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Utopie tangéroise : Bouchra Boulouiz, la digne héritière de Abdelkébir Khatibi

Mercredi 30 Septembre 2015

Dans son premier roman
«Une irlandaise à Tanger»,
Bouchra Boulouiz offre
à ses lecteurs un périple
au Maroc du 19ème siècle.
A travers l’histoire d’une jeune
fille qui quitte les grisailles de
son Irlande natale pour débarquer, seule, à Tanger l’auteure trace
à grands traits les personnages
de l'époque, leurs mentalités,
leurs peurs, leurs incertitudes,
ainsi que leurs perceptions
des autres. Nous sommes en 1870.



Le roman de Bouchra Boulouiz évoque le périple d’une femme troublée, dont la quête aux multiples facettes est le fil rouge du récit. Tout commence sur le navire qui mène une jeune Dublinoise à Tanger. Kate ressent au plus profond de sa chair la dimension orientaliste de ce voyage. Elle est fascinée par ce qu’elle appelle la dimension «utopique» du continent africain. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, au moment où l’impérialisme colonial est en plein essor. Les enjeux politiques et économiques préparent le Protectorat français et toutes les abominations qui lui sont inhérentes. Kate est partie à Tanger pour retrouver son frère archéologue, dont on n’a plus de nouvelles depuis des semaines. Mais quelle est la vraie raison de ce voyage, qu’elle a tenu à faire seule ? Que cherche-t-elle vraiment ? Le périple est aussi une quête initiatique au fond de soi-même. Kate comprend très vite la dimension raciste des visions orientalistes. Elle découvre que cet Orient fantasmé, cet «Autre» qu’elle avait construit comme étranger à elle-même, n’est peut-être pas aussi différent qu’on l’imagine : «Ce qui n’échappa pas à ma vigilance d’Irlandaise ce soir-là, c’est que Tanger avait quelque chose de britannique». Digne héritière de Abdelkébir Khatibi, Bouchra Boulouiz montre que «l’Autre» est en «Moi» et que «Moi» je suis dans «l’Autre». Le puritanisme victorien et l’ascétisme tangérois ont des affinités électives, y compris dans la façon dont les femmes irlandaise et marocaine les transgressent : «Vous savez, en Occident aussi, les femmes ne vont pas dans certains endroits réservés aux hommes. La modernité ne cesse aussi de séparer au lieu de réunir les sexes… ». Kate se plonge corps et âme dans la vie culturelle du Maroc. Elle aime se perdre dans cet «Orient» dont elle a toujours été partie prenante.  
Lorsqu’elle se rend au hammam, elle s’abandonne avec les autres femmes dans les vapeurs brûlantes qui troublent son esprit et enivrent ses sens : «Les femmes balançaient le corps. Lentement, progressivement comme s’ils se préparaient à transcender grâce à une musique dévotionnelle. Bientôt les regards se vidèrent en même temps qu’augmentait une certaine violence des gestes devenus cruels à l’égard de son propre corps».  
La rencontre avec Lalla Tamo, une sorcière qui l’initie à fuir les certitudes plombant les rêves et les libertés, donne au voyage toute sa valeur. Partir dans une quête est symbiotiquement liée à une fuite. C’est ce qui arrive également à Fadma, qui croise la route de Kate. La rencontre avec un étranger dont elle tombe amoureuse, est aussi une vision utopique qui enchante sa vie. En mettant les lunettes de soleil de cet homme, Fadma voit le charme des choses avec les mêmes yeux que Kate s’immergeant dans la culture marocaine : «J’allais sur la terrasse. Les lunettes rapprochèrent la mer bleue et vive, les écumes blanches, quelques frégates qui quittaient le môle, les mouettes planaient tout près de moi, j’aurais pu les toucher si ma main était plus longue.   J’étais comme dans un rêve. J’étais sous le charme de ces lunettes». Mais tout périple a une fin. Qu’est-ce qui attend les personnages au bout du voyage ? Un soleil translucide, de sombres nuages ou la reconquête de soi ?  

 * Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat  
(Cercle de littérature contemporaine)

Par Jean Zaganiaris *

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