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« De ces maisons
Il n’est resté
Que quelques Moignons de murs
De tant d’hommes
Selon mon cœur
Il n’est pas même
Autant resté
Mais dans le cœur
Aucune croix ne manque
C’est mon cœur
Le pays le plus ravagé. »
C’est en ces termes qu’en 1916, le poète italien Giuseppe Ungaretti pose son regard effaré sur des lieux ravagés par la guerre sans savoir vraiment s’il est possible de dresser une frontière entre l’âme d’un lieu et la conscience de celui qui l’habite.
Il me semble évident que la bi-dimensionnalité géographique n’a aucune chance de satisfaire une quelconque tentative de définition. Sans doute, faut-il y adjoindre des notions telles l’Histoire, la mémoire, les racines, l’appartenance ou encore l’appropriation pour donner plus de consistance à cette notion de «lieu». Parfois même, une dimension métaphysique voire spirituelle vient transcender un lieu pour le défaire de sa condition matérielle et l’élever au rang du sacré.
Nabche : Il était une fois un lieu -pépinière pour palmier dattier : recherche et innovation
Créée en 1964 par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) du Maroc, la station du «Domaine expérimental de Zagora (DEZ)» occupe une place de choix dans l’histoire et le développement agricole de la région de Drâa-Tafilalet. Situé au cœur de Zagora, sur une superficie de plus de 40 hectares, ce centre de recherche agronomique est bien plus qu'un simple lieu de science. Il incarne une mémoire vivante, un témoignage de l’engagement de plusieurs générations d’agronomes, de scientifiques et de techniciens dévoués à relever les défis complexes des zones arides et semi-arides.
En tant que pôle d'excellence pour la recherche et l’innovation, le DEZ a pour vocation principale de mener des recherches scientifiques et techniques dans le domaine de l'agriculture, adaptées aux conditions climatiques particulièrement rudes de cette région désertique. Au fil des décennies, il a su développer des technologies et des pratiques agricoles novatrices, afin de répondre aux besoins des agriculteurs locaux, tout en tenant compte des spécificités pédologiques du sol et des ressources en eau limitées.
L’ambition de ce domaine expérimental ne s’arrête pas aux frontières de la recherche. Il s’engage également activement à améliorer la productivité et la durabilité de l'agriculture dans la région, contribuant ainsi au développement rural et à la sécurité alimentaire. Ses travaux ont permis d’introduire des méthodes de culture résilientes et respectueuses de l’environnement, tout en favorisant une gestion intégrée des ressources naturelles, essentielle pour le développement des oasis et des zones arides environnantes.
Nabche : Autrefois un lieu idoine et paradis des chercheurs agronomes, aujourd’hui il s’acharne à échapper à ses conditions mortelles
Autrefois un havre de paix et de découvertes pour les chercheurs agronomes, le site de Nabche s’emploie aujourd’hui à résister aux défis environnementaux et aux menaces qui pèsent sur sa pérennité. Pourtant, ce lieu reste gravé dans l’histoire de l’agriculture marocaine, notamment pour son rôle crucial dans la lutte contre le bayoud, une maladie dévastatrice qui a décimé des milliers de palmiers dattiers au fil des décennies.
C'est en ce lieu que, en 1975, fut planté le premier pied mère de la variété de palmier dattier « Najda », reconnu pour sa remarquable résistance au bayoud. Cette avancée marquante fut le fruit de nombreuses années de recherche, d’observation et d’efforts collectifs des agronomes. Après une décennie d’investigations intensives, en 1985, les premières souches de cette variété furent transférées aux laboratoires pour un processus de multiplication in vitro, une technologie innovante pour l’époque.
Trois ans plus tard, en 1988, les premiers vitro-plants issus de cette technique furent mis à disposition des agriculteurs des différentes oasis du Maroc, permettant ainsi de limiter la propagation du bayoud et de restaurer les palmeraies affectées. La diffusion de la variété «Najda» marqua un tournant dans la préservation des oasis marocaines, constituant un espoir renouvelé pour les régions durement touchées par cette maladie.
Centre de recherche : Entre déclin et espoir de renouveau
Doté d’une infrastructure moderne, ce centre disposait d’une variété d’équipements dédiés à la recherche et à la formation, comprenant des champs expérimentaux, un centre technique interprofessionnel pour la phoeniciculture, des laboratoires, une pépinière, et des équipements de pointe. Il n'était pas seulement un lieu de recherche, mais également un centre de formation pour les agriculteurs, éleveurs et techniciens locaux, jouant un rôle clé dans l’amélioration des pratiques agricoles dans cette région aride.
Centre de recherche en déclin
Cependant, ce qui fut autrefois un centre dynamique et prometteur se trouve aujourd'hui dans un état de léthargie inquiétant. Les activités de recherche ont été interrompues, laissant place à une absence totale de publications scientifiques récentes, un signe alarmant de son déclin. Les infrastructures, jadis robustes et bien entretenues, subissent désormais une dégradation accélérée en l’absence d’entretien, rendant les équipements de plus en plus inutilisables.
