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Le président Blatter et la poule aux œufs d’or …(II) : Un coup d’œil sur les dépenses de Sepp


L
Mardi 8 Septembre 2009

Avant de l’envoyer à la banque, Guy-Philippe fit une chose curieuse. Il photocopia le chèque sur une feuille de format A4, puis griffonna des calculs sous l’image. Il arrondit le paiement de Blatter à la somme plus gérable de 44000 francs suisses puis la convertit en dollars : 27500 dollars.
Puis Guy-Philippe fit un second calcul : il divisa les 27500 dollars par 500 dollars, l’indemnité que le président est autorisé à réclamer pour chaque journée passée hors de Suisse au service de la FIFA. Il écrivit le résultat en allemand : 55 tags, soit cinquante-cinq jours. Pour bien signaler l’importance de ces cinquante-cinq jours, il encadra le chiffre de gros traits noirs. Ainsi, les 44751,95 francs suisses que Blatter devait à la FIFA s’étaient apparemment convertis en un nombre de jours qu’il pourrait revendiquer sous forme de frais afin d’apurer sa dette. J’ai écrit à Guy-Philippe pour lui demander pourquoi il avait fait cette chose curieuse et griffonné « 55 jours » sur une photocopie d’un chèque de Blatter. Il ne m’a pas répondu. Mais, dans une déposition devant un juge d’instruction de Zurich chargé d’étudier ces transactions et ces documents, faite en juillet 2002, il confirma qu’il avait bien fait ce calcul par écrit, ajoutant : « Il n’y a  eu ni retrait en espèces ni avance de cette somme ».
J’ai posé la même question à Blatter, qui  m’a répondu très brièvement : « La note manuscrite n’a rien à voir avec ce remboursement et n’a pas d’importance ». Il insistait sur le fait que, dans les deux ans ayant suivi la réception du relevé, il avait remboursé à la FIFA les sommes qu’il lui devait. Peu après que le magistrat zurichois chargé de l’enquête eut rendu ses conclusions, « toutes les allégations avancées ont été réfutées », affirmait-il.
Sepp tapota sa poche, en sortit la précieuse enveloppe qu’il conservait depuis son dernier entretien, plutôt tendu, avec Havelange à Paris, et décrocha son téléphone.
« Oui, Sepp ? répondit Helen dans la pièce à côté.
- Envoyez-moi Erwin », dit le boss.
Le cœur du directeur financier devait battre un peu plus fort tandis qu’il suivait le couloir en direction de ce que, comme tous ses collègues, il devait désormais apprendre à appeler « le bureau du président ». C’était leur premier entretien formel depuis Paris. Avait-il encore la confiance du patron ? L’homme qu’il appelait son meilleur ami, JSB, était-il encore son ami ? Qu’est-ce qu’il voulait ? Halen n’avait donné aucune précision. Erwin frappa.
« Entrez,
Sepp ? »
Blatter l’accueillit, les bras ouverts. Il n’était pas viré, pas aujourd’hui en tout cas.
Il tendit l’enveloppe à Erwin. Erwin retourna dans son bureau, ferma la porte qui l’isolait de Guy-Philippe et des secrétaires, ouvrit l’enveloppe. C’était un mémo émanant du bureau de Joào Havelange, le tout dernier qu’il avait rédigé avant de quitter la présidence. Au-dessus de sa signature, on pouvait lire l’ordre de payer à Joseph S. Blatter un bonus à six chiffres, une prime de fidélité, à lui verser chaque 1er juillet. Pour faire bonne mesure, il était antidaté de juillet 1997. Si bien que Sepp allait toucher deux ans de primes. Plus une jolie manne tous les mois de juillet pour le restant de ses années au sommet. Erwin plaça l’ordre d’Havelange dans le dossier rouge des salaires confidentiels auquel il était le seul à avoir accès.
Trois hommes formaient la troïka qui savait tout et en divulguait le moins possible sur les finances de la FIFA. Sepp Blatter, Erwin Schmid et Julio Grondona. Grondona avait l’assurance d’un homme qui a tenu plus de deux décennies à la tête du football argentin. Havelange le connaissait bien, depuis leurs années communes en Amérique latine, et lui avait confié la commission des finances de la FIFA en 1996.
Grondona était à présent le vice-président le plus ancien de Blatter et le second homme le plus important du football mondial. Toutefois, il avait l’art de paraître Insignifiant en dépit de sa grande taille et de sa corpulence. Lors des conférences de presse auxquelles ils assistaient tous les deux, tous les yeux étaient tournés vers  l’éloquent et gesticulant Blatter. Grondona, assis en silence à ses côtés, écoutait la traduction des questions des journalistes dans ses écouteurs, s’affaissait lentement, les yeux baissés, fixait la table en évitant de croiser les regards.
