Comparée à d'autres pays, la transplantation rénale reste assez récente et très peu développée au Maroc. La première greffe rénale a été effectuée en 1986 en collaboration avec une équipe de médecins étrangers. Ce n'est qu'en 1990 qu'une équipe entièrement marocaine a pu réaliser la première greffe à partir d'un donneur vivant. Depuis cette date, cette pratique a certes évolué mais pas au rythme qu'il fallait.
Actuellement, on ne compte en effet en tout et pour tout que 160 greffes rénales. Selon le Pr. Amal Bourquia, « il est certain que dans ce retard de nombreux facteurs sont incriminés : économiques, logistiques et socioculturels,… Cependant, ceci ne peut pas nous excuser dans la mesure où des pays de même culture et d'autres de même niveau économique ont pu développer cette thérapeutique. La situation des transplantations rénales dans notre pays reste inacceptable et qu'il y a urgence à la faire évoluer ».
Aujourd'hui, la question mérite d'être posée. Pourquoi cela n'a pas marché chez nous, où se situe le problème et que faut-il faire pour rattraper ce retard et donner toute la chance nécessaire aux insuffisants rénaux en vue d'améliorer leur mode de vie et sortir du calvaire de la dialyse? « Il n'y a pas un véritable problème mais plutôt de nombreuses entraves qu'il va falloir combattre ou contourner. Dans mes publications antérieures, j'ai recensé les difficultés, mais j'ai surtout essayé de faire des propositions concrètes qui commencent à mon sens par une bonne prise en charge de l'insuffisance rénale chronique. Celle-ci inclut un ensemble d'actions : il faut d'abord essayer de répertorier ces malades dans un registre national, faire participer l'ensemble des acteurs dans ce domaine, organiser les soins autour d'un programme qui, bien entendu, doit inclure la dialyse et la transplantation », ajoute Mme Bourquia.
Outre le fait de «démocratiser» la dialyse en réduisant le coût de cette pratique vitale, il faut, dès à présent, penser à « développer un programme de transplantation à partir de donneur vivant, et qui doit atteindre un rythme important et dépasser les interventions au cas par cas. Il est temps de faire participer l'ensemble des compétences dont dispose le pays pour l'essor de cette technique thérapeutique incontournable dans la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique évoluée ».
Sachant le coût que nécessite la prise en charge et qui est évalué à 120.000 DH par an (un coût qui s'élève au fil des ans), la transplantation pourrait s'avérer une bonne alternative. « La transplantation nécessite aussi des moyens, un traitement et une surveillance régulière, mais son coût reviendrait moins cher, passé la première année après la greffe. Nous avons étudié ces aspects économiques et publié sous l'égide de l'Association “Reins”, un ouvrage d'étude de pharmaco-économie. D'où l'importance d'un regroupement de tous les professionnels pour étudier toutes ces pistes », abonde dans le même sens le Pr. Bourquia. En fait, poursuit notre interlocutrice, pour apprécier l'économie réalisée par la greffe rénale réussie, il faut considérer séparément la première année et les années suivantes. Le différentiel de coût s'accentue d'une année à l'autre, car la progression du nombre de greffes réalisées permet une optimisation du matériel et du personnel, ce qui diminue le coût unitaire de chaque greffe.
Ce bénéfice peut paraître très intéressant au Maroc avec l'optimisation des moyens humains et techniques. « La greffe représente un des rares traitements qui satisfait à la fois le patient, le médecin et le gestionnaire de la santé. Dans mon ouvrage sur la pharmaco-économie dans le domaine de la greffe et dialyse, j'ai mis l’accent sur l'ensemble des avantages de la greffe rénale en termes de survie et de qualité de vie mais aussi en terme économique, du fait qu'elle mobilise moins de ressources financières que la dialyse. Il est aussi nécessaire de prendre en considération la perte de temps et souvent de travail du patient dialysé, ce qui représente une charge financière importante qui se surajoute aux dépenses médicales », ajoute-t-elle.
Sur le plan légal, le terrain semble balisé à travers la loi sur le don d'organes qui a tenté de cerner toutes les facettes de la problématique. Le législateur a limité le don aux descendants, les frères, les sœurs, les oncles, les tantes, ou leurs enfants.
Le conjoint peut être également donneur si le mariage a été contracté depuis au moins une année. Ces liens familiaux et la liberté du don sont vérifiés et attestés par le président du tribunal compétent. Les médecins qui travaillent dans ce domaine sont aussi tenus de respecter ces modalités. Bien entendu, la loi stipule que ce don doit être gratuit et ne faire l'objet d'aucune rémunération de transaction commerciale. Ce qui, en principe, doit fermer la porte devant tout trafic d'organes, lequel est expressément puni par la loi.
Et Mme Bourquia de conclure: «Le retard pris par notre pays dans le domaine de la greffe d'organes est énorme. Il est temps de donner un élan à cette thérapeutique en optant pour les solutions les plus adaptées à nos besoins tout en tenant compte de nos moyens. Certes le chemin est long et laborieux, mais seul un programme national de dialyse et de transplantation faisant participer l'ensemble des compétences de notre pays, pourra aider à surmonter nos difficultés actuelles ».