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“Srbenka”: les cicatrices persistantes du passé croate

La guerre d’indépendance entre Croates et forces serbes a fait environ 20.000 morts entre 1991 et 1995


Libé
Mercredi 18 Juillet 2018

“Maman, je suis une Srbenka?”. Enfant de Croatie, Nina Batinic ne connaissait même pas le mot exact pour désigner une femme serbe (Srpkinja) quand elle a appris qu’elle en était une, révélation qui l’a plongée dans le désespoir.
Dans le documentaire “Srbenka”, primé en mai au Festival Visions du Réel à Cannes, le réalisateur Nebojsa Slijepcevic s’appuie sur cette adolescente, aujourd’hui âgée de 16 ans, pour raconter une génération qui n’a pas connu les guerres balkaniques des années 1990 mais est profondément marquée par leur héritage.
Nina est “victime de quelque chose” dont une enfant “ne devrait pas avoir conscience: son appartenance ethnique”, dit à l’AFP le réalisateur. “A mes yeux, qu’un enfant né en Croatie tant d’années après la guerre pleure parce qu’il n’est pas ethniquement croate est quelque chose d’horrible”, poursuit ce natif de Zagreb.
Pour rejoindre l’Union européenne en 2013, Zagreb avait dû offrir des garanties sur la protection des droits des minorités, notamment serbe.
Mais les relations entre les Croates et la minorité serbe restent fragiles et tendues, plus de 20 ans après la guerre qui avait suivi la proclamation d’indépendance en 1991 de la Croatie, à laquelle s’étaient opposés les rebelles serbes.
Une pétition organisée par un groupe de citoyens marqués à droite, vient de réunir plus de 390.000 signatures, soit 10% de l’électorat, pour réclamer une réduction des droits des Serbes prévus dans la Constitution.
Nebojsa Slijepcevic a rencontré Nina alors qu’il filmait une pièce de théâtre dans laquelle jouait cette enfant, sur l’affaire Aleksandra Zec, un des épisodes les plus sombres de la guerre d’indépendance croate contre les forces serbes soutenues par Belgrade (1991-95).
Après avoir assisté à l’exécution de son père par des paramilitaires croates à Zagreb, Aleksandra Zec, 12 ans, avait été assassinée de six balles dans la tête, avec sa mère. Les cinq tueurs sont connus, ont reconnu les faits, mais n’ont jamais été condamnés, pour des questions de procédures.
Filmant des répétitions de la pièce, Nebojsa Slijepcevic, 44 ans, remarque une petite fille étrange, qui semble éviter son objectif, se mord les lèvres. C’est Nina. “Quelques jours plus tard, j’ai appris son histoire”: “Des quatre petites actrices, elle était la seule serbe et se souvenait du jour exact où elle avait appris qu’elle n’était pas croate”.
Alors qu’elle avait 7 ans, cette enfant de la ville côtière de Rijeka a surpris une conversation entre ses parents. Elle a pleuré des jours entiers, craignant la vindicte et le harcèlement de ses camarades. “Je n’étais pas contente du tout... J’essayais de trouver des moyens pour montrer aux autres que j’étais croate, pas serbe”, se souvient-elle.
“J’ai rêvé que j’étais Aleksandra Zec, que j’avais une soeur et que je la tuais”, dit encore Nina.
Mise en scène par Oliver Frljic, la pièce sur l’assassinat d’Aleksandra Zec avait suscité une violente controverse lorsqu’elle avait été présentée en 2014 à Rijeka, beaucoup réclamant “une pièce sur les victimes croates”.
La guerre d’indépendance entre Croates et forces serbes a fait environ 20.000 morts entre 1991 et 1995, dont des milliers de civils. Si beaucoup de Serbes ont quitté la Croatie, cette minorité est toujours la principale du pays, les Serbes comptant pour 4% des 4,2 millions d’habitants.
“En Croatie, c’est difficile d’appartenir à une minorité, quelle qu’elle soit, homosexuels, demandeurs d’asile...”, dit Nebojsa Slijepcevic. A ses yeux, le problème ce n’est pas tel ou tel incident, rapporté par les médias (“Il y a des imbéciles partout”), mais la complaisance des élites politiques.
Dans un climat où l’extrémisme et les tensions se sont accrus ces dernières années, le pouvoir politique se montre de fait peu prompt à réagir.
La tolérance vis-à-vis des discours de haine et des expressions de soutien au régime pronazi oustachi durant la Seconde Guerre mondiale, “tout cela crée une atmosphère qui effraie les gens à juste titre”, dit Nebojsa Slijepcevic. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Oustachis massacrèrent serbes, juifs, roms et opposants croates au camp d’extermination de Jasenovac, considéré comme l’”Auschwitz croate”.
Présentant le 21 mai devant des journalistes un rapport annuel sur les violences et les discriminations dont sont victimes les Serbes en Croatie, le chef politique de la communauté serbe et député au Parlement croate Milorad Pupovac a dénoncé le fait que, “pour la quatrième année consécutive, les discours de haine, les appels à la violence dans ses différentes formes, les discours d’intolérance et le révisionnisme historique ont pris racine et sont tolérés dans l’espace public et la communication institutionnelle”.
Le réalisateur Nebojsa Slijepcevic, lui, est convaincu que le problème dépasse son pays, avec une “xénophobie et un nationalisme en croissance en Occident depuis quelques années”.
“Le public étranger ne vient pas juste voir un film entre Croates et Serbes, ou sur les minorités en Croatie, mais semble y trouver une sorte de miroir”, dit-il. Primé à Cannes mais aussi au Festival documentaire de Sarajevo, “Srbenka” sera proposé au public croate en septembre.


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