Grondona avait fait son possible pour que Blatter soit élu. A présent, alors que la FIFA, croulant sous l’argent, entrait dans une ère nouvelle, il était temps pour le nouveau président d’améliorer l’ordinaire des gens au sommet. Il commença par offrir un beau salaire annuel de 50.000 dollars aux vingt-trois membres bénévoles du comité exécutif, le gouvernement de la FIFA. Lorsqu’il l’annonça à la presse, en septembre 1998, le président remercia Grondona, roucoulant: “La commission des finances s’est montrée très bienveillante et généreuse.” Mais ce n’était pas tout. Le reste, ils ne l’annoncèrent pas.
Sepp et Grondona demandèrent aux avocats de la FIFA, Niederer, Kraft & Frey, de négocier un accord fiscal favorable avec les autorités suisses, et en mars 2000 lesdits avocats les prévinrent que c’était chose faite: les membres exécutifs de la FIFA étant étrangers, les autorités cantonales de Zurich ne pouvaient leur accorder qu’une modeste déduction de 10%, au lieu des 25 % habituels pour les résidents....
A SUIVRE


Mieux encore, la FIFA payait l’impôt pour eux, si bien que, tous les six mois, chaque membre recevait un chèque de 25.000 dollars et une note pour prouver à leur inspecteur du fisc local que cet impôt avait bien été acquitté.
Naturellement, lorsque les membres du comité se déplacent, tous leurs frais sont payés. La FIFA prend en charge les trains, les taxis, les avions, les hôtels et les restaurants. Ces hommes ont généralement des goûts de luxe, à moins de cinq étoiles un hôtel n’est pas un hôtel. Et pour tout, la FIFA règle la facture.
Par-dessus le marché, chaque membre est encouragé à réclamer une “indemnité journalière” supplémentaire de 500 dollars chaque fois qu’il se déplace pour la FIFA. Comme les déplacements durent rarement une seule journée, ces “indemnités” s’accumulent rapidement.
Les billets affluèrent également dans les poches d’autres personnes à mesure que Blatter créait de nouvelles commissions. Il a désormais à sa discrétion plus de trois cents sièges dans divers comités, tous s’accompagnant de défraiements et de provisions. Ses mandataires doivent passer devant le comité exécutif pour être approuvés, et le bruit sourd des tampons officiels sur les lettres d’accréditation résonne dans toutes les Alpes.
Tout comme le président a sa poule aux œufs d’or, chaque membre du comité exécutif peut avoir sa poule aux œufs d’argent, un compte de frais de représentation où il peut faire verser les divers remboursements. Selon les registres que j’ai vus, un membre au moins a ainsi mis de côté des dizaines de milliers de dollars à Zurich. De temps en temps, l’argent est retiré en liquide et envoyé à la maison. Quand les autorités ont commencé à sévir contre les voyageurs qui transportaient sur eux plus de 10.000 dollars en espèces, un membre au moins a envoyé ses petites amies équipées de valises en Suisse aux frais de la FIFA pour rapatrier une partie de l’argent.
“Je m’excuse de vous déranger pour la troisième fois avec cette affaire”, écrivit le comptable Guy-Philippe Mathieu au secrétaire général, Michel Zen-Ruffinen.
Pour souligner sa préoccupation, son désir d’être soulagé d’un fardeau déplaisant, il envoya une copie au nouveau directeur de la division finances de la FIFA, Urs Linsi. Parmi ses diverses tâches, Guy-Philippe avait la corvée peu enviable de traiter les notes de frais soumises par ses employeurs, les membres du comité exécutif.
Les huiles de la FIFA se sont octroyé le droit inouï de soumettre des notes de frais sans avoir à joindre le moindre justificatif. Ces gens-là n’ont pas besoin de s’embarrasser de reçus, de notes d’hôtel, d’additions de restaurant, de fiches de taxi, de factures de carte de crédit, de billets d’avion. Ils peuvent, s’ils le désirent, faire une demande de remboursement pour n’importe quelle somme à partir du moment où ils pensent qu’elle pourra passer.
Les membres honnêtes justifient scrupuleusement la moindre requête. Ce n’est pas le cas de tous, et c’est à Guy-Philippe de trancher. Cette fois, il en avait plus qu’assez. Un membre avait récemment empoché 44.000 dollars pour sa participation à un modeste tournoi de la FIFA. A présent, le même membre réclamait 27.420 dollars “ en dédommagement de sa mission la semaine précédente à Acapulco”.
