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Ouafa Hajji : Les femmes, vecteur essentiel du combat contre la montée en puissance des tendances conservatrices et fanatiques

La lutte se situe clairement aujourd’hui entre un projet sociétal qui s’inscrit dans le progrès, la démocratie et la reconnaissance de la primauté de la dignité humaine et les forces extrémistes


Jeudi 9 Juillet 2015

Voici le texte intégral de
l’intervention faite par Ouafa Hajji, présidente de
l’Internationale socialiste
des femmes, dans le cadre  
du deuxième thème :
«Notre compromis avec les Objectifs du développement
durable» lors de la réunion du Conseil de l’IS  tenue les 6 et 7 juillet au siège des Nations unies à New York.


Chers camarades et amis, 2015 constitue pour nous à l'Internationale socialiste des femmes, deux rendez-vous importants:
- Le vingtième anniversaire de l'adoption de la déclaration de la plateforme d'action de Beijing,
 -et l'adoption en septembre par l'AG de l'ONU de l'Agenda post 2015 dans le sillage de l'évaluation des objectifs du Millénaire pour le développement.
L'Internationale socialiste des femmes travaille depuis un an sur ces thématiques, a organisé ici même au sein de l'ONU plusieurs évènements et a produit deux documents qui résument ses positions et recommandations en la matière.
Concrètement, la situation mondiale milite en faveur de trois priorités urgentes pour que les femmes puissent s'autonomiser et retrouver ou consolider leur dignité:
 1/éliminer la violence, 2/éduquer et former pour libérer, 3/éradiquer la pauvreté.
Eliminer la violence : Selon une étude globale des données disponibles de 2013, 35% de femmes dans le monde ont connu soit la violence du partenaire intime ou la violence sexuelle de non-partenaires. Ces violences sont également verbales, physiques et psychologiques. Environ 140 millions de filles et de femmes à travers le monde ont subi des mutilations génitales féminines. Plus de 603 millions de femmes continuent de subir des normes sociales qui n’incriminent pas la violence domestique. Les femmes et les filles représentent 98% environ des 4,5 millions contraintes à l'exploitation sexuelle. Le viol est, par ailleurs, une tactique généralisée et systématique dans les conflits et les guerres. Eliminer la violence et œuvrer à la résolution des conflits constituent une mesure urgente pour une vie décente des femmes.
. Eduquer et former pour libérer :  Lorsque le niveau d’instruction moyen de la population d’un pays donné augmente d’une année, la croissance annuelle du PIB par habitant progresse de 2 à 2,5%  (Rapport mondial 2014 de suivi sur l'éducation, UNESCO). L'éducation-formation rend l'accès à l'emploi plus facile, augmente les chances d'intégration dans la société et constitue un facteur fondamental d'émancipation et de libération des potentiels,  ainsi qu'un enjeu de pouvoir, car la maîtrise du savoir est aujourd'hui une source de pouvoir.
L’éducation a été au cœur des questions de Beijing en 1995 et centrale pour les OMD. L’évolution de cette question a certes connu des avancées. En moyenne 89% des filles ont désormais presque autant de chances que les garçons d’être inscrites. Néanmoins, la scolarisation des filles est en retrait dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie occidentale et méridionale. Et les  femmes analphabètes représentent les deux tiers des 776 millions  d´adultes analphabètes dans le monde. En 2014, 31 millions de filles ne sont toujours pas scolarisées. Selon l’Unesco, plus de 15 millions d’entre elles n’iront jamais à l’école.
Cette situation entraîne des conséquences négatives sur le taux de pauvreté, la santé, la mortalité infantile ou encore le nombre de mariages précoces.
Eradiquer la pauvreté : 70% des pauvres sont des femmes. Le rôle des femmes dans la sécurité alimentaire, le bien-être des familles, l’agriculture est certes reconnu.  Mais l’accès à la terre, aux moyens de production, aux biens est encore trop faible dans certains pays et parfois même inexistant pour leur permettre une vie décente. Pour faire vivre, ou survivre, leurs familles, les femmes travailleront  dans le secteur informel, sans sécurité sociale ni protection des droits et subiront l’exclusion, les discriminations et la violence. Lutter contre la pauvreté implique de garantir aux femmes leurs droits d'accès aux ressources économiques.
