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Je t’aime Mélancolie

«Nous n’irons pas au paradis», paru en 2015 aux Editions Afrique Orient, est le troisième roman de Maria Guessous

Lundi 20 Juillet 2015

Un roman riche en émotions

Maria Guessous est une auteure connue non seulement pour des textes littéraires importants tels que « Une double vie » (La Croisée des Chemins, 2009) ou « Hasna ou le destin d’une femme » (La Croisée des Chemins, 2011) mais aussi pour ses présentations remarquées à l’occasion des conférences organisées par Le Cercle de littérature contemporaine. C’est elle qui, lors de l’hommage rendu à l’écrivain Mamoun Lahbabi, avait su rendre compte de la dimension féminine de son œuvre : « Des romans tels que Vie de brouillard pourraient avoir été écrits par une femme », avait-elle glissé malicieusement. Si nous devions rester dans ces logiques « queer » jouant à troubler le genre, au sens propre comme au figuré, nous pourrions dire que le dernier roman de Maria Guessous « Nous n’irons pas tous au paradis » (récompensé par le prix de la Tour et sélectionné pour le prix de la Mamounia) aurait pu être écrit par un homme. Un homme certes bien particulier, affranchi de la position hégémonique de sa masculinité et comprenant, comme Khatibi, que l’essentiel est dans notre androgynie intérieure ainsi que dans les errances perpétuelles de notre être. Une Odyssée traversée par la passion amoureuse de femmes cherchant à concilier leur hybridité intérieure, telle semble être la thématique de « Nous n’irons pas tous au paradis ». Le roman raconte deux histoires en parallèle. La première est celle d’Imane, jeune femme d’une trentaine d’années qui vit à Casablanca et part en France après s’être mariée avec Ahmed, un homme qu’elle connaît à peine. La seconde relate le portrait de Catherine, une Parisienne du même âge qu’Imane, qui tombe amoureuse de Youssef et envisage de se convertir à l’islam. 
L’amour anime l’esprit de ces femmes prenant conscience de la violence du temps qui passe : « Comment peut-on se réveiller un jour avec des rides heureuses alors que la veille on se voyait belle et jeune pour l’éternité ? Comment se rend-on compte subitement que l’avenir n’est plus devant mais derrière nous ? ». Pour Imane, la tension entre ses rêves romantiques et la triste réalité du mariage, avec un mari violent et rétrograde, la plonge dans une forte désolation. Pour Catherine, ce sont les apories de la passion prise dans les griffes de la banalité du quotidien qui vont la travailler. L’amour est censé être la plus belle chose du monde. Imane ne rêve que de cela. Quand elle se rend compte, lors de la nuit des noces, que son mari sera incapable de l’aimer, de désirer son corps avec passion, de chercher à la charmer avec des gestes ou des regards tendres, elle comprend son erreur. Elle n’aurait pas dû écouter sa tante lui disant que l’amour viendrait après le mariage. Comme on le voit chez Marguerite Duras, soit l’amour est là d’emblée, conjointement au désir, soit il n’arrive jamais. Avec Ahmed, Imane sait qu’elle est dans une voie sans issue. Celui-ci essaie de la plier à sa conception patriarcale de l’islam, en l’obligeant à se voiler pour montrer son respect à son mari et en la battant – citation du Coran à l’appui – pour l’éduquer dans le droit chemin. Elle croit trouver une échappatoire avec Karim, un jeune garçon romantique par qui elle se sent attirée, mais très vite elle comprend qu’elle n’a rien à attendre de lui. Le salut serait dès lors dans le religieux, comme Fatine, une femme portant le voile intégral, le suggère à Imane ? Oui, mais à condition de rester dans cette immanence reliant le croyant à Dieu et en s’affranchissant des injonctions humaines nous invitant à pratiquer la religion de la même façon qu’eux. De ce point de vue, le dernier roman de Maria Guessous est très proche de ce soufisme littéraire cher à Abdelkébir Khatibi. Tout est dans la pureté du cœur. 
On retrouve cet aspect dans l’évolution de Catherine. Au départ, elle multiplie les relations conjugales sans lendemain avec les hommes, prenant toujours le soin d’être à l’initiative de la rupture. Quand elle rencontre Youssef, gentil, prévenant et d’emblée amoureux d’elle, Catherine prend conscience du vide existentiel qui l’habite. Elle se sent attirée par cet homme tendre mais aussi fort, mystérieux. Elle aime ce qu’il intériorise pudiquement au niveau de ses sentiments et elle arrive à lire en lui comme un livre ouvert. Pour la première fois de sa vie, elle veut s’engager avec un homme, se marier, avoir des enfants. Mais lorsque Youssef présente une non musulmane à ses parents, ceux-ci restent froids et ont du mal à accepter le mariage mixte. Youssef décide de passer outre leur bénédiction mais Catherine sent que les choses seront plus aisées si elle prend la religion de son mari. Commence alors pour elle une réflexion intérieure en vue de sa conversion à l’islam, durant laquelle elle partage ses interrogations avec un imam parisien capable de lui apporter des réponses claires.
Imane et Catherine sont très différentes. Pourtant, elles semblent être les deux facettes d’une même personne se demandant si le jeu de l’amour en vaut la chandelle. Il y a quelque chose qui les rassemble : ce sentiment terrible d’avoir perdu des plumes en s’étant plongée dans la passion. On ne revient jamais indemne d’une liaison, quelle qu’en soit la nature. Est-ce que l’affranchissement suprême de l’aliénation est d’en finir avec les illusions de l’amour ? Oui, mais à condition de ne jamais renoncer à aimer, même avec mélancolie… 




Par Jean Zaganiaris Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat (Cercle de littérature contemporaine)

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