Ce déclin s'accompagne également d'un exode des talents : les chercheurs et techniciens qualifiés, qui constituaient le cœur du centre, ont quitté leurs postes, privant ainsi le DEZ de compétences cruciales. L'âme même de cette institution semble s'effacer, avec le risque que ses équipements, pourtant d’une valeur de plus de 10,5 millions de dirhams, deviennent irrémédiablement obsolètes.
Manque de coordination et de ressources
Le non-fonctionnement du DEZ pourrait être le fruit de plusieurs facteurs interdépendants. En premier lieu, un manque criant de coordination et de collaboration entre les différentes institutions et acteurs du développement agricole – tels que l'ONCA, l'ORMVAO, l’ANDZOA ou encore l’ONSSA – pourrait contribuer à l'isolement du centre. De plus, l’absence de partenariats solides avec d'autres institutions de recherche nationales, comme l’IAV, l’Université Mohammed VI Polytechnique, ou encore l’ENAM, pourrait priver le DEZ des synergies indispensables à son bon fonctionnement.
Sur le plan financier, le centre souffre également d’un manque chronique de ressources, freinant ses activités de recherche et l’entretien de ses infrastructures. Cette pénurie budgétaire est exacerbée par un déficit de personnel qualifié, résultat de l’absence de recrutements dans des domaines clés tels que la recherche sur le palmier dattier, un secteur pourtant stratégique pour la région.
Appel au renouveau
Face à cette situation préoccupante, il devient urgent de réfléchir à des solutions concrètes pour revitaliser ce centre. Redonner vie à cette institution signifie non seulement restaurer ses infrastructures et relancer ses activités de recherche, mais aussi renforcer les partenariats avec les autres acteurs du secteur agricole et garantir un financement durable. Il est impératif de valoriser l’énorme potentiel de ce centre, qui fut autrefois un pilier de l’agriculture oasienne, et d’éviter que des années d’investissements et d’expertise ne soient définitivement perdues.
Il n’est resté
Que quelques Moignons de murs
De tant d’hommes
Selon mon cœur
Il n’est pas même
Autant resté
Mais dans le cœur
Aucune croix ne manque
C’est mon cœur
Le pays le plus ravagé. »
C’est en ces termes qu’en 1916, le poète italien Giuseppe Ungaretti pose son regard effaré sur des lieux ravagés par la guerre sans savoir vraiment s’il est possible de dresser une frontière entre l’âme d’un lieu et la conscience de celui qui l’habite.
Il me semble évident que la bi-dimensionnalité géographique n’a aucune chance de satisfaire une quelconque tentative de définition. Sans doute, faut-il y adjoindre des notions telles l’Histoire, la mémoire, les racines, l’appartenance ou encore l’appropriation pour donner plus de consistance à cette notion de «lieu». Parfois même, une dimension métaphysique voire spirituelle vient transcender un lieu pour le défaire de sa condition matérielle et l’élever au rang du sacré.
Nabche : Il était une fois un lieu -pépinière pour palmier dattier : recherche et innovation
Créée en 1964 par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) du Maroc, la station du «Domaine expérimental de Zagora (DEZ)» occupe une place de choix dans l’histoire et le développement agricole de la région de Drâa-Tafilalet. Situé au cœur de Zagora, sur une superficie de plus de 40 hectares, ce centre de recherche agronomique est bien plus qu'un simple lieu de science. Il incarne une mémoire vivante, un témoignage de l’engagement de plusieurs générations d’agronomes, de scientifiques et de techniciens dévoués à relever les défis complexes des zones arides et semi-arides.
En tant que pôle d'excellence pour la recherche et l’innovation, le DEZ a pour vocation principale de mener des recherches scientifiques et techniques dans le domaine de l'agriculture, adaptées aux conditions climatiques particulièrement rudes de cette région désertique. Au fil des décennies, il a su développer des technologies et des pratiques agricoles novatrices, afin de répondre aux besoins des agriculteurs locaux, tout en tenant compte des spécificités pédologiques du sol et des ressources en eau limitées.
L’ambition de ce domaine expérimental ne s’arrête pas aux frontières de la recherche. Il s’engage également activement à améliorer la productivité et la durabilité de l'agriculture dans la région, contribuant ainsi au développement rural et à la sécurité alimentaire. Ses travaux ont permis d’introduire des méthodes de culture résilientes et respectueuses de l’environnement, tout en favorisant une gestion intégrée des ressources naturelles, essentielle pour le développement des oasis et des zones arides environnantes.
Nabche : Autrefois un lieu idoine et paradis des chercheurs agronomes, aujourd’hui il s’acharne à échapper à ses conditions mortelles
Autrefois un havre de paix et de découvertes pour les chercheurs agronomes, le site de Nabche s’emploie aujourd’hui à résister aux défis environnementaux et aux menaces qui pèsent sur sa pérennité. Pourtant, ce lieu reste gravé dans l’histoire de l’agriculture marocaine, notamment pour son rôle crucial dans la lutte contre le bayoud, une maladie dévastatrice qui a décimé des milliers de palmiers dattiers au fil des décennies.
