Obsèques, hier, du militant Abraham Serfaty à Casablanca : Les combats d’un siècle marocain


Narjis Rerhaye
Samedi 20 Novembre 2010

Obsèques, hier, du militant Abraham Serfaty à Casablanca : Les combats d’un siècle marocain
Très vite dans la matinée de ce jeudi 18 novembre, le peuple de gauche s’est spontanément retrouvé devant la porte de la clinique du Sud, à Marrakech. Abraham Serfaty venait de rendre son dernier souffle. Hospitalisé depuis plusieurs jours déjà, l’ancien opposant et  fondateur du mouvement Ila Al Amam était malade. Tous le savaient. Personne ne voulait vraiment  y croire. « On ne fait jamais à l’idée que ce géant sera terrassé par la maladie. Pour nous, Serfaty était tout simplement increvable. Pourtant, c’est vrai, il était très malade. Et si sa mort est une délivrance pour lui, elle est surtout pour nous une grande douleur au moment même où le Maroc est agité par des questionnements », chuchote Kamal Lahbib. Cet ancien détenu politique qui préside aujourd’hui aux destinées du Forum des alternatives était, ce jeudi 18 novembre, à Marrakech, comme guettant jusqu’au bout la faucheuse, celle qui allait emporter Abraham Serfaty. « Je ne l’ai jamais vraiment connu en direct. On se croisait, la revue Souffles, la construction de la nouvelle gauche, les utopies. Et puis, quand on est dans la clandestinité, comme nous l’avons été tous les deux, on ne se rencontre pas vraiment ! Serfaty a été avec nous tous dans la rupture à travers le lancement d’une nouvelle utopie qui nous a coûté tellement cher, et à lui en particulier », soutient Kamal Lahbib.
Salaheddine El Ouadie a côtoyé Abraham Serfaty dans les moments les plus durs, les plus douloureux aussi d’une militance meurtrie. Dans les années de plomb, dans les murs sombres du commissariat de sinistre mémoire Derb Moulay Chrif à la prison centrale de Kénitra. « A Derb Moulay Chrif, je n’oublierai jamais son immense courage sous la torture. Serfaty était d’une incroyable résistance physique et morale.  Il a toujours été incroyable de courage. Je pense aux procès de 1977, à nos longues grèves de la faim, à nos douloureuses révisions de positions. C’était un homme à la dimension extraordinaire et au courage politique exemplaire. Quand il a une conviction, il joint toujours le geste à la parole. Je n’oublierai pas non plus son visage heureux lorsque nous avons été le voir Driss Benzekri et moi,  à son retour d’exil, dans sa maison à Mohammedia. Nous lui avions fait part de nos premières discussions avec l’Etat au sujet de ce qui allait être, quelques années plus tard, l’Instance Equité et Réconciliation. Il en était heureux. Ses prises de paroles ont toujours été, à son retour d’exil, un appui à tout ce qui était entrepris pour que le Maroc change», se souvient l’ancien détenu politique et poète.
Un défenseur de la cause
palestinienne
Abraham Serfaty n’a pas été seulement l’ancien opposant sous le régime de Hassan II, comme se plaît à le rappeler dans sa nécro la presse étrangère. Serfaty a été bien plus que cela. « Il a été de tous les combats de la classe ouvrière, de la jeunesse, de la cause palestinienne, de l’autonomie du Sahara. « En fait, Serfaty est le révélateur de tous les combats du siècle marocain », résume Salaheddine El Ouadie.  C’est l’image du résistant juif marocain contre l’occupant français que l’ancien leader de l’USFP, Mohamed Elyazghi veut retenir. Serfaty, explique-t-il, a déjoué la manœuvre colonialiste qui a essayé de dresser Marocains israélistes contre Marocains musulmans. « Il était résolument engagé dans la lutte contre le colonialisme. Et après l’indépendance du Maroc, il a été l’un des militants pour la démocratie et le respect des droits humains dans notre pays. Il ne faut surtout pas oublier qu’il a été, et c’est tout à son honneur, un combattant contre l’occupation israélienne et le sionisme. Il  s’est battu pour que justice soit rendue au peuple palestinien », rappelle avec force Mohamed Elyazghi.
En cette même semaine, le Maroc a perdu deux figures emblématiques de la cause palestiniennes, deux Marocains de confession juive qui se sont dressés contre l’occupation israélienne, l’écrivain Edmond Amran Maleh et Abraham Serfaty.  La Palestinienne Leila Chahid aura les mots pour le dire : cette symbiose ne peut exister qu’ici, en cette terre marocaine.
Résistant et combattant plongé dans la lutte contre l’occupant français en terre marocaine, Abraham Serfaty est décédé en ce jour du 18 novembre alors que le Maroc célébrait le 55ème anniversaire de son indépendance.  C’est ce combat que Habib El Belkouch évoque alors qu’il vient à peine de quitter la clinique Sud, où Serfaty a rendu l’âme.  « Son parcours se confond avec les grandes séquences du Maroc. De la lutte pour l’indépendance, à la construction de l’Etat national, il s’est engagé en tant que militant mais aussi en tant qu’expert alors qu’il était conseiller d’Abderrahim Bouabid. »
Les chemins de Belkouch et de Serfaty se sont croisés à Derb Moulay Chrif mais aussi en prison. Les pages du passé tournées, l’ancien détenu politique retient l’image du militant Serfaty « rêvant d’un Maroc démocratique, d’un Maroc meilleur où tous les idéaux de ceux et celles du mouvement national se concrétiseraient en justice sociale et en Etat d’égalité et de démocratie ».
Décédé dans la douceur de Marrakech, Abraham a été inhumé hier vendredi au cimetière israélite de Casablanca, conformément à ses vœux. Il repose désormais non loin de sa sœur Evelyne. Le peuple de gauche, les anciens compagnons de la détention  et quelques  rares officiels l’ont accompagné jusqu’à sa dernière demeure.
« Si on oublie Serfaty, c’est nous qui crevons. Nous avons l’impérieux devoir de garder sa mémoire vivante ». Le souhait de l’activiste et ancien détenu politique sonne comme  un testament.


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