Octopizzo Le rap et le bidonville dans la peau

J’ai l’impression que depuis que je rappe, les choses ont changé


Vendredi 2 Février 2018

Octopizzo Le rap et le bidonville dans la peau
 Comme la plupart des jeunes du plus grand bidonville du Kenya, Henry Ohanga n’attendait pas grand-chose de la vie. La célébrité, ou simplement quitter un jour la misère, rien de tout cela n’était promis à cet orphelin obligé, à l’adolescence, de voler pour manger.
Henry, 29 ans, est pourtant devenu un des artistes de hip-hop les plus populaires d’Afrique de l’Est: Octopizzo. Fort de sa notoriété, il tente de dédiaboliser le bidonville de Kibera, à Nairobi, et de soutenir des jeunes délaissés qui, comme lui lorsqu’il était enfant, s’estiment tout juste destinés à survivre.
“Tout ça là, c’est à propos de cela que je rappe”, explique-t-il à l’AFP, balayant d’un mouvement de bras l’océan de tôle ondulée qui s’étend devant lui, et où vivent encore nombre de ses amis et membres de sa famille.
Silhouette longiligne, survêtement noir, montre et boucles d’oreille bling bling, chaîne dorée bardée d’un pendentif à l’effigie de Jésus, Henry dit avoir “le sentiment que si je n’étais pas né ici, je ne serais pas devenu rappeur”.
Kibera, c’est un bidonville de 2,5 km2 niché dans la capitale kényane et où vivent entre 170.000 et 250.000 personnes, selon des recensements récents, souvent avec moins d’un euro par jour.
Henry reconnaît que l’endroit où il a grandi est “la définition même du système défaillant”. Il a d’ailleurs quitté le bidonville pour permettre à sa fille de grandir loin de la misère. Mais il assure que Kibera est l’endroit qu’il aime “plus que tout au monde” et y tourne d’ailleurs tous ses clips musicaux (plus d’un million de vues sur YouTube).
Lorsqu’il déambule dans le dédale de rues en terre, ce ne sont pas les innombrables déchets qu’il remarque, dit-il, mais plutôt une “ambiance unique et magnifique”: les enfants en uniformes aux couleurs vives sur le chemin de l’école, la musique qui résonne dans la moindre ruelle, le rythme des machines à coudre installées à même la rue.
Kibera, c’est aussi une poudrière qui s’enflamme souvent quand la tension politique monte au Kenya.
Lors de la crise ayant suivi l’élection présidentielle de décembre 2007, Henry s’y déplaçait machette en main pour se protéger alors que le bidonville était déchiré par des violences, notamment ethniques, dont il tient les politiciens pour responsables. Sa colère donne alors naissance à la première chanson enregistrée d’Octopizzo: “Les voix de Kibera”.
L’artiste ne percera toutefois qu’en 2012, à la faveur d’un programme culturel du British Council ayant également lancé le groupe kényan d’afro-pop Sauti Sol.
Il rappe désormais au sujet de la nourriture ou de la mode à Kibera, afin de changer l’image négative du bidonville. “J’ai l’impression que depuis que je rappe, les choses ont changé. De nos jours, c’est cool d’être de Kibera”.
Mais la politique n’est jamais loin et lorsque des manifestations ont éclaté en 2017 à Kibera, après l’élection présidentielle, Henry Ohanga a parlé avec les protestataires et la police pour calmer le jeu.
Il a aussi fermement condamné la répression des manifestations par la police, qui a fait des dizaines de morts au Kenya. “J’ai une voix et je dois l’utiliser, que cela plaise ou non”, soutient-il.
Enfant, Henry Ohanga rêvait d’horticulture, pas de rap. Mais l’opportunité de se former dans le domaine des plantes ne s’est jamais présentée.
Son père est mort quand Henry avait 14 ans et sa mère un an plus tard. La solution qu’il trouve alors pour pouvoir manger est de rejoindre un gang qui se livre au vol. “Je ne regrette pas (...), je n’ai jamais tué qui que ce soit”, affirme Henry. Il a consacré une chanson aux gangsters et dealers, les seuls venus vers lui lorsqu’il en avait besoin, dit-il.
Henry a maintenant sa propre fondation et travaille notamment avec l’Agence de l’ONU pour les réfugiés pour aider les jeunes à réaliser leur potentiel. En 2016, il a entraîné des réfugiés des camps de Dadaab et Kakuma qui ont alors enregistré un album, “Refugeenius”.
Le rappeur à la fine moustache se souvient avoir grandi sans connaître de personnes ayant eu du succès, et explique vouloir jouer le rôle de modèle pour la jeunesse actuelle. “Je veux être le visage qui incarne les possibilités”.
Daniel Owino, 22 ans, est un de ceux qu’Octopizzo a su toucher à Kibera. Le décrivant comme un “mauvais garçon” qui avait des problèmes avec tout le quartier, Henry assure lui avoir dit: “Moi aussi je suis passé par là, on a volé des gars mais ce n’est pas grave, on peut changer”.
Daniel, alias Futwax, travaille désormais comme moto-taxi tout en continuant à développer sa passion pour la musique avec 13 chansons enregistrées jusqu’à présent.
Octopizzo “est un modèle pour moi”, souligne Daniel. “Je venais chez lui ici dans le bidonville et il travaillait très dur. J’ai eu le sentiment que moi aussi, un jour, je pourrais y arriver”.


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