Trouver son génie : La mutation des métiers


Libé
Mercredi 8 Août 2012

Trouver son génie : La mutation des métiers
Nous savons aujourd'hui que 90% des métiers de demain sont inconnus et qu'il nous faudra sans doute changer plus de cinq fois de domaines au cours d'une vie active. Peut-on toujours dans ce contexte parler de métier?
L'hyper spécialisation du siècle dernier ne débouche-t-elle pas là sur quelque chose de complètement différent ?
L'âge Industrie-Commerce a obligé l'homme à se "spécialiser", l'âge de la Création-Communication l'implique dans son "génie". Il ne s'agit pas alors de telle ou telle performance effectuée avec brio comme les grands spécialistes savent le faire, il ne s'agit pas "d'ingéniosité", de "genium"; il s'agit d'être capable d'apporter au monde ce trait bien particulier qui fait que nous ne ressemblons individuellement à aucun autre être.
Il s'agit de trouver cette posture, source de notre aisance et de notre différence, qui est l'essence de notre être au monde et de notre bien-être.
Ce que l'on peut vénérer de plus noble dans l'esprit humain, la partie transcendante de l'homme dans laquelle il puise sa créativité : le génie au sens de "genius". Il est clair que dans un monde où les mutations ne font que déboucher sur des mutations encore plus radicales, il est fondamental, pour survivre dans la plénitude, d'atteindre en soi ce point essentiel où l'on accède à la permanence de soi.
On voit bien ici que nous sommes loin des "formations" ou des "écoles" spécialisantes de l'âge Industrie-Commerce, qui avaient l'avantage de nous éviter de nous poser trop de questions sur nous-mêmes.  L'inverse, c'est une recherche perpétuelle de nous-mêmes, une profonde et authentique quête intérieure que nous demande l'âge de la Création-Communication.
C'est à partir de cet ancrage dans notre génie que nous serons capables d'inventer notre "métier" ou plutôt notre "vocation" ou "talent" qui aura sans doute la curieuse caractéristique d'être unique.
De la même manière qu'à la fin de l'ère agraire a commencé la révolution industrielle, nous risquons de traverser une période assez troublée. En effet, les débuts de mécanisation de l'agriculture ont libéré beaucoup de main-d'oeuvre bien que l'industrie elle-même ne soit pas encore assez développée pour employer toute cette main-d'oeuvre. Cette époque de décollage de l'ère industrielle a été marquée par la migration vers les villes et un prolétariat déraciné et pauvre ; il a fallu que l'ère industrielle arrive à maturité pour que cette main-d'oeuvre massive soit assimilée et constitue petit à petit la classe moyenne grandissante assurant la consommation des biens produits par l'industrie.
Maintenant que la fabrication de ces produits peut être informatisée ou délocalisée vers des pays en voie de développement et que l'on arrive en même temps à une saturation de la demande solvable, le travail tend à nouveau à se faire rare.
Aujourd'hui, la relance hypothétique de l'économie ne changera rien au problème du chômage. Le chômage n'est pas lié à un ralentissement conjoncturel de notre économie, mais à une mutation structurelle qui ne fait que commencer et qui va précipiter, comme chacun le comprend ou le pressent inconsciemment, des milliers de personnes au chômage.
Que se passe-t-il derrière tout cela ? Si l'on étudie l'histoire de l'humanité, on s'aperçoit que c'est l'histoire d'un rêve. L'Homme a rêvé de voler, il a volé. Il a rêvé d'aller sur la lune, il y est allé. Depuis toujours, l'Homme a rêvé de se libérer des tâches laborieuses, il est en train de le faire à travers les robots et l'informatique.
Quelle honte à cela ? Précédemment, nous avons bien su nous libérer du travail de la terre qui, il y a à peine un siècle, occupait la majorité d'entre nous. Aujourd'hui nous fonctionnons encore sur les modèles philosophiques et économiques de l'aube de l'ère industrielle alors qu'il nous faut inventer un modèle postindustriel.
Libéralisme, communisme et socialisme sont des modèles issus du dix-septième siècle alors que l'homme essayait d'imaginer une économie de production industrielle de masse en émergence Ces modèles ne peuvent plus rendre compte de la réalité actuelle, la production industrielle est de plus en plus démassifiée, et surtout, à cause des phénoménaux gains de productivité à travers l'informatique et la robotique, elle est de moins en moins créatrice d'emplois et de valeur ajoutée. C'est "la fin du travail" au sens où on l'entend dans la société industrielle, et donc de la valeur du capital en tant que levier d'investissements productifs : et pour cause, les monnaies ne servent plus que de manière statistiquement infime dans les échanges et les investissements matériels. La plus grande part ne servant qu'à gonfler la bulle spéculative du marché monétaire lui-même (qui représente 300 fois les investissements dans le marché des actions ou celui des matières premières).  
