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Le tic-tac de la bombe à retardement de Blatter (II) : Une enveloppe atterrit sur le bureau de «Sepp»


L
Lundi 24 Août 2009

Au-dessus de l’estrade, dans la salle de réception puissamment éclairée, il est difficile d’échapper au portrait qui domine tous les bâtiments publics, les restaurants et les boutiques du pays. Le président Zine El-Abidine Ben Ali se tient le dos droit, l’air sévère,coiffé d’un casque de cheveux d’une noirceur improbable, en habit, la poitrine bardée de médailles. Dans la Tunis  qu’il dirige, depuis 1987, aucune opposition politique sérieuse n’est autorisée, aucune opinion critique ne peut se faire entendre, et des centaines de personnes croupissent en  prison sans avoir eu droit à un procès équitable. Certes, on y organise des élections : Ben Ali les remporte systématiquement avec 99% des voix.
 Mais ce pays présente un visage souriant aux touristes et, particulièrement cette semaine, aux milliers de supporters du Rwanda, du Bénin, du Mali, du Zimbabwe et d’ailleurs venus prendre d’assaut les stades de la côte méditerranéenne pour hurler, battre des mains et des pieds, acclamer la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations 2004.
Sepp Blatter  fait son apparition, vient d’asseoir au centre de l’estrade, sous le portrait  de Ben Ali.Le secrétaire général de la FIFA est devenu président six ans plus tôt.  M. Blatter admire Ben Ali, qui, selon lui, mérite « beaucoup de respect ». Il loue la Tunisie, un pays « totalement ouvert ». 
A sa droite est assis notre hôte, le Camerounais Issa Hayatoun président de la CAF (Confédération africaine du football) depuis seize ans.  Cet homme à la carrure impressionnante, ex-champion du 800 mètres, paraît aujourd’hui bien fatigué. Il salue néamnoins et sourit aux hommes avec lesquels il a ri et bataillé pendant toutes ces années. Dix-huit mois plus tôt, il était candidat à la présidence de la FIFA, donc rival de Blatter. Il avait promis de restaurer « l’intégrité  et la responsabilité financière » de l’organisation. Avec d’autres, il avait cosigné une lettre au procureur de Zurich, accusant Blatter de corruption et exigeant l’ouverture d’une enquête. Mais sa campagne basée sur l’intégrité n’a pas fait le poids face au charisme de Blatter, qui a remporté un second mandat. Le procureur a conclu que l’enquête ne déboucherait pas sur des poursuites, par insuffisance de preuves, et l’affaire n’est pas allée plus loin.
Tout le monde savait que Blatter se vengerait. C’est son style : « Si tu te mets en travers de mon chemin, tu en subiras les conséquences ». Hier, Hayatou s’est présenté à l’élection pour la présidence de la CAF. Blatter et ses sous-fifres zurichois ont fortement soutenu son challenger, le Botswanais Ismail Bhamjee. Mais Hayatout n’est pas du genre à se laisser abattre si facilement.Il a pris soin d’assurer ses bases dans les pays francophones, tout le long de la côte ouest de l’Afrique, du Maroc au Congo. Bhamjee, qui n’a jamais pu refaire son handicap, a perdu, 46 voix contre 6. Toutefois, Blatter est un pro. Il n’y a pas la moindre trace d’amertume sur son visage. Il pose une main sur le bras d’Hayatou d’un geste qu’on pourrait interpréter ainsi : « Nous sommes tous amis, à nouveau ». Pour ceux qui savent décoder, le message est, clairement : « Tu ne perds rien pour attendre ».
A  la gauche de Blatter est assis le secrétaire général de la FIFA, Urs Linsi, qui, à l’instar de son président, porte une cravate avec des rayures obliques, une chemise bleue et un costume sombre. Comme Blatter, il vient de la partie germanophone de la Suisse. Comme Blatter, il se dégarnit. Une mèche solitaire se dresse au-dessus de son front.
 Depuis son arrivée à la FIFA, Linsi a toujours été un homme de Blatter. Ce dernier l’a débauché en 1999  du Crédit suisse pour en faire son directeur financier. Alors que le secrétaire général de l’époque, Michel Zen-Ruffinene, a soutenu la candidature d’Hayatou à la présidence, Linsi, lui, est resté loyal. Après le décompte des voix à Séoul, en mai 2002, Blatter a déclaré avec hargne à un journaliste suisse : « Demain, nous nous occuperons de Monsieur Propre ». Michel « Monsieur Propre » Zen-Ruffinene a laissé sa place  sur le terrain. Urs Linsi est donc désormais en plein ascension. A l’âge de cinquante-quatre ans, il occupe deux postes, celui de directeur financier et celui de secrétaire général de la FIFA. Autant dire que c’est un homme très puissant.
Une question dans l’auditoire, à l’hôtel Abou Nawas.  Que pense le président de la FIFA du football africain ? Blatter sourit et répond d’un air convaincu : « L’Afrique est l’avenir du football ». (C’est une bonne formule, qu’il accommode à toutes les sauces. Le football  féminin ? La même voix ferme : «L’avenir du football».  L’Asie ? «L’avenir du football »). Blatter est en forme, affichant son sourire le plus chaleureux, le plus charismatique. C’est une très belle journée.
Mais voici que se lève le rabat-joie de service. Votre serviteur. J’ai réussi à m’emparer du micro baladeur. « Une question pour le président Blatter ! » Son sourire s’efface. Il pose son menton sur son poing fermé.  Je ne suis pas exactement son journaliste préféré. Je suis au courant, au sujet de la bombe à retardement. Je me lance : « Après la signature avec ISL du dernier contrat marketing et télé pour 2002  et 2006,  ISL a effectué un virement secret de 1  million de francs suisses qui est arrivé par erreur sur le compte bancaire de la FIFA…».
Je reprends mon souffle. Les yeux de Sepp se plissent légèrement. Je poursuis : « Il paraît que vous, qui étiez alors secrétaire général, avez ordonné qu’il soit transféré immédiatement sur le compte privé d’un responsable de la FIFA ? ».Et je conclus par la question : «A qui était-il destiné ?».
Les épaules de Blatter s’affaissent. Il baisse les yeux vers la table devant lui et marmonne quelque chose à propos d’ISL, à présent entre les mains d’un liquidateur. Puis il déclare, glacial : «Je ne vais pas entrer dans cette discussion ici, au cours de cette conférence de presse. Elle n’a aucun rapport avec le développement du football en Afrique, le sujet dont nous souhaitons parler ici avec les journalistes africains. Je suis désolé, acceptez la situation telle qu’elle est. Je suis sûr que vos collègues de la presse africaine et internationale seront d’accord avec moi».
 Dehors, dans l’atrium orné de hauts palmiers en pot, je m’enfonce dans un canapé en cuir, buvant un café fort et sucré, et bavarde avec de vieilles  connaissances que je n’avais pas revues depuis la salle de presse de la dernière Coupe du monde. Un reporter sud-africain, un grand gaillard blanc, se pressant pour se rendre à une interview, s’arrête en m’apercevant. Il me fait joyeusement signe et me lance : « Merci pour le spectacle ! C’est toujours un plaisir ! » Le rédacteur en chef d’un magazine d’un pays du Golfe, mince, avec un col ouvert et une veste de sport déboutonnée, s’émerveille : « Blatter est devenu vert ! » Un ami du quotidien kenyan Daily Nation intervient : « Non, il a viré au jaune ! « 
Tic-tac, tic-tac, tic-tac…


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