Ecrire. Marguerite Duras

Lundi 6 Mai 2024

Marguerite Duras
Marguerite Duras
« Tout écrivait quand j’écrivais dans la maison. L’écriture était partout ». Tout baigné d’écriture sans jamais en sortir, tel devrait être le désir de l’écrivain au sens où l’entendrait Marguerite Duras.

A lire Ecrire de Duras (1914-1996), on comprend pourquoi elle affirme chez Bernard Pivot que « Sartre n’a jamais écrit ». Décisive cette affirmation, catégorique même et elle change notre conception de l’écriture.

En effet, un tel propos contre Sartre n’est ni une parole d’écrivain ni celle d’un provocateur. Preuve en est que Duras a consacré un livre sur l’écriture afin de s’en expliquer.
Et cela rejoint ce que Céline a dit lorsqu’il a été interrogé sur Giono, que «c’est insignifiant, insinue-il», avant d’ajouter que chaque génération connaît un seul écrivain, deux, trois au maximum.

Bien que ce soit difficile d’écrire sur l’écriture, il faudrait dire que Duras a relevé le défi. Au juste, en quoi est-il difficile d’écrire sur l’écriture ?

Comme c’est le cas chez un véritable peintre, n’étant pas en état de parler de sa peinture, il en va de même de l’écrivain qui se sent en état d’inertie dès qu’il s’agit de parler de l’écriture.

D’où le fait que, à écouter l’écrivain prenant au sérieux l’écriture, on soit frappé de remarquer qu’il a du mal à parler d’ELLE, sa Muse à lui, L’ECRITURE. Ainsi lui interdit-ELLE de prendre la parole sur ELLE, d’où il résulte qu’il ne trouve d’autres issues que de parler autour et avec détour, en profitant des personnages et de l’histoire entre autres.
Or qu’est-ce qu’écrire ?

Affaire de solitude, d’abord. Car il y a une « solitude de l’écriture », celle-ci est intimement liée à l’acte d’écrire.
« Il faut toujours une séparation d’avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C’est une solitude».

La solitude se crée par l’écrivain lui-même; il l’a faite pour lui, lui pour ELLE.
« On ne trouve pas la solitude, on la fait. La solitude, elle, se fait seule. Je l’ai faite ».
Pas seulement. Car l’écriture n’en demeure pas moins sauvage !
« Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie ».
Ironie exige !

L’écrivain se sent sauvage, et il y a de quoi! Après tout, c’est la meilleure façon d’ironiser jusqu’au bout. L’ironie, on le sait, c’est ce qui reste à l’écrivain quand on lui a tout pris.
Anselm Kiefer nous le dit : « Les artistes pensent toujours qu’il y a la possibilité de créer un nouveau monde », ce monde « d’avant la vie ».

Mais on n’a qu’à écouter Duras lorsqu’il s’exprime avec sagesse : « Qu’on casse tout et on recommence». Catégorique ! lui rétorqua-t-on, comme toujours !
Déception totale de l’écrivain, d’où sa solitude, qu’il se fait, qu’il est obligé de se créer. Il est obligé d’être seul tant qu’il n’y a plus personne avec qui parler.
Pas d’espoir pour lui, et il le sait. C’est le maudit, pour toujours !
C’est que sa place est dans l’écriture, c’est-à-dire, dans la solitude. Or, cette solitude est libre et elle n’a pas de limite. C’est le lieu de l’illimite, l’écriture. Elle incarne l’esprit de l’enfant qui croit que tout est possible.

Mais le sens de l’écriture ne s’arrête pas là pour Duras :
« Ça va très loin, l’écriture…Jusqu’à en finir avec… »
Et ce ne sont pas seulement les hommes qui écrivent, la mouche aussi !

« Autour de nous, tout écrit, c’est ça qu’il faut arriver à percevoir, tout écrit, la mouche, elle, elle écrit, sur les murs, elle a beaucoup écrit dans la lumière de la grande salle, réfractée par l’étang. Elle pourrait tenir dans une page entière, l’écriture de la mouche. Alors elle serait une écriture. Du moment qu’elle pourrait l’être, elle est déjà une écriture. Un jour, peut-être, au cours des siècles à venir, on lirait cette écriture, elle serait déchiffrée elle aussi, et traduite. Et l’immensité d’un poème illisible se déploierait dans le ciel ».
Et ça, pour être perçu, il y a besoin de folie, accompagnée de solitude, car « la solitude est toujours accompagnée de folie».

Vient enfin la délivrance qu’offre la nuit à l’écrivain, et cela n’est permis que par l’écriture. Il rend libre, écrire. Mieux : écrire est affaire de lucidité, une lucidité trouvant son point de départ dans l’ironie.

«La délivrance c’est quand la nuit commence à s’installer. Quand le travail cesse dehors. Reste ce luxe que nous avons, nous, d’en pouvoir écrire dans la nuit. Nous pouvons écrire à n’importe quelle heure. Nous ne sommes pas sanctionnés par des ordres, des horaires, des chefs, des armes, des amendes, des insultes, des flics, des chefs et des chefs. Et des poules couveuses des fascismes de demain ».

Par Najib Allioui
 

Najib Allioui

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