Eliminer la violence, éduquer/former pour libérer et éradiquer la pauvreté sont les trois leviers clés pour atteindre tout objectif pour un monde meilleur qui garantit la sécurité et la dignité humaine.
Parallèlement à ces urgences, l'Internationale socialiste des femmes considère comme crucial de travailler sur des priorités conduisant vers l’émancipation des femmes :
1/ L’égalité :
 Le Programme d'action de Beijing a appelé les gouvernements du monde à appliquer, dans le droit et dans les faits, tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme, notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW).
188 pays ont ratifié la CEDAW mais seuls 105 ont ratifié son Protocole facultatif  qui offre aux femmes la possibilité de déposer un recours international en cas de violation de leurs droits fondamentaux. Vingt ans après Beijing, les discriminations définies par la CEDAW comme des «distinctions, exclusions ou restrictions fondées sur le sexe» à l’égard des femmes persistent dans tous les domaines (vie publique, marché du travail, accès aux ressources, violences dans la vie privée….). Les femmes continuent de rencontrer des obstacles à la jouissance de leurs droits fondamentaux, du fait de leur race, leur langue, leur origine ethnique, leur culture, leur religion, de leur statut (migrante, réfugiée, déplacée), parce que les gouvernements n'ont pas mis en place les mécanismes institutionnels nécessaires.
L'égalité n’est pas une utopie mais une condition pour toute société qui se veut juste et égalitaire et doit être transverse à toutes les politiques publiques et faire partie intégrante de notre projet social démocrate.
2/ La participation des femmes à la prise de décision politique, c'est-à-dire le partage du pouvoir: elle est une condition pour toute société qui se veut démocratique, et l'égalité de genre ne pourra être atteinte sans une participation paritaire à la prise de décision.
Deux engagements ont été pris à Beijing: Assurer aux femmes l’égalité d’accès et la pleine participation aux structures du pouvoir et de la prise de décisions, en mettant en œuvre des mécanismes de discrimination positive adaptés et en renforçant la capacité des femmes à participer pleinement  en développant par exemple leurs compétences.
Aujourd’hui, les résultats depuis 1995 sont encourageants mais restent marqués par de grandes disparités régionales. En 1995, « les femmes occupaient 11,3% des sièges parlementaires. Quinze ans plus tard, on comptait en moyenne 19% de femmes dans les Parlements, soit une augmentation d’un peu plus de 8% entre 1998 et 2009. En 2014, les Parlements, toutes chambres confondues, sont composés de 21, 8% de femmes» (Revue électronique Adéquation, 9 février 2015). En 2010, sur 192 chefs de gouvernement, seuls onze étaient des femmes. Sur le plan mondial, les ministères sont détenus à 16% seulement par des femmes.
La crise et les défis économiques que rencontrent de nombreux pays ont également eu un impact sur la progression des femmes en politique. Ainsi, les femmes perdent leur voix politique et leur capacité à influencer les politiques et la législation, mais la communauté politique au sens large perd aussi la valeur de leur contribution et de leur perspective. l'Internationale socialiste doit veiller auprès de ses partis membres à appliquer le quota déjà établi de 30% et les inciter à œuvrer pour inscrire la parité dans les Constitutions qui doit être un objectif prioritaire.
3/ La promotion de la culture de la démocratie, du respect des droits, dont ceux des femmes, et de la tolérance en tant que fondements du mieux vivre ensemble.  Lutter contre les stéréotypes doit prendre en considération les grands enjeux liés aux questions culturelles.  C’est une révolution à mener et qui doit donner aux femmes tous les droits dont celui du droit de prendre leurs propres décisions sur leur vie et leur corps.
La culture, en tant que facteur de changement et d'épanouissement des peuples, a été sous-estimée. Le retour en force de l'intolérance, de la radicalisation et des idées obscurantistes, des traditions occultes et de la non acceptation de l'autre et de ses droits sont autant d'éléments qui alimentent les tensions aujourd'hui  au sein des sociétés et entre les nations et constituent un obstacle culturel au mieux vivre ensemble. La culture doit être inscrite dans l'agenda socialiste en tant que facteur essentiel de progrès et de changement des mentalités.
