Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager

Les contes de fées de la FIFA (III) : On récupère le fric


L
Samedi 12 Septembre 2009

Lausanne, 17 janvier 2005
Ce jour-là, le professeur Nobel interjeta son contre-appel devant l'organe judiciaire suprême, la cour fédérale de Lausanne, pour demander d'annuler la décision de la cour du canton de Zoug exigeant que les noms, relevés bancaires et autres informations afférents aux remboursements des pots-de-vin soient fournis à l'équipe d'enquêteurs dirigée par Hildbrand. Le 21 février, la cour fédérale accepta d'examiner ce contre-appel. Toutes ces manœuvres juridiques furent gardées secrètes, comme d'habitude. Le même jour, une guerre fratricide éclata de nouveau sur les hauteurs de Sonnenberg.
Urs Linsi avait eu quelque mal à assumer la transition entre le monde de la banque et celui du sport. Cadre supérieur dans un organisme financier de Zurich jusqu'à la mi-1999, date à laquelle Blatter avait fait appel à ses services comme comptable en chef, Linsi n'eut pas la partie belle avec le monde du football.
L'adjoint de Linsi, le charismatique Jérôme Champagne, usait de sa longue expérience de ce sport, d'un don certain pour les langues et de ses rapports agréables avec les officiels du football pour se créer des appuis politiques au sein des fédérations nationales. Champagne croyait-il à ses chances de succéder à Sepp à la présidence lorsque le vieux céderait la place ? Toujours est-il que, pour Linsi, l'avenir paraissait sombre.
Zurich, 21 février 2005
Linsi envoya à Blatter un mémo trop secret se plaignant de « la conduite et de l'attitude » de Champagne. Il souhaitait le départ définitif de son adjoint. Blatter répondit sèchement : « Je ne puis donner suite à cette requête pour le moment ». Quelques jours plus tard, Blatter donna suite à autre chose : il multiplia par deux les émoluments des membres du comité exécutif, qui passèrent à 100.000 dollars par an, libres d'impôts.
Fin mars 2005, j'envoyai à Blatter et Linsi une lettre dans laquelle je posais une série de questions, dans le cadre de ce livre, concernant leur inaction apparente depuis septembre 1998, date à laquelle la FIFA avait découvert pour la première fois que l'argent de Globo avait été détourné.
Je leur faisais savoir que j'avais eu connaissance des lettre qu'ils avait envoyées à Weber. Je savais également qu'ils avaient été informés en mai 2000 que la façon dont Weber traitait le contrat et l'argent était absolument inadmissible. Se sentaient-ils personnellement responsables de la disparition de cet argent ? Et en avaient-ils informé le comité exécutif ? J'étais curieux de savoir pourquoi Blatter avait annoncé en avril 2001 qu'il venait tout juste de prendre connaissance du problème. N'était-il pas au courant depuis 1998 ?
J'envoyai mes questions par l'intermédiaire du responsable du service de presse de la FIFA, Markus Siegler. Il resta assis dessus pendant cinq semaines, puis, début mai, il me répondit que « les questions intéressant Urs Linsi devaient lui être envoyées personnellement ». Je renvoyai donc mes questions, directement à Linsi cette fois, mais, au moment où ce livre est imprimé, de nombreux mois se sont écoulés et je n'ai pas eu l'honneur d'avoir de réponse de sa part.
Siegler se débrouilla pourtant pour transmettre mes questions à Sepp Blatter. Le président répondit par la plus brève des déclarations : « Le versement de Globo auquel il est fait référence fait l'objet d'une plainte en justice déposée à Zoug par la FIFA en relation avec la faillite d'ISL. » Il manquait toutefois des éléments à l'histoire. La FIFA avait cessé de soutenir la plainte et ce en secret, dix mois auparavant. Ce qui n'avait pas empêché le juge Hildbrand de persévérer.
Le mercredi 11 mai 2005, Hildbrand accusa Weber et plusieurs de ses associés de fraude, faux en écriture et détournement frauduleux de 118 millions de francs suisses versés par Globo, et de 15 millions supplémentaires appartenant à la société japonaise de marketing Dentsu. Hildbrand publia un communiqué révélant que son enquête portait sur cinq pays.
Le juge suisse accorda une interview à la télévision. Il y apparut comme un homme calme, en paix avec lui-même, sans rien à cacher. Son visage se tendit une seule fois - lorsqu'il révéla que la FIFA avait cessé d'appuyer la plainte l'année précédente. Il ajouta que « les accusations émises par la FIFA » n'étaient pas les seules allégations dont il avait eu connaissance. Il avait pris en considération, dit-il d'une voix lourde de menaces, « d'autres faits et circonstances ».
A SUIVRE





