Tabata Amaral, le nouveau visage de la gauche brésilienne

La Chambre des députés n'est pas habituée à la présence des femmes et ça se voit, c'est comme si on était un corps étranger qu'on voulait expulser


Mercredi 24 Avril 2019

À seulement 25 ans, Tabata Amaral a déjà eu une vie bien remplie, entre son enfance pauvre à Sao Paulo, la mort de son père toxicomane, des diplômes à Harvard et, plus récemment, un siège de députée de centre gauche au Brésil.
"Le chemin que j'ai parcouru est bien plus tortueux que celui que les autres ont emprunté pour arriver ici", explique à l'AFP la parlementaire du Parti démocratique travailliste (PDT) lors d'un entretien à la Chambre des députés de Brasilia.
Son profil détonne dans un Congrès très majoritairement masculin, marqué par la vague ultra-conservatrice qui a porté au pouvoir le président d'extrême droite Jair Bolsonaro en janvier.
Diplômée de sciences politiques et d'astrophysique à Harvard, son principal cheval de bataille est la lutte pour une éducation de qualité dans un pays aux inégalités béantes.
La jeune députée s'est retrouvée sur le devant de la scène fin mars, lors d'une passe d'armes dans une commission parlementaire avec le ministre de l'Education Ricardo Velez, limogé depuis.
"En un trimestre, ce n'est pas possible que vous n'ayez pas présenté le moindre projet (...) Où sont les projets, où sont les objectifs?", lui avait-elle lancé, avant de réclamer sa tête.
Le ministre, philosophe ultra-conservateur qui était sur la sellette en raison de couacs à répétition, a fini par quitter le gouvernement une semaine plus tard.
Selon elle, les Brésiliens éprouvent de l'"angoisse" face aux "écrans de fumée" d'un gouvernement "qui ne fait rien dans la pratique, ampute les budgets et donne la priorité aux questions idéologiques".
Fille d'un employé d'une compagnie d'autobus et d'une femme de ménage, Tabata Amaral a grandi à Vila Missionaria, quartier sensible de Sao Paulo.
Dès son plus jeune âge, elle a vu l'école comme une façon d'échapper aux statistiques dramatiques de la criminalité et des problèmes de drogue dans son quartier, qui ont coûté la vie à son père et à nombre de ses amis.
Grâce à son talent pour les mathématiques, elle a obtenu une bourse dans un collège privé de Sao Paulo et a remporté de nombreux concours nationaux et internationaux.
Une autre bourse lui a permis d'étudier à Harvard. Une fois diplômée de la prestigieuse université américaine, en 2016, elle est rentrée à Sao Paulo pour se consacrer à une ONG visant à promouvoir une meilleure éducation au Brésil.
Deux ans plus tard, la jeune femme blanche aux cheveux mi-longs châtain foncé s'est lancée en politique avec une victoire facile aux élections législatives qui lui a permis d'obtenir un siège de députée fédérale en octobre 2018.
La jeune parlementaire a pris ses fonctions début février, dans une Chambre basse où les femmes n'occupent que 77 des 513 sièges, avec une moyenne d'âge frôlant les 50 ans et très peu de Noirs, d'Indiens et de personnes issues des classes populaires.
"Les femmes, les jeunes et les gens des quartiers difficiles sont des oiseaux rares au Congrès. La Chambre des députés n'est pas habituée à la présence des femmes et ça se voit, c'est comme si on était un corps étranger qu'on voulait expulser", raconte-t-elle.
"Les premiers jours, on tentait souvent de m'empêcher d'accéder à la Chambre, on me demandait si j'étais vraiment députée. Et en séance plénière, d'autres députés me demandaient si j'étais mariée, si je venais d'une grande famille", raconte-t-elle.
Le chef de file de son parti, Ciro Gomes, qui a obtenu le troisième score à l'élection présidentielle, la considère comme un "trésor" à l'avenir politique brillant.
Le président du PDT, Carlos Lupi, envisage même de la lancer dans la course pour la mairie de Sao Paulo, la ville la plus riche et la plus peuplée du Brésil, en 2020.
C'est une figure montante d'une gauche en quête d'une nouvelle identité depuis les problèmes de corruption du Parti des Travailleurs (PT), au pouvoir de 2003 à 2016, et dont le leader, l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, est en prison depuis plus d'un an.
Tabata Amaral préfère se définir comme une "progressiste" et n'est en aucun cas une inconditionnelle de Lula, lui aussi issu d'un milieu pauvre.
"Pour une personne qui a grandi dans un quartier difficile, le fait d'avoir eu Lula pour président représente beaucoup de choses, mais ça me rend triste que notre politique ait été autant marquée par la corruption ces dernières années", déplore-t-elle.


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