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Reportage dans un centre d’hémodialyse : La vie suspendue


Reportage réalisé par Narjis Rerhaye
Samedi 21 Mars 2009

Reportage dans un centre d’hémodialyse : La vie suspendue
Allongés sur des lits aux draps immaculés, des casques sur la tête, ils regardent la télévision.
Un programme, une émission, peut-être une chaîne d’informations en continu. Le bras tendu, ils sont suspendus à des fils, des tuyaux et au bout une machine. Et c’est cette machine, le générateur de dialyse, dernier cri de la technologie, qui va leur donner 24 heures de répit, leur permettre de vivre un peu plus longtemps.
Ce jeudi matin, c’est jour ordinaire dans ce centre privé d’hémodialyse de la capitale. Une dizaine de malades ont pris place pour une séance matinale qui durera 4 heures. Ils sont tous au stade terminal de l’insuffisance rénale.
 Leurs reins ne fonctionnent plus et ne jouent plus donc la fonction de passoire qui est la leur. Résultat, les déchets de l’organisme ne sont plus éliminés. « A ce stade, le malade va très mal. Il n’urine plus du tout, sinon de l’eau.
L’hémodialyse devient alors indispensable et elle est prescrite à vie, parce que la machine, le temps d’une séance, joue le rôle du rein qui ne fonctionne plus », explique Dr Hind Chaair, spécialiste en hémodialyse et maladies rénales.
Pour l’hémodialysé, c’est un long parcours du combattant qui commence. « On voit les choses venir. Le patient traité pour une insuffisance rénale avancé peut basculer. Le traitement médical parvient à ralentir la progression de l’insuffisance rénale, pas à la guérir.
On prépare doucement le malade. Parfois, il faut jusqu’à une dizaine de séances pour qu’il admette la nécessité vitale de l’hémodialyse. Ce n’est jamais un moment agréable que d’annoncer la chose », explique notre interlocutrice à la blouse blanche.
Le malade est préparé. Psychologiquement mais aussi médicalement. En fait, on prépare surtout son bras, généralement celui dont il se sert le moins, pour une fistule artério-veineuse. P
lus prosaïquement, sa veine est grossie pour pouvoir être piqué et, surtout, branché à la machine qui filtrera, 4  longues  heures durant, son sang.

L’emploi du temps de l’hémodialysé

Trois fois par semaine, ces hommes et ces femmes, toutes catégories socio-professionnelles confondues, doivent se prêter à ce rituel. « C’est contraignant. Il y a un emploi du temps de l’hémodialysé. Il y a ceux qui viennent le matin, ceux l’après-midi et certains pour des séances du soir. Les patients apprennent à s’organiser. Il faut savoir que parmi eux, on retrouve des personnes qui travaillent, des fonctionnaires, des enseignants, des commerçants. Les profs en profitent pour corriger les copies de leurs élèves.
 Il y en a qui surfent sur Internet alors que d’autres regardent simplement la télé… », indique cette spécialiste en nous faisant visiter son centre, une structure de petite taille, qui accueille en moyenne 16 patients par jour et emploie une dizaine de « paramédicaux ».
Les contraintes s’installent, pour la vie. Plus le droit de manger des fruits frais ou secs car riches en potassium, cet ennemi déclaré des reins. Plus le droit de boire plus qu’une demi-bouteille de liquide, soupe y compris, dans la journée. Face à ce nouveau régime et cette nouvelle vie « alimentaire », les hémodialysés multiplient les astuces, comme sucer des glaçons pour calmer la soif. Et puis, il y a ces trois jours de la semaine, ces 4 heures de dialyse, où les écarts sont permis.
 « On peut même manger des fruits », lance cette vieille dame en montrant son bol de fraises. Un rare privilège dans une telle pathologie.
« C’est  vrai que nous pouvons permettre ce genre d’écart parce que la machine élimine l’excès. Avant la séance,  le patient est pesé. Nous calculons le surplus qu’il doit perdre  en comptant également le repas qui lui est servi pendant la séance », précise Dr Chaair.
Une quinzaine de centres privés d’hémodialyse ont ouvert leurs portes entre Rabat et Salé. Un investissement lourd –Dr Hind Chaair a par exemple procédé à l’installation d’une véritable station d’épuration d’eau qui transmet vers les machines de dialyse une eau pure et stérilisée-, des consommables en quantité, des filtres, …
Bref tout y est jetable pour des raisons évidentes de sécurité du malade. «J’ai même prévu des poubelles spéciales pour l’incinération de tout ce que nous jetons après utilisation. Ça, c’est un souci personnel », souligne la directrice de ce centre d’hémodialyse de Rabat, à un jet de pierres du Mausolée Mohammed V.

L’insuffisance rénale terminale, un problème de santé publique

Au Maroc, et au regard du niveau de vie et du pouvoir d’achat des citoyens, l’hémodialyse coûte cher, entre 850 et 900 dhs la séance. En France, et à titre de comparaison, une telle séance coûte encore davantage pour se situer aux alentours de 200 euros.
L’insuffisance rénale avancée est un problème de santé publique. Les autorités sanitaires en ont pris conscience depuis une quinzaine d’années déjà. Les séances de dialyse sont entièrement prises en charge par les organismes publics, essentiellement la CNSS, la CNOPS et la mutuelle des Forces Armées Royales.
A cela, vient s’ajouter le traitement médical qui doit nécessairement accompagner l’hémodialyse, 5 à 6 médicaments quotidiens, généralement du calcium, de la vitamine D et un traitement contre l’anémie qui coûte à lui seul un peu plus de 6000 dhs la boîte.
« Sans parler des hypertenseurs indispensables  au  patient qui  fait de la tension ou des médicaments contre la glycémie quand il est diabétique. Un pic de tension ou une glycémie en folie, et c’est reparti pour une galère », prévient cette spécialiste en hémodialyse.
On le sait, les prises en charge ne sont pas généralisées et des milliers de Marocains ne jouissent d’aucune sécurité sociale. Ces insuffisants rénaux arrivés en stade terminal, sans revenus et sans protection sociale, rencontrent de plus en plus souvent sur leur chemin, des associations qui se battent pour des séances d’hémodialyse.
Des associations de plus en plus nombreuses qui, fort heureusement, s’activent dans les grandes villes du Maroc : Rabat, Casablanca mais aussi El Jadida, Laâyoune, etc.  « Grâce à des bienfaiteurs, de telles associations arrivent à prendre en charge deux séances de dialyse par semaine, au lieu de trois. Mais, c’est toujours ça de gagné contre la faucheuse ».
Ce jeudi 19 mars, c’est presque jour ordinaire pour ces hommes et femmes condamnés à l’hémodialyse. Le bras tendu, les yeux rivés sur la télé suspendue, ils ne pensent plus qu’aux prochaines 24 heures. Vendredi, ce sera une journée sans. Un jour sans dialyse. La vie normale. Enfin presque.

Prévention et médecine du travail

En matière d’insuffisance rénale, la prévention existe même si chez nous la médecine du travail tarde à la rencontrer. Une prise de sang, la mesure de la tension artérielle et le médecin est fixé quant aux risques chez un sujet hypertendu ou diabétique sans le savoir. Parce que l’hypertension et le diabète peuvent provoquer une insuffisance rénale, la prévention en la matière est loin d’être coûteuse. Une visite annuelle pourrait éviter un long et douloureux parcours du combattant. « Si la médecine du travail était performante dans notre pays, cela nous aurait évité bien des catastrophes », conclut cette blouse blanche.


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