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Reportage : La fatalité n’est pas la seule responsable dans l’incendie mortel de Casablanca

Des témoignages accablants contre les sapeurs-pompiers


Hassan Bentaleb
Mardi 7 Mai 2013

Reportage : La fatalité n’est pas la seule responsable dans l’incendie mortel de Casablanca
Amina ne peut plus prononcer un mot. En larmes, elle s’est adossée au muret, les yeux rivés sur le portail du service des urgences de l’Hôpital provincial de Ben M’sick. De temps à autre, elle se met sur la pointe des pieds pour voir ce qui se passe à l’intérieur.  Sa mère,  ses deux frères, sa sœur et un proche de la famille sont de l’autre côté entre la vie et la mort. Ils ont été victimes d’un incendie qui s’est déclaré le matin dans la sous-pente d’un garage du quartier Khaled à Sbata (Casablanca) où la famille Bourrada vit depuis plus de 40 ans. Selon les premières constatations, cet incendie serait dû à une déflagration de gaz qui a détruit ce garage et bloqué sa porte d’accès  vers l’extérieur, bloquant cette famille au milieu des flammes.
En silence, Amina se relève et commence à errer entre les ambulances sous le regard de ses proches et voisins venus l’assister dans son calvaire. Amina ne veut qu’une chose : avoir des nouvelles.
L’heure s’approche de 15h00. Un officiel dépasse le cordon de policiers mis en place devant l’entrée des urgences et avance vers Amina pour lui annoncer  que  les cinq membres de sa  famille ont succombé à leurs brûlures et que les autorités vont garder les dépouilles pour autopsie. Il a suffi de ces quelques mots pour que le lieu se transforme  en scène d’hystérie collective. En effet, le drame a été dur à supporter.  Il a coûté la vie à deux jeunes hommes âgés de 18 et 20 ans, à une fille de 13 ans, à un enfant de 6 ans ainsi qu’à leur mère.
« La maman a été la première à avertir du feu et elle a été également la première à vouloir l’éteindre. Mais, l’incendie a été plus redoutable à cause des pneus et des arbres plantés n’importe comment à l’entrée du garage qui ne dépasse pas les 24 m2 et ne dispose pas de fenêtres. Ce qui a compliqué davantage l’opération de sauvetage », nous a déclaré l’un des habitants du quartier.   
Les premières personnes à être intervenues sur le lieu du sinistre ont découvert cinq dépouilles sérieusement ravagées par le feu. « C’est affreux. La scène a été horrible et dépasse tout entendement.  L’image des corps carbonisés et l’odeur de la chair brûlée me hantent encore», nous a confié Khaled. « Il a fallu beaucoup de courage pour assister à cette scène. Particulièrement lorsqu’on a vu le corps de notre ami Tabet consumé par le feu. C’était atroce et une vraie torture morale», nous a raconté Mouhsine, un ami de Tabet.
Mouhsine se souvient également de ses dernières heures avec le défunt. « On est restés connectés jusqu’à 4h00 du matin et on  avait prévu de jouer un match de foot le matin. Mais, le destin en avait décidé autrement », s’est-il désolé. Un regret que partage fortement Samir, un autre ami de Tabet. «  On est passé ce matin à côté de sa maison mais on n’a pas jugé bon de le réveiller pour jouer avec nous. Aujourd’hui, je me sens mal d’avoir agi de la sorte », nous a-t-il lancé avant de s’effondrer en larmes.
