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A Madrid, honte, rêves et frustration dans les “files de la faim ”


Libé
Vendredi 19 Mars 2021

A Madrid, honte, rêves et frustration dans les “files de la faim ”
Derrière son masque noir, elle maquille toujours ses lèvres, en rouge vif. Pourtant, le sourire de Rita, comédienne, a tremblé lorsqu'elle a dû se résoudre à rejoindre les "files d'attente de la faim", comme on les appelle à Madrid. "Ca a été un moment dur, triste. Je me suis sentie honteuse", raconte la pétillante Mexicaine de 41 ans, qui a perdu son emploi de professeure de théâtre dès le début du strict confinement décrété en mars 2020 et n'en a pas retrouvé depuis, épuisant toutes ses économies. Un an après le début de la crise sanitaire, le besoin d'aide alimentaire reste omniprésent en Espagne. L'ONG catholique Caritas a ainsi vu affluer l'an passé 500.000 personnes qui n'avaient jamais eu recours à l'aide alimentaire auparavant, tandis qu'à Madrid les banques alimentaires ont vu augmenter la demande de 40% sur un an.

Tous les vendredis depuis décembre, Rita Carrasco vient donc récupérer un grand carton de vivres dans une "cantine sociale" du quartier populaire de Carabanchel, au sud de Madrid. Mais elle aide aussi à la distribution en tant que bénévole, une tâche qui l'a aidée à remplacer l'amertume par un certain enthousiasme. "Donner et recevoir, ça change la perception", dit la comédienne. Vêtus de gilets jaunes, une vingtaine de bénévoles s'activent dans le grand local paroissial, flanqué d'une cuisine neuve pour préparer des repas chauds, auparavant consommés sur place mais désormais à emporter en raison des règles sanitaires. D'autres distribuent fruits, légumes, céréales, aux personnes faisant la queue sur l'étroit trottoir, souvent des femmes d'origine latino-américaine, dans ce quartier où vivent beaucoup d'étrangers. Il s'agit de l'une des quatre cantines ouvertes en urgence au printemps 2020 par l'oeuvre sociale Alvaro del Portillo. Avant la pandémie, elle n'en gérait qu'une. Un an après, le nombre de personnes venant chercher de la nourriture reste deux fois plus élevé qu'avant la pandémie, aux alentours de 2.000 personnes au total. "Au fil des mois, la pression s'est un peu atténuée", constate toutefois Susana Hortigosa, présidente de l'association paroissiale. "Les demandes d'aide restent plus élevées mais elles ont un peu baissé, car les gens ont commencé à toucher les prestations de chômage partiel, ils ont trouvé quelques heures de travail", à mesure que l'activité économique redémarrait, explique-t-elle.

Le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez a déboursé 40 milliards d'euros depuis le début de la crise pour étendre le financement du chômage partiel, l'une de ses mesures phares, mais l'argent a souvent mis des mois à être versé, l'administration étant totalement débordée par les demandes. C'est le cas du mari de Reina Chambi, 39 ans. Il travaillait dans un hôtel, elle s'occupait de personnes âgées. Leurs emplois ont été immédiatement balayés par la pandémie. "Le paiement de son chômage partiel a pris beaucoup de retard. Nous n'avions aucun revenu alors nous avons demandé l'aide de l'église", raconte cette mère de deux fillettes, qui attend avec son cabas dans un vent glacial devant une autre cantine, dans le quartier de Vallecas. Le versement de la prestation chômage a redonné un peu d'oxygène à la famille, mais le couple étant toujours sans emploi, l'aide alimentaire reste indispensable. "Ca nous permet d'éviter d'avoir à acheter du lait, des pois chiche, des nouilles, ce genre de choses. Et nous pouvons dépenser cet argent pour de la lessive ou de la viande", explique timidement Reina, qui regrette la "vie stable" qu'elle avait construit depuis son arrivée de Bolivie il y a quinze ans. 

En Espagne, plus d'un habitant sur quatre se trouvait déjà en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale en 2019, l'un des taux les plus élevés d'Europe. La pandémie a encore fragilisé les plus vulnérables. "Je me sens tellement frustrée. A chaque fois que j'essaye de m'en sortir, il m'arrive quelque chose", soupire Amanda Gomez, 53 ans, qui a divorcé juste avant la pandémie, se retrouvant seule pour élever deux enfants, dont l'un atteint de trisomie 21, avec un maigre revenu de femme de ménage. La famille dépendait déjà de l'aide alimentaire depuis six ans, son ex-mari s'étant retrouvé au chômage après la crise économique précédente. Mais Amanda ne veut pas se laisser abattre : fine cuisinière, elle cherche des recettes sur internet pour "tirer le meilleur parti" des aliments qu'on lui donne, et tente de livrer des gâteaux à domicile, avec l'espoir d'ouvrir un jour sa pâtisserie. "Je rêve en grand, car rêver ne coûte rien. Ce que je veux, c'est pouvoir aller un jour à la paroisse sans rien demander, juste pour aider". 


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