A l’instar de ce qui se passe dans les autres pays, notamment arabes, la question de la société civile est devenue incontournable depuis un peu plus d’une décennie.
L’engouement rencontré par ce thème à partie liée avec le succès réalisé, au sortir des années 1980, par Solidarnosc en Pologne et la Charte 77 en Tchécoslovaquie.
Le triomphe de ces mouvements avait fait école et créé un mythe vertueux, celui d’une société civile capable de faire échoir l’Etat totalitaire.
Portée par la troisième vague de démocratisation, la notion pouvait ainsi échouer chez nous.
Sa traduction par « al mujtamâ al madani » témoigne de son amarrage linguistique ; sa diffusion dans le champ politique traduit son ancrage discursif : l’opération d’importation conceptuelle a été un succès.
Portée par les « nouveaux mouvements sociaux », la société civile est ainsi devenue la clé du changement.
Cette conception s’est d’autant mieux répandue qu’elle s’inscrivait implicitement à l’arrière-plan doctrinal de la thérapie néolibérale de la « bonne gouvernance » prescrite par la Banque mondiale.
De plus, tous les ingrédients de sa mise en lumière existaient : non seulement, le nombre de prétendants allait en augmentant vertigineusement, mais les subsides étatiques tant nationaux qu’étrangers constituaient – et constituent encore - le levier principal, voire le seul, qui permet à ceux-ci de déployer leur action.
Les relations ainsi établies entre la société civile et le pouvoir politique sont donc empreintes d’une collaboration obligée vu que les enjeux sont importants.
Ceci d’autant plus que les relations entre les deux parties sont, en principe, guidées par les compétences et les responsabilités assumées par chacune d’entre elles dans la société. Les mécanismes de lutte sont définis dans les lois réglementant l’exercice des libertés publiques et la protection des droits fondamentaux des citoyens. Chacun est libre d’exprimer individuellement ou collectivement ses opinions sur la gestion de la société. Si cette expression devait conduire à la recherche de l’exercice du pouvoir, l’organisation la plus indiquée serait le parti politique. Mais si par contre, il ne s’agit que d’une revendication des droits et des libertés, l’association apolitique est la forme qui convient le mieux. Cette répartition des tâches entre le politique et l’associatif devrait donc marquer les rapports entre le pouvoir politique et la société civile. Ce qui ne fut pas toujours le cas.
Reste à rappeler que la force de l’Etat, contrairement à ce que d’aucuns prétendent, ne se nourrit pas de la faiblesse de la société civile mais de sa force. La faiblesse de la société civile ne se nourrit pas, elle aussi, et contrairement à ce que pensent certains de ses avocats, de la force de l’Etat mais bien plutôt de sa faiblesse. Il n’y a donc pas de société civile forte avec un Etat faible ni d’Etat fort avec une société civile faible.