Pourtant, les habitants du quartier sont unanimes. La famille Bourrada aurait pu être sauvée si les agents de la Protection civile étaient intervenus à temps. « On a appelé les secours à plusieurs reprises mais il a fallu près de deux heures pour que les pompiers arrivent sur place », a précisé l’un des habitants. Une arrivée qui ne sera pas couronnée de succès. En effet, les services de la Protection civile ont dépêché sur place trois pompiers mal équipés et peu motivés comme en  ont attesté plusieurs témoins du drame. « Les pompiers étaient là, mais à  vrai dire ils n’ont rien fait. Ce sont les jeunes du quartier qui ont pris l’initiative et  ce sont eux qui se sont portés volontaires et, avec les moyens du bord, ils ont pu éteindre le feu», a constaté un habitant. «  Ma famille a passé deux heures en enfer en souffrant le martyre sous le regard indifférent des pompiers », a crié Amina. Pas le temps de dire plus, la voilà coupée par son voisin : «Les pompiers n’ont d’abord pas voulu accéder à l’intérieur du garage et même quand ils l’ont fait, ils en sont vite sortis en déclarant qu’il n’y avait personne dans la maison ». Notre source a ajouté que même après l’arrivée d’un second camion de sapeurs-pompiers, la situation n’a pas changé puisque sa citerne était vide. « Est-ce que vous imaginez qu’un véhicule destiné à éteindre le feu puisse se déplacer sans eau ? C’est lamentable », a déploré un témoin.    
On n’est pas remonté uniquement contre les pompiers mais également contre  les services d’urgence de l’Hôpital provincial de Ben M’sick. Les habitants du quartier ont déploré l’existence d’une seule ambulance qui a dû faire  des allers-retours entre le lieu du drame et les urgences. Pire, elle n’était  pas équipée de bouteilles d’oxygène. «  Le petit Abdessamî (l’un des victimes) aurait pu être sauvé s’il y avait de l’oxygène dans l’ambulance puisque quand on l’a sorti, il était encore vivant », s’est  lamenté un proche de la famille.
Les voisins ne comprennent rien. Jusqu’à une heure tardive de la nuit, ils ont été des centaines à affluer sur le lieu du drame. Ils ont été là à constater les dégâts et à rendre un dernier hommage à ces  victimes. Les traces d’une fumée noire recouvrent encore l’entrée du garage où les cinq corps ont été trouvés calcinés et l’odeur de la mort plane toujours sur les lieux.
Tout le monde se demande comment un tel drame a pu se produire et comment cinq personnes ont péri dans l’indifférence.  Les habitants du quartier en veulent à tout le monde, aux pompiers, à la police, à l’Etat, au gouverneur, aux édiles de la ville et même au gouvernement. « Benkirane doit partir », « A quoi sert-il d’avoir un tramway ou un TGV lorsqu’on n’a même pas des ambulances équipées comme il se doit ?», crient les uns. « Aux Etats-Unis, les pompiers  sont capables de faire l’impossible pour sauver des vies alors que ceux de chez nous n’ont même pas d’eau au bout de leurs tuyaux », se lamentent  d’autres.  Tout le monde dit tout et n’importe quoi. Une manière d’extérioriser une colère qu’on a du mal à refouler. Question également de se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qui pèse lourd  sur certains amis proches de Tabet qui s’apprêtait à passer son bac. Un sentiment qui s’est amplifié davantage lorsqu’une photo de lui a été découverte parmi les cendres. Il y était souriant et faisait le signe de la victoire. Un sourire que les flammes et le laisser-aller des responsables lui ont volé à jamais.


Condoléances du Souverain

SM le Roi Mohammed VI a adressé un message de condoléances à M. Abderrahmane Bouârda suite au décès de cinq membres de sa famille dans un incendie tragique survenu dimanche à Casablanca.
«Nous avons appris avec une profonde affliction et une grande tristesse la nouvelle du tragique incendie qui a fait cinq morts parmi les membres de votre famille, implorant Dieu de les accueillir en Sa Sainte miséricorde», écrit le Souverain dans ce message.
En cette douloureuse circonstance, SM le Roi exprime Ses vives condoléances et Sa sincère compassion suite à cette cruelle épreuve inscrite dans le destin imparable de Dieu, implorant le Tout puissant d’accorder à M. Bouârda patience et réconfort et d’avoir les défunts en son vaste paradis parmi les martyrs et les vertueux.


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