Festival des jeunes talents gnaoua, Moussem de la confrérie des gnaoua, expositions, foires commerciales, et grande affluence des visiteurs, à quelques jours seulement du Ramadan. Tels sont les faits marquants de la saison.
Essoufflée par nombre d'événements qu'elle abrite durant l'année, Essaouira saisit le mois de jeûne pour se réconcilier avec son calme légendaire et revivifier ses vieilles traditions et singularités ramadanesques, et propres à son identité faite de partage et de cohabitation. Pourtant, cet héritage qui est l'essentiel de l'âme et de la particularité de la ville, a été mal valorisé et préservé.
A l'instar des autres villes du Royaume, les foyers souiris entament leurs préparatifs par le culinaire spécial Ramadan. Ici, c'est la soupe qui fait la singularité du ftour souiri, outre celle marocaine préparée à base de féculents, persil et tomates. Beaucoup de foyers souiris ont une certaine préférence pour celle préparée à base de farine de maïs et de lait, ou même celle préparée à base de pâtes, lentilles, tomates et lait. Cependant, le poisson occupe une place centrale parmi les plats du jour. Certes, il se fait de plus en plus rare et cher depuis plusieurs années dans une ville connue pour son port et ses innombrables barques, mais il est toujours demandé par les familles, sinon, c'est le foie qui prend le relais.
Le moment de la rupture du jeûne avait toujours conjugué les valeurs de bon voisinage et de fraternité entre voisins et familles souiries. Ainsi les voisins échangent et partagent même ce repas symbole de la forte cohabitation entre musulmans et juifs qui n'hésitaient pas à venir partager le moment du "ftour" avec leurs voisins musulmans malgré son aspect religieux.
Je me souviens dans ce sens des propos d'une vieille souirie appelée Madame Aicha Ben Daoued. Elle nous avait confié qu'elle avait une voisine juive qui s'appelait Madame Chère. A chaque repas de rupture du jeûne, à chaque fête religieuse, elle frappait à sa porte, apportant plats et délices préparés à sa manière pour qu'elles se partagent ces moments spéciaux. En dépit de leurs différences religieuses, Aicha Ben Daoued la musulmane et Chère la juive se partageaient les occasions. C'était le cas pour le repas de la "skhina" que préparait Chère chaque vendredi soir, et en faisait goûter à sa voisine musulmane.
Avant et après la rupture du jeûne, les mosquées connaissent une grande affluence, surtout durant la prière d'Al Ichaa et "Tarawih" où il n'est pas toujours évident de trouver une place pour les retardataires surtout avec la fermeture de certaines mosquées pour réhabilitation.
Une fois la prière effectuée, les vieux connaisseurs des particularités souiries s'installent dans un café au cœur de l'ancienne médina, car c'est le moment de la "ghayta" ramadanesque qui dure une heure et demie. Des " gheyata" confirmés, maâlems hamdouchis pour la plupart d'eux, installés dans les minarets des mosquées Sidi Youssef et de la Kasbah et sidi Ahmed et Mohammad, jouent contre une indemnité assez dérisoire, plusieurs morceaux des Snayea du Madih et du samaa, des ksaids du malhoun et des morceaux des fameuses "Borda" et " Hamzeya", durant tout le mois de Ramadan à l'exception de la Nuit du destin. Mais cette tradition est en voie de disparition, car beaucoup de Maâlem ont cessé de jouer de leur " Ghayta " faute de considération morale et de récompense. Lors d'une rencontre avec "Libé " depuis deux ans maintenant, maâlem Abdelkabir Dabachi, un infirmier retraité âgé de soixante-quatre ans, maâlem hamdouchi, luthiste, violoniste, et enseignant des arts du malhoun à Essaouira, nous avait confié qu'il a cessé de jouer de sa Ghayta pour les raisons précitées.
" Hamzeya", des Snayea du Madih et du samaa, et des ksaids du Malhoun," on ne perçoit que 200 dirhams de la part de l'administration des Habous et des Affaires islamiques, pour l'exercice du mois de Ramadan ", s'indignait maalem Dabachi. Les "ghayata" sont généralement des gens pauvres, ils fournissent de gros efforts pour être à l'heure, et gratifier les habitants d'un jeu propre à Essaouira dont le nombre de mosquées qui abritent ce rituel est passé à deux seulement !", avait déclaré maâlem Dabachi.
A la mi-Ramadan, et à l'occasion de la Nuit du destin, le poulet "beldi" est bien coté dans les marchés de la ville, on négocie peu son prix abusif puisque les familles souiries en font leur repas principal durant ces deux nuits qui leur sont chères. Une atmosphère de piété, de fête, de tolérance et de paix règne dans les différents foyers et quartiers de la ville, comme de coutume, les Souiris visitent les cimetières la veille du 27ème jour du Ramadan.
Mais la Nuit du destin est marquée surtout par le rituel de la "bsissa" pratiqué et sauvegardé par certaines familles. Avant d'aller à la mosquée accomplir la prière des " Tarawih ", les femmes préparent un mélange à base de sucre, huile d'olive, gingembre, lait, et d'eau de rose qu'elles déversent dans tous les coins de la maison, suivi d'une " tabkhira ".
A cette occasion, les enfants sont aux anges. Ils sont au centre d'intérêt de leurs mamans qui les maquillent et habillent sans oublier la "Hanna" et le fameux voile "tackchmchit". Quand un enfant jeûne pour la première fois, il bénéficie d'un traitement assez privilégié de son quartier même. On lui prépare un "ftour" spécial composé de sept soupes qu'on cherche auprès des voisins pour lui attester de l'intérêt que portent ces derniers à ses efforts et son engagement religieux. Chez certaines familles, on servait le repas à l'enfant qui vient de rompre son premier jour de jeûne au bord d'un puits, comme on lui fait boire de l'eau dans la coquille de l'escargot réputé pour sa patience et sa persévérance.
Le " shour" est un repas à ne pas rater pour les familles souries. Avec nostalgie, de vieux amis souiris se souviennent du regretté Chichti ou "Jah Nbi". Avant le shour , il faisait du porte à porte, appelant les Souiris à se réveiller pour préparer leurs repas.
La fameuse "ghayta" reprend le tour des mosquées jusqu'à l'heure du "shour".