Driss Jaydane : Le travail essentiel dans l’écriture d’un roman est de produire un lieu de parole

Jeudi 17 Juillet 2014

Driss Jaydane : Le travail essentiel dans l’écriture d’un roman est de produire un lieu de parole
Driss Jaydane est un auteur de fictions, essais, nouvelles et chroniques, articles universitaires traitant de la question de l’identité, de la culture, et des rapports sociaux et de domination. Il dirige une collection, Le Royaume des idées à la Croisée des chemins. Il est aussi l’un des membres fondateurs de Marocains Pluriels, association à but non-lucratif de défense de la diversité culturelle.
 
Libé : Votre dernier roman, “Divan marocain” est sorti récemment. S’agit-il d’une exploration de l’âme humaine ? 
 
Driss Jaydane : C’est toujours un peu de cela qu’il s’agit, lorsqu’on écrit… Ce que j’ai voulu faire, dans ce roman, c’est produire une forme narrative et une écriture qui soient un peu la métaphore de la société marocaine, ma société… Pour cela, j’ai choisi un lieu, celui du rêve, ou plutôt du cauchemar. « Divan marocain » est donc une sorte de mauvais rêve pluriel. Pourquoi ? Car, comme dans un rêve, on ne peut  échapper à ce qui y est dit, à ce qui y est montré. Il me semble que nous vivons dans une société, et dans un moment, où la réalité, des réalités nous suffoquent, et donc que le réel soit nous échappe, soit ne nous intéresse pas. Le réel du rêve a ceci de puissant qu’il nous attrape, nous saisit, nous empêche de nous enfuir, en somme. Et c’est souvent pour cela que pour sortir d’un rêve qui nous montre, dans un langage inversé, tout ce que nous ne voulons pas forcément voir, nous nous réveillons en sursaut… « Divan marocain » est un mauvais rêve, j’espère qu’il intéressera le lecteur!
 
Cette œuvre se distingue des précédentes par la narration à la première personne, ce qui rend le récit plus direct et efficace, sans fioritures.
 
Le jour venu était déjà écrit à la première personne, mais l’usage que je faisais de la première personne relevait d’une forme classique, c’est-à-dire que le « je » était celui du narrateur. « Divan marocain » a ceci de particulier  que le narrateur y est à la fois unique, double, pluriel ; c’est un exercice différent. Cela autorise des changements de registre, de rythme, des ruptures, des reprises, et ce, malgré le fait que c’est toujours le même sujet qui parle.
 
Dans un roman, quelle part vous paraît-elle essentielle : l’intrigue, les lieux, les personnages, la structure ? Autrement dit, comment naît un roman, selon vous ?
 
Le travail essentiel, et donc le plus éprouvant, c’est de produire un lieu de parole, un « qui parle dans le texte ». C’est un travail d’introspection, il s’agit de se poser la question suivante : si je veux écrire sur tel ou tel sujet, produire un récit, un roman, une nouvelle, ai-je la force de devenir  « une voix », et cette voix peut-elle dire une vérité ? A partir du moment où cette voix se met à exister en vous, alors vous pouvez écrire quelque chose de légitime, vous êtes un artiste, et donc un écrivain. Sinon, vous pouvez raconter des histoires, cela dépend de votre maîtrise de l’ingénierie littéraire, et produire un livre tous les mois. Pour écrire, il faut d’abord être empêché, c’est-à-dire commencer par résister à ce qui veut parler en vous : une vérité. 
 
Vous avez une écriture très travaillée. Est-ce que vous faites passer l’écriture avant le contenu du message ?
 
Non, j’essaye de « trouver l’écriture ». C’est-à-dire faire ce que je décris dans ma réponse à votre question précédente. A partir de là, dès que j’ai trouvé – cela peut prendre six mois, un an, ou dix – le reste, la composition, suit. 
 
Considérez-vous l’écriture comme un art ?
 
Oui certains livres sont des œuvres d’art. « La Métamorphose », de Kafka, en est une. Voici un  livre qui raconte comment un matin, un homme, du nom de Grégor Samsa, se réveille changé en cafard, en un « énorme cancrelat », dit Kafka qui commence ce livre par « Au sortir de rêves agités », pour nous dire que l’histoire monstrueuse que nous allons lire n’est pas un rêve, pas un cauchemar, mais que cette affaire de métamorphose est bien réelle, qu’elle est le Réel. A tel point que le seul souci de notre homme, Grégor Samsa, n’est pas qu’il  était changé en cafard ;  sa véritable inquiétude, son cauchemar, en somme, c’est qu’il ne sait pas comment faire pour aller… travailler. En cela, Kafka nous prévient, il nous dit, génialement, « un jour, vous vous réveillerez vous aussi changés en cafards, mais ce qui sera essentiel pour vous sera de pouvoir retourner au bureau !
 
Avez-vous un nouveau roman en chantier. Quel en sera le thème? 
 
Oui, mais ce n’est pas encore assez abouti pour en parler !
 
Vous êtes également un des membres fondateurs de “Marocains Pluriels”. Quels sont les champs d’action de cette association ?
 
Marocains Pluriels n’a, au fond, qu’une seule fonction, celle de faire en sorte que le pléonasme « Marocains Pluriels » n’ait plus lieu d’exister. Je m’explique : toute culture, et ça c’est une évidence, est plurielle. Je ne connais pas de culture pure, garantie, sans autre influence… Mais il peut arriver qu’une société invoque à un moment donné de son histoire, une sorte de pureté. Qu’elle se rattache, qu’elle rêve, de ce qui en fait n’est qu’un cauchemar : une sorte d’unicité fantasmée, impossible, et toujours dangereuse. Car l’identité, ce n’est pas l’identique. 

Propos recueillis par Mehdi Ouassat

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