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Une névrose à deux

« L’exécuteur testamentaire » de Mohamed El Ouariachi Tani

Vendredi 13 Juin 2014

Une névrose à deux
Ce premier roman de Mohamed El Ouariachi Tani fait écho aux souffrances relatées par Dostoïevski…Comme dans « Crime et châtiment » (1866), où l’on assiste aux tourments de Raskolnikov suite au meurtre de la vieille prêteuse sur gage, « L’exécuteur testamentaire », pour une parodie d’une névrose à deux évoque la douleur de Mademoiselle S. L après le décès de son amant. Tout se déclenche lorsque le notaire apprend à la famille du défunt qu’une inconnue a été désignée par ce dernier pour gérer l’héritage et exécuter le testament. Lorsque la veuve rencontre cette maîtresse sortie d’outre-tombe, elle veut tout d’abord s’en prendre physiquement à celle qui lui a ravi son héritage. Mais, dès qu’elles se mettent à discuter dans un pub, la veuve est impressionnée par le caractère déconcertant de cette ravissante blonde, à la fois capable de sang froid mais dévoilant une fragilité intérieure. Elle souhaite cerner davantage la personnalité de Mademoiselle S.L. Une attirance homo-érotique semble s’installer entre les deux femmes : « Elle a senti une sensation incongrue la prendre en entière comme si elle était sur une parade amoureuse. Elle a eu honte d’elle mais en raisonnant par récurrence, elle a conclu que tout cela était naturel et cette envie par ailleurs involontaire est un cousin de l’agressivité intime qu’elle nourrit vis-à-vis de sa rivale qui mérite d’un autre côté d’être désirée et même pour une partie perverse » (p. 32).
D’emblée, ce sont les visages multiples d’Eros et de Thanatos qui mènent le bal. La veuve veut comprendre quel type de relation affective a pu avoir lieu entre le défunt et Mademoiselle S.L. Elle sait qu’elle a pris ses distances avec son mari mais en même temps, elle a du mal à accepter que ce dernier ait eu une liaison, dont elle n’a pas soupçonné l’existence. Le roman nous parle de la nature de cette relation mais en la définissant à partir des pensées de la veuve et de son univers mental, rempli d’interrogations mélancoliques et de vociférations outragées : « Cette femme est une libertine, une impie et son cher mari un banal dévergondé. Quoi qu’ils aient dit et même s’ils n’en finissaient jamais d’afficher des distances par rapport à leur grivoiserie ! Ils se sont bien vautrés dans leur luxure en toute impunité. Leur liaison clandestine restait maculée car c’est une relation extraconjugale, bannie par le bon sens et l’ordre en vigueur » (p. 69). La veuve est beaucoup trop pragmatique pour comprendre les relents passionnels de l’attirance amoureuse, qui défilent dans notre âme à la vitesse d’un cheval au galop. Elle n’est pas non plus névrosée et ne peut saisir l’intimité de cette union, même en lisant les lettres que son mari a écrites à Mademoiselle S. L. 
Au fur et à mesure, les pensées de la veuve laissent la place à celles de l’amante, qui rendent compte de la vulnérabilité habitant son esprit. Ce n’est pas tant une culpabilité rationnelle qui la ronge mais une névrose obsessionnelle qui l’empêche de se sentir bien. Mademoiselle S. L n’a pas vécu une relation charnelle avec le défunt : « Qu’ils se détrompent car ils n’ont pratiquement jamais quitté la cité ensemble pour des raisons si basses. Et puis, verser dans la luxure idiote et se livrer tambour battant à de telles macabres tâches lascives n’était pas leur apanage et l’adultère au sens commun n’avait jamais eu lieu ! Leur relation peut être considérée à ces moments et à bon escient comme chaste ! » (p. 102). Toutefois, elle souffre car elle sait que les sentiments de cet homme étaient en dehors du cadre d’une union maritale. C’est l’ambivalence de sa position et de la nature de cet amour qui la tourmentent. La névrose obsessionnelle l’entraîne vers des tendances masochistes, vers des situations où elle cherche à se faire du mal ou bien à faire du mal aux autres. Dans cette relation complexe avec la veuve, et ensuite avec son fils qui tombe amoureux d’elle, Mademoiselle S.L cherche à exorciser ses démons, à expier ce mal qui la ronge sans trop qu’elle sache pourquoi…Comme les personnages de Dostoïevski, elle cherche la rédemption dans un univers de souffrance dont elle ne parvient pas à s’enfuir…L’inconscient est orphelin, l’inconscient n’en fait qu’à sa tête…L’inconscient n’est pas un théâtre où l’on jouerait œdipe sur un quelconque divan marocain mais une machine qui produit des névroses, des fantasmes, des mondes terriblement humains… 
 
* enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat   
 

Par Jean Zaganiaris *

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