4/Genre et médias
La Plateforme d'action de Beijing a appelé les gouvernements et les bailleurs de fonds à une plus grande participation et un meilleur accès des femmes à l’expression et à la prise de décisions dans et à travers les médias et les nouvelles technologies de la communication et à  promouvoir une représentation équilibrée et non stéréotypée des femmes dans les médias. Depuis Beijing, peu de progrès ont été réalisés. Les experts intervenants dans les médias sont essentiellement masculins. Seuls 21% des sujets – personnes interviewées ou dont il est question - sont des femmes. Cette absence de femmes est un stéréotype puissant. Les stéréotypes sexistes sont plus tenaces lorsqu’ils sont véhiculés par les médias. Ils impactent négativement à tous les niveaux particulièrement dans les pays en développement ou  dans les pays où les traditions pèsent lourdement sur le fonctionnement de la société. Les hommes apparaissent comme les seuls à pouvoir, ou devoir, accéder aux responsabilités politiques, économiques ou même religieuses. La répartition des tâches et des ressources persistent dans l’inégalité.
Les médias doivent  abandonner l'orientation sexiste actuelle et jouer un rôle plus important dans la sensibilisation du public à l’égalité de genre.
5/ La répartition équitable des revenus et des ressources entre les nations et entre  les femmes et les hommes afin de dépasser les déséquilibres mondiaux, régionaux et locaux et de prévenir les conflits dont l'essence est généralement économique.
La question de la mondialisation se pose également. Le modèle néo-libéral inquiète. Les femmes et les enfants en sont les premières victimes, et l'aide au développement n'est plus forcément au rendez-vous.  La période post 2015 devra probablement affronter les limites de l’aide publique au développement engrangées par la crise mondiale et rechercher de nouvelles sources de financement complémentaires telles que les ressources locales.
Cependant, la crise ne doit pas constituer un alibi pour remettre en cause le partenariat mondial pour le développement mais une occasion d’améliorer l’efficacité de l’aide et pour réfléchir à un nouvel ordre économique mondial plus équitable.
Telles sont, chers camarades, les voies et orientations que vos camarades de l'Internationale socialiste des femmes souhaitent vous voir adopter et inscrire à l'agenda de l'IS.
Cher(e)s ami(e)s
J'aimerai terminer en envoyant un message sur ce qui se passe devant nos yeux en ce début de millénaire. La montée en puissance des mentalités conservatrices concernant les droits humains en général et les droits des femmes  en particulier génère une remise en cause des espoirs de construction d'un monde plus égalitaire  et constitue un  réel danger de remise en cause des droits humains et des droits des femmes, vecteurs de la modernité.
Dans de nombreux pays du monde, les tentatives se multiplient pour éliminer les acquis de dizaines d'années de lutte des sociétés pour plus de démocratie et des femmes pour leur reconnaissance en tant que personnes ayant droit au respect de leurs droits, en particulier les droits à la vie privée et à l’intégrité physique qui sont une composante des droits universels inaliénables. J’en voudrais pour exemple l’accroissement effrayant des violences perpétrées à l’égard des femmes. Les cas se sont multipliés dans le monde et nous voyons progresser dans nos  sociétés  l’esprit d'intolérance, le fondamentalisme  et la régression des mentalités.
Dans ce contexte global, le combat se situe clairement aujourd’hui plus que jamais entre un projet sociétal s’inscrivant dans le progrès, la démocratie et la reconnaissance de la primauté de la dignité humaine, et les forces extrémistes et conservatrices de tous genres.  L'Internationale socialiste doit admettre que les femmes sont les actrices et le vecteur essentiel de ce combat commun pour contrecarrer la montée en puissance des tendances conservatrices et fanatiques, défendre les acquis et réaliser des avancées substantielles dans la consolidation des droits dans une conjoncture délicate pour le monde.


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