Ce n’était pas tout. Il voulait encore 13.717 dollars supplémentaires pour un déplacement de chez lui à Zurich. Il avait transité par Londres, où il avait passé deux nuits dans un hôtel à 700 dollars. Circuler en ville lui avait coûté 150 dollars. Il ne présentait pas le moindre bout de papier pour justifier sa demande.
Dans son bureau aux murs gris donnant sur le parking, Guy-Philippe, un homme au tempérament doux, péta un plomb. Il écrivit sur la demande de remboursement : « L’année dernière, il nous a escroqués ! » Au cas où cela n’aurait pas été assez clair, il ajouta : « Arnaqués ! ».
 J’ai voulu donner à Blatter une occasion de raconter sa version des faits. Je lui ai envoyé mes questions détaillées sur la manière dont était dépensé l’argent de la FIFA. Il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre que j’avais pu lire les copies de ses documents internes. Il m’a interdit de séjour dans ses conférences de presse. Pourquoi ? Etait-ce une punition ? Craignait-il que, devant la presse mondiale, je ne me mette à agiter des documents qui auraient pu jeter quelque lumière sur la réalité ?
 Malheureusement, je ne pouvais donc pas l’interroger en face sur la poule aux œufs d’or, ni sur tout ce qu’elle avait déjà pondu pour lui. Un collègue, pour me rendre service, assista à une conférence de presse en avril 2003  et lui demanda s’il s’était fait rembourser certaines de ses dépenses pour sa campagne présidentielle par la FIFA. « Pures inepties ! », s’est-il écrié.  Après ses démentis véhéments de 1998, il pouvait difficilement dire le contraire.
 Un autre collègue a envoyé un courriel  au nouveau porte-parole de Blatter, le jeune Markus Siegler, lui demandant d’expliquer pourquoi Blatter avait demandé le remboursement de près de 70.000  francs suisses qu’il avait dépensés en messageries, télécopieurs et téléphones portables pendant sa campagne présidentielle.
Markus répondit : « De toute évidence, dans l’exercice de votre statut autoproclamé de gardien du bien-être de la FIFA, vous commencez à être à court de matériel pertinent, au point d’en être réduit à vous reposer sur des  fragments d’informations sans queue ni tête et obtenus illégalement, qu’il s’agisse d’un vol commis par des tiers ou par d’autres moyens qui jettent une lumière encore plus douteuse sur certaines de vos sources et/ou contributeurs ».
Il poursuivait rageusement : « Mais ne vous gênez pas pour publier un nouveau mensonge, une autre invention que nous ajouterons simplement à la liste des plaintes que nous sommes en train de préparer ». Tout ceci était plutôt illogique. Je n’estimai pas nécessaire de l’expliquer à Markus, il est suffisamment intelligent pour s’en être rendu compte par lui-même. Si ces fragments d’informations étaient effectivement authentiques, quelle que soit la façon dont ils ont été obtenus, alors ils étaient la base non d’un mensonge, mais de la vérité.
Je suppose que Markus dut regretter son mouvement d’humeur car, quand je lui adressai un courriel demandant pourquoi les membres n’ont pas besoin de présenter de justificatifs avec leurs notes de frais, il fut tout miel, sans pour autant m’éclairer davantage : « Par principe, une absence de documentation n’est pas fatale à une demande de remboursement de frais valide, dans la mesure où les procédures correctes ont été suivies, comme il est d’usage à la FIFA ».  Mais comment une procédure peut-elle être jugée « correcte » sans reçus ?
Je demandai à Markus : Est-il vrai qu’il y a des problèmes avec les notes de frais de certains membres ? » Il m’a répondu : « Cette question est impertinente ».
 En mai 2000,  avant leur  départ pour les jeux Olympiques de Sydney, les membres de l’exécutif de la FIFA reçurent une mauvaise nouvelle. Le secrétaire général Michel Zen-Ruffinen leur envoya un mémo disant : « Nous ferons notre possible pour vous héberger conformément à nos critères habituels, mais le nombre de mini-suites a été   restreint au strict minimum et ne peut être garanti ».
 Pire : « Malheureusement, il ne nous sera pas possible d’affecter à chacun un véhicule personnel ».  Pour compenser la déception, le président Blatter autorisa une nouvelle catégorie de frais qui n’avaient pas besoin d’être justifiés ni documentés. « Concernant la personne qui vous accompagnera (conjointe/compagne) nous avons le plaisir de vous informer  qu’elle recevra une indemnité journalière de 200  dollars et que ses frais de voyages seront remboursés ». Cela s’ajoutait aux 500 dollars quotidiens que chaque membre recevait pour assister aux Jeux Olympiques, tous frais payés.



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