelle.


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