(A suivre)
A la fin de l'ère Agriculture-Elevage, en France et dans toute l'Europe, nous avons vu l'ordre monarchique ancien petit à petit perdre tout sens dans des jeux de cour mondains ou des guerres de tranchées précipitant la misère. De même aujourd'hui, à la fin de l'ère industrielle, nous voyons l'ordre économique industriel perdre sens, emporté par la spéculation et les logiques de dumping et de concurrence exacerbées qui précipitent la misère.
A la fin de l'ère Agriculture-Elevage, la formation de la conscience régionale et nationale, la saturation des terres opérée par la population grandissante, rendaient grotesque la logique guerrière qui légitimait les systèmes monarchiques.
Il fallait inventer une nouvelle économie, qui permette de libérer les échanges et la science en émergence. De même aujourd'hui, notre système économique, qu'il soit de droite ou de gauche, apparaît barbare face à la fin de la civilisation du travail. Il nous faut changer les bases mêmes de notre raisonnement, de notre système de valeurs. Il y a un gigantesque effort de créativité et de communication pour rendre conscients les immenses enjeux de ce siècle et y trouver des solutions nécessairement innovantes. La classe moyenne, fondement de la solvabilité des marchés de masse, s'appauvrit partout dans les pays avancés, ce qui précipite d'autant plus la crise. Ford avait compris à l'aube de l'ère industrielle, que c'était la richesse des employés qui assurait la solvabilité d'un marché de masse pour ses produits.
C'est ce cercle vertueux qui a alimenté le décollage industriel, libéral aussi bien que socialiste ou communiste. Mais qu'arrive-t-il quand, comme aujourd'hui, la quantité de main-d'oeuvre n'est plus corrélée à la productivité, sinon de manière inversement proportionnelle ?
Alors le cercle vertueux devient un cercle vicieux, où plus de productivité veut dire moins de travailleurs, donc moins de clients solvables. Les prix des biens industriels s'effondrent, comme s'est effondrée durant tout le dernier siècle, la part relative du budget consacrée à la nourriture et aux achats du type Agriculture-Elevage. Automobiles, télévisions, réfrigérateurs, ordinateurs sont banalisés. La nouvelle génération les associe au monde "naturel" comme notre génération considère comme "naturel" de manger à sa faim, ce qui était encore un luxe au siècle précédent.
Pendant un million d'années de Chasse-Cueillette, l'Homme a eu comme motivation la survie; l'Agriculture-Elevage, pendant 10.000 ans, a été une manière d'augmenter sa sécurité; l'ère Industrie-Commerce, en un siècle, a permis d'optimiser définiti vement la sécurité et de développer la sociabilité à grande échelle. Au-delà du besoin de sociabilité que nous ont procuré réfrigérateurs, voitures, télévisions et téléphones, le quatrième besoin, selon le sociologue Maslow, est le développement personnel.
L'ère post-industrielle devait voir émerger une économie basée sur les échanges culturels, le développement artistique et spirituel de l'Homme.
Déjà aujourd'hui, l'échange d'informations des êtres humains sur la planète double environ tous les quatre ans alors que l'économie de biens matériels stagne.
Les échanges immatériels explosent mais ces échanges sont bien souvent peu capitalistiques et difficilement mesurables en termes économiques classiques.
Ecrivains, savants, musiciens, inventeurs, animateurs, conférenciers, tous les métiers à forte valeur ajoutée et peu capitalistiques se multiplient. Leur réussite ne s'appuie pas sur une prise de pouvoir hiérarchique, mais sur l'audience qu'ils reçoivent.
Contrairement à l'ère industrielle, ce nouveau tissu économique est fortement démassifié et repose sur la valorisation des singularités.
Tandis que l'entreprise industrielle se vide des acteurs de sa production, les réseaux créatifs se gonflent d'auteurs de l'innovation.
Dans l'ère de la Création-Communication, on peut imaginer que l'Homme ait le même intérêt pour le développement de sa conscience qu'il en a eu pour le développement technologique dans l'ère industrielle
On peut imaginer que petit à petit se développe un véritable marché de la conscience et que toute une nouvelle économie, basée sur le loisir, le divertissement, apporte la création de multitudes d'emplois nouveaux aussi éloignés de l'ère industrielle que le sont les emplois de l'ère industrielle des emplois du type agraire.


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