Les réconciliations marocaines

Mémoire, femmes, espace religieux


N.R
Jeudi 30 Juillet 2009

En terre marocaine, le changement s’opère à pas cadencés certes, mais tout en douceur. Les réconciliations marocaines sont exemplaires. La lecture des pages d’un passé de plomb et de braise dans une immense catharsis collective, la réhabilitation des Marocaines dans leurs droits et dignité, la reconnaissance d’une identité trop longtemps enfouie et occultée, l’amazighité, la propagation d’un Islam d’ouverture et de tolérance en lieu et place d’un islamisme des paraboles et des garages ont permis aux Marocains et Marocaines de se tenir droit, de ne plus courber l’échine et de revendiquer encore et plus.
Lire les pages sombres d’un passé de braise, telle a été l’un des tous premiers épisodes de réconciliation. Ce processus a démarré en 1999, avec la mise en place de l’Instance d’arbitrage indépendante qui avait pour unique mandat d’indemniser les victimes de la répression politique et des violations graves des droits de l’homme. Mais c’est le 7 janvier 2004 qu’un approfondissement de ce processus a réellement eu lieu avec la création de l’Instance Equité et
Réconciliation (IER).
C’est avec un mandat plus élargi que la commission vérité marocaine a entrepris ses travaux, dans le cadre des trois objectifs: l’établissement de la vérité sur les violations graves des droits de l’Homme intervenues entre 1956 et 1999 et la détermination des responsabilités institutionnelles, l’indemnisation et la réhabilitation des victimes, et l’élaboration de propositions de réformes susceptibles de garantir la non répétition de telles violations.

Garantir le “plus jamais ça”

Le travail accompli par l’Instance aux destinées de laquelle présidait Feu Driss Benzekri est à cet égard historique. C’est une véritable catharsis collective que le pays tout entier a vécue. Des audiences publiques, retransmises par les médias audiovisuels ont donné à voir et à écouter les indicibles souffrances des victimes de l’arbitraire. Un travail de mémoire, un travail essentiel pour la vérité. Au total, le sort de 742 personnes, considérées comme faisant partie des victimes de la disparition forcée a été élucidé. Dans le même temps, la commission vérité a accompli une mission exemplaire de réhabilitation des victimes et de réparation communautaire.
Aujourd’hui, le legs de l’IER se prolonge à travers l’action du Conseil consultatif des droits de l’homme. On le sait, l’Instance a émis aussi une série de recommandations éclairant la feuille de route des réformes politiques. Des réformes qui doivent garantir le « plus jamais ça » et dont la plupart n’ont pas encore vu le jour. Avec le nouveau Règne, la société marocaine s’est réconciliée avec ses femmes.
De fait, la décennie passée a été celle de la réhabilitation de la Marocaine dans son statut et ses droits. Trois repères rendent compte de cette évolution rendue possible grâce à un engagement décisif du Souverain : la réforme de la Moudawana, la transmission de la nationalité marocaine par la mère et la levée des réserves du Maroc sur la Convention des Nations Unies relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
A travers le pays, les juges et les tribunaux peinent parfois à suivre la dynamique du changement. Mais la tendance est claire : justice est en train d’être rendue aux femmes de ce pays. Parce que le nouveau code établit des mécanismes et des institutions pour une protection juridique et judiciaire de la famille
Force est de le reconnaître. Ce sursaut sociétal n’aurait été possible sans la conjonction de trois facteurs clés: une volonté Royale déterminée, usant dans le sens du progrès la fonction de la commanderie des croyants, un travail intellectuel de la communauté des Oulémas du Maroc, un dynamisme militant des mouvements de défense des droits de la femme au Maroc.
Les Marocaines reviennent de loin. Inimaginable il y a quelques années à peine, la transmission de la nationalité marocaine par la mère est aujourd’hui une réalité. Longtemps femmes alibi, condamnées au « plancher » de verre, leur représentativité a été renforcée au sein du Parlement, du Gouvernement et à tous les niveaux de l’administration marocaine. Aux dernières élections communales de juin dernier, un quota de 12% a rendu possible la participation des femmes à la gestion communale.

Constitutionnaliser
la langue amazigh

Au lendemain des attentats de Casablanca, la réforme de l’espace religieux s’est imposée comme une urgence. Inscrite dans le processus d'adaptation au contexte social présent et dans les défis auxquels s’affronte la pratique du culte modéré et tolérant, la réforme du champ religieux tend à préserver la cohésion nationale et à assurer la sécurité spirituelle de la nation. Une telle réforme n’est ni une sinécure ni une vue de l’esprit. On le sait, on marche sur des sables mouvants et la religion est, ici comme ailleurs, sujette à toutes les récupérations. Si l’Islam est un thème fédérateur, il est aussi exposé à la manipulation, à l’interprétation erronée, à l’instrumentalisation la plus grossière.
Force est de le reconnaître. En procédant à la restructuration de son champ religieux, le Maroc ne s’est pas voilé la face. Des vérités, souvent politiquement incorrectes, ont été reconnues. Des constats, parfois douloureux, ont été dressés et surtout des enseignements ont été tirés.
A l’ombre de lieux de prière clandestins autoproclamés mosquées, les pages du passé ont été lues avec courage. On a trop livré ce pays du soleil couchant aux petits livres jaunes du Machreq, loin, très loin de l’Islam sunnite et du rite malékite que les citoyens de ce pays ont en partage.
Au fil des ans, l’espace de la religion a fait l’objet d’une restructuration. L’objectif est clairement affiché : assurer sa mise à niveau et son adaptation aux exigences de la modernité.
Dans son aspect institutionnel, cette politique réformatrice a porté notamment sur la réorganisation du ministère des Habous et des Affaires Islamiques et celle du Conseil Supérieur des Oulémas, la création des Conseils Régionaux et Provinciaux des Oulémas et du Conseil des Oulémas de la Communauté marocaine à l’étranger, la réforme du système de la Fatwa et l’affirmation de l’attachement du Maroc au rite Malikite.
L’amazighité est désormais revendiquée en identité. Le discours d’Ajdir, prononcé en 2001 par le Souverain est fondateur de la reconnaissance d’une culture marocaine d'expression amazighe alors que la création de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) a conféré à l'Amazigh une reconnaissance formelle dans la politique linguistique, culturelle et médiatique du pays, levant ainsi la marginalisation dans laquelle cette culture était maintenue. L’espace d’une décennie, la réconciliation de la société marocaine avec la composante amazighe de son identité a été donnée à voir, constituant un élément majeur de la nouvelle stratégie culturelle et linguistique de l'Etat.
L’enseignement de l’amazigh, la codification de la graphie Tifinagh, la promotion des expressions littéraires et artistiques amazigh dans le paysage politique ne sauraient pourtant faire oublier une revendication essentielle, celle de la constitutionnalisation de la langue amazigh. La création décidée d’une chaîne Amazighe au sein du pôle audiovisuel public constitue une avancée très significative dans l’engagement irréversible de la collectivité nationale à élargir les espaces d’expression de la culture amazighe.


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