C'est en ce lieu que, en 1975, fut planté le premier pied mère de la variété de palmier dattier « Najda », reconnu pour sa remarquable résistance au bayoud. Cette avancée marquante fut le fruit de nombreuses années de recherche, d’observation et d’efforts collectifs des agronomes. Après une décennie d’investigations intensives, en 1985, les premières souches de cette variété furent transférées aux laboratoires pour un processus de multiplication in vitro, une technologie innovante pour l’époque.
Trois ans plus tard, en 1988, les premiers vitro-plants issus de cette technique furent mis à disposition des agriculteurs des différentes oasis du Maroc, permettant ainsi de limiter la propagation du bayoud et de restaurer les palmeraies affectées. La diffusion de la variété «Najda» marqua un tournant dans la préservation des oasis marocaines, constituant un espoir renouvelé pour les régions durement touchées par cette maladie.
Centre de recherche : Entre déclin et espoir de renouveau
Doté d’une infrastructure moderne, ce centre disposait d’une variété d’équipements dédiés à la recherche et à la formation, comprenant des champs expérimentaux, un centre technique interprofessionnel pour la phoeniciculture, des laboratoires, une pépinière, et des équipements de pointe. Il n'était pas seulement un lieu de recherche, mais également un centre de formation pour les agriculteurs, éleveurs et techniciens locaux, jouant un rôle clé dans l’amélioration des pratiques agricoles dans cette région aride.
Centre de recherche en déclin
Cependant, ce qui fut autrefois un centre dynamique et prometteur se trouve aujourd'hui dans un état de léthargie inquiétant. Les activités de recherche ont été interrompues, laissant place à une absence totale de publications scientifiques récentes, un signe alarmant de son déclin. Les infrastructures, jadis robustes et bien entretenues, subissent désormais une dégradation accélérée en l’absence d’entretien, rendant les équipements de plus en plus inutilisables.
Ce déclin s'accompagne également d'un exode des talents : les chercheurs et techniciens qualifiés, qui constituaient le cœur du centre, ont quitté leurs postes, privant ainsi le DEZ de compétences cruciales. L'âme même de cette institution semble s'effacer, avec le risque que ses équipements, pourtant d’une valeur de plus de 10,5 millions de dirhams, deviennent irrémédiablement obsolètes.
Manque de coordination et de ressources
Le non-fonctionnement du DEZ pourrait être le fruit de plusieurs facteurs interdépendants. En premier lieu, un manque criant de coordination et de collaboration entre les différentes institutions et acteurs du développement agricole – tels que l'ONCA, l'ORMVAO, l’ANDZOA ou encore l’ONSSA – pourrait contribuer à l'isolement du centre. De plus, l’absence de partenariats solides avec d'autres institutions de recherche nationales, comme l’IAV, l’Université Mohammed VI Polytechnique, ou encore l’ENAM, pourrait priver le DEZ des synergies indispensables à son bon fonctionnement.
Sur le plan financier, le centre souffre également d’un manque chronique de ressources, freinant ses activités de recherche et l’entretien de ses infrastructures. Cette pénurie budgétaire est exacerbée par un déficit de personnel qualifié, résultat de l’absence de recrutements dans des domaines clés tels que la recherche sur le palmier dattier, un secteur pourtant stratégique pour la région.
Appel au renouveau
Face à cette situation préoccupante, il devient urgent de réfléchir à des solutions concrètes pour revitaliser ce centre. Redonner vie à cette institution signifie non seulement restaurer ses infrastructures et relancer ses activités de recherche, mais aussi renforcer les partenariats avec les autres acteurs du secteur agricole et garantir un financement durable. Il est impératif de valoriser l’énorme potentiel de ce centre, qui fut autrefois un pilier de l’agriculture oasienne, et d’éviter que des années d’investissements et d’expertise ne soient définitivement perdues.
Après tout, un «lieu» a toujours quelque chose à voir avec une mémoire. C’est peut-être pour cela qu’il est si difficile de dresser une frontière entre l’identité d’un lieu et celle de ceux qui l’animent. Le non-fonctionnement de ce centre n’est pas une fatalité. C’est un défi majeur pour l'INRA afin de baliser et niveler tout ce qui compromet ses objectifs de recherche agronomique dans la région semi-aride. La situation du DEZ est préoccupante, mais il n’est pas encore au stade de la mort clinique pour pallier ces dysfonctionnements sous-jacents. Il a toutes les cartes en main pour redevenir un acteur clé dans la lutte contre les défis climatiques et agronomiques de la région. Mais pour cela, il est crucial d’agir vite.
Par Dr Mustapha Faouzi
Sociologue, aménagiste/urbaniste.
Par Dr Mustapha Faouzi
Sociologue, aménagiste/urbaniste.