Blatter ne tarda pas à lui répondre devant les caméras. Avait-il tenté de saboter l'enquête d'Hildbrand ? Certainement pas, expliqua-t-il.
Ils n'avaient pas le moins du monde retiré leur plainte. Ils l'avaient tout simplement réorientée : « Nous n'étions plus intéressés car nous avions découvert entre-temps que nous avions plus de chances de récupérer l'argent par le biais d'un procès au civil. »
Deux mois plus tard, Urs Linsi fit une nouvelle tentative à l'encontre de son adjoint Jérôme Champagne : il envoya à Blatter un mémo dressant une nouvelle liste d' »incidents » qui, selon lui, « ne me laissent d'autre option que de soumettre une requête pour le renvoi de Jérôme Champagne du poste de secrétaire général adjoint et pour l'annonce de la fin de son contrat de travail ».
Pourquoi donc ? Parce que Jérôme Champagne se conduisait vraiment trop mal. D'après Linsi, des responsables haut placés des confédérations européenne et africaine étaient furieux qu'il se mêle de leurs affaires. Un responsable de l'UEFA le traitait d'«espion ». Un autre avait dit qu'il refusait que le Français assiste à leur congrès, à Tallin.
Pour en revenir à Sonnenberg, « le comportement et l'attitude envers certains membres de la direction de la FIFA commencent à poser de sérieux problèmes », poursuivait le secrétaire général.
Six responsables de département de la FIFA désiraient que l'on prenne des mesures à l'égard de Champagne. « Ne pas tenir compte de leurs souhaits risquerait d'entraîner une scission au sein de l'équipe de direction de la FIFA ». Linsi décochait quelques traits supplémentaires dans le dos de Jérôme Champagne avant de coiffer son haut-de-forme de croque-mort. « Les sérieux écarts de J. Champagne, son manque de professionnalisme, sa déloyauté et son incapacité au cours de la dernière période ne me laissent d'autre choix que de prendre des décisions appropriées et qui auraient dû l'être depuis longtemps.
« Cher président, je recommande, sur la base des faits dont nous disposons, que nous nous dispensions des services de Champagne. Pour le bien de la FIFA, je vous demande de soutenir ma requête. Avec mes meilleurs sentiments, Urs Linsi, secrétaire général de la FIFA ».
Lausanne, 11 juillet 2005
Le président Féraud, président la cour fédérale, assisté des juges Nay, Aeschlimann, Fonjallaz et Eusebio, proclama son verdict. Long de 4980 mots, il donnait suite à la requête du professeur Peter Nobel selon laquelle il n'avait pas obligation de remettre au juge d'instruction Thomas Hildbrand les noms des responsables du football ayant reçu des pots-de-vin. Pour le moment du moins, ces noms pouvaient demeurer secrets. Selon Thomas Bauer, liquidateur d'ISL, aucune personne de nationalité suisse n'était impliquée. Ces contribuables de carton de Zoug paieraient les 3000 francs suisses représentant les frais de justice.
Marrakech, 12 septembre 2005
Le 55e congrès de la FIFA soutint la proposition de Blatter de mettre sur pied une commission spéciale, intitulée «Pour le bien du jeu», chargée de régler les problèmes de matchs truqués, de dopage, de racisme et autres «menaces» qui, à l'en croire, pesaient sur le football dans le monde. Le président se lamenta sur le fait que « certaines parties du monde du football d'aujourd'hui ne sont malheureusement pas aussi merveilleuses qu'elles devraient l'être ».
Au milieu de son discours, Blatter s'arrêta de parler et se contenta de fixer l'assistance d'un air béat. Retentit alors depuis les haut-parleurs la voix mélodieuse de Louis Armstrong chantant « What a wonderful world ». Là-haut dans les loges, Jean-Marie Weber, invité de la FIFA, écoutait avec ravissement, en attendant son procès. Accusé d'avoir détourné plus de 100 millions de francs suisses destinés à la FIFA, il risquait de devoir considérer comme un souvenir du passé le ciel bleu et les roses rouges promis par la chanson …
De retour à Sonnenberg, Blatter retrouva un Linsi toujours écumant contre Jérôme Champagne. Il muta Champagne dans son propre bureau présidentiel, où il serait hors d'atteinte de Linsi, lui décerna le titre ronflant de « délégué du président » et lui attribua la responsabilité de la commission anti-corruption « Pour le bien du jeu ».
La tentative de Linsi de casser les reins de son rival Champagne se soldait par un échec complet.
Vers la fin de l'année, le docteur Thomas Bauer démissionna de son poste de liquidateur d'ISL et fut remplacé par Karl Wäthrich, l'extraordinaire liquidateur de Swissair, désormais rebaptisée « Swiss ». C'est alors que le presque impensable se produisit. Le matin du 3 novembre 2005, vers 10h30, Thomas Hildbrand arriva sans prévenir à la porte du QG de la FIFA, avec une équipe d'enquêteurs et une commission rogatoire l'autorisant à perquisitionner les bureaux de Blatter et de Linsi. Selon des sources du bureau d'Hildbrand à Zoug, il avait obtenu l'autorisation de lancer une nouvelle enquête sur la base d'informations obtenues durant les investigations sur ISL.
Blatter en informa Johansson et d'autres membres du comité exécutif, mais le public n'en sut rien. Il fallut attendre trois semaines pour que la nouvelle du raid soit révélée par le journaliste suisse Jean-François Tanda dans le Sonntags Zeitung. Il rapporta que le motif inscrit sur le mandat de perquisition était ungetreue Geschäftsbesorgung - déloyauté envers un employeur. Andreas Herren, porte-parole de la FIFA, déclara : « Aucun membre de la FIFA ou de l'organisation n'a été accusé de quoi que ce soit. Nous pensons que Hildbrand a fait montre d'une réaction excessive. Des documents ont été saisis et, dans une certaine mesure, ont été retournés depuis ». Hildbrand ne fit pas de commentaires.
Au moment où ce livre est mis sous presse, les responsables d'ISL accusés d'avoir escroqué l'argent de la FIFA attendent de connaître le sort que leur réserve la cour du canton de Zoug. Hildbrand n'a pas jugé bon de révéler les preuves dont il dispose, mais le jugement de la cour fédérale nous donne un indice. A la clause 3.5 figure la mention selon laquelle l'un des responsables d'ISL mis en accusation a avoué à Hildbrand que l'argent a été versé à des individus qui sont « Entscheidungstrager des Weltsports », des décideurs dans le monde du sport !
La FIFA se fait construire un nouveau quartier général à Zurich. Pas de cadavres dans les nouveaux placards, pas de dossiers secrets compromettants sous les lattes des nouveaux parquets. Mais les récépissés bancaires qui reposent dans les sous-sols de Zurich et de Zoug ne peuvent pas être pilonnés.
Tic-tac, tic-tac … Le compte à rebours continue.


Lu 445 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | L'info | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | High-tech | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Billet | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP











Flux RSS
p