"Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : Réponses du Roi et du gouvernement (1)


Libé
Samedi 21 Août 2010

"Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : Réponses du Roi et du gouvernement (1)
Le message envoyé par les auteurs des attentats est clair. Il est contenu dans l'acte et facilement déchiffrable par les spectateurs choisis, à savoir ceux qui comprennent déjà l'idéologie en jeu. Il est porté par l'ampleur de la destruction et des pertes humaines et marqué par son aspect profondément religieux.
Contrairement aux islamistes "classiques" dont la violence, même sous la forme terroriste, vise un but stratégique et national, les nouveaux radicaux ne se soucient ni de programmes ni de résultats concrets. Ils meurent pour la signification du geste mais pas pour son résultat. Ils sont dans la réalisation de soi et donc dans une dimension mystique, mais pas dans l'ordre politique. Il n'y a donc rien à négocier avec eux, sauf dans des cas très précis (les prises d'otages sont parfois accompagnées de demandes de rançons ou de libération de certains détenus).
Dans le même moment, leur acte signifie que le pacte tacite de non agression entre les islamistes radicaux et le régime marocain vient d'être rompu. Un événement, passé inaperçu sur le plan médiatique, aurait pu alerter les autorités.
Le 20 juin 2002, Mohamed Hydar Zammar, l'une des figures de proue d'Al-Qaïda, a été arrêté au Maroc et envoyé à Damas pour  "interrogatoire". L'Amérique, informée de cette arrestation et de ce transfert, se félicite de garder les mains propres alors que les services de sécurité  marocains et syriens se chargent du sale travail. La nébuleuse terroriste ne pourra jamais oublier ce fait, d'autant plus qu'au Maroc, le temps où les éléments du GIA (Groupe islamique armé) faisaient de ce pays un point de transit vers l'Algérie semble révolu. Depuis ce jour, la thèse de l'exception marocaine n'est plus à l'ordre du jour. La trêve rompue, l'escalade était attendue.
Mais, ce qui est étonnant dans cette affaire, c'est cette  énorme surprise à la fois pour les pouvoirs publics et pour la classe politique qui venaient de découvrir l'intégrisme religieux sous une facette dont ils ne soupçonnaient pas la présence au Maroc jusqu'au moment où celui-ci opte pour l'action terroriste. Les populations de l'underground, en revanche, étaient familières du discours et du comportement religieux extrémiste depuis déjà plus d'une décennie. Dans un manifeste takfiriste distribué quelques jours avant les attentats du 16 mai 2003, il est écrit ce qui suit: "Vos femmes et vos enfants sont un butin de l'armée de Dieu."
La surprise et l'étonnement de la classe politique suite aux actes terroristes de Casablanca ne pouvaient que surprendre les observateurs au fait de la réalité de l'islamisme au Maroc.
Dans l'immédiat, une cellule de crise a été mise en place à Rabat et Casablanca pour "assurer ordre, calme et sécurité face à cette entreprise criminelle."
C'est un réveil brutal.
Alors que la violence était présente en permanence, elle se dévoile soudain comme perturbatrice de l'ordre, comme un désordre incompréhensible, comme une attaque à la quiétude marocaine, comme un affront à la décence humaine.
Dès le samedi 17 mai, le Roi Mohammed VI a décidé de se rendre à Casablanca.
En dépit de la gravité des circonstances, le Souverain a donné ses instructions pour que les enquêtes à ce sujet "soient menées en toute transparence, et que l'opinion publique marocaine soit tenue informée du déroulement des investigations en cours et de leurs résultats".
Le dimanche, le Roi a effectué des visites à l'hôtel Farah, au club "La Casa De Espana" où les attentats terroristes ont fait le plus grand nombre de victimes, puis  au siège du cercle de l'Alliance juive.
Après avoir décidé de prendre en charge les soins médicaux devant être prodigués aux personnes blessées, il s'est rendu, lundi après-midi, au chevet des blessés, qui recevaient des soins dans les différents services de l'hôpital Ibn Rochd de Casablanca.
Du côté du gouvernement, le ministre de l'Intérieur, Mustapha Sahel, a annoncé lundi 19/05/2003, à la chaîne de télévision nationale "2M", que "le réseau, qui a commis des actes terroristes à Casablanca a été identifié en entier".
"Ces avancées, ajouta-t-il, nous permettent aujourd'hui de confirmer nos présomptions sur la connexion avec le terrorisme international."
Et le discours officiel de se focaliser sur l'alibi de la violence qui vient de l'étranger.
Le Premier ministre, Driss Jettou, a appelé, dans une déclaration diffusée dimanche 18 mai 2003, par la télévision nationale, "les forces vives de la nation" à faire preuve de "vigilance", à "resserrer les rangs" et à défendre le projet de société choisi par le Maroc et visé par les attentats terroristes de vendredi à Casablanca."
Et d'ajouter que "le gouvernement mobilisera tous les moyens nécessaires pour traquer les commanditaires et les auteurs de ces crimes odieux partout où ils se trouvent." Une chasse aux sorcières à l'américaine.

 Œil pour œil.
Pour les autorités, rien, en principe, ne pouvait présager cette "atteinte grave à la démocratie." Les événements sont alors perçus comme un affront à un ordre absolu et irréprochable.
A travers ce constat, quelques éléments ressortent:
- les autorités établissent que l'ordre existant était irréprochable et de ce fait ne méritait aucune attaque;
- si dans de telles circonstances, une attaque s'est produite, c'est qu'elle était le fruit de la folie meurtrière de ceux qui l'ont commise et qu'aucune raison ne pouvait donc justifier leur geste;
- devant une telle folie, la démocratie doit se défendre par tous les moyens, car on ne sait jamais jusqu'où peut aller le dérapage terroriste.
Ainsi, en plaçant d'emblée la crise comme imprévisible, on se permettait d'articuler un discours et une action, en toute crédibilité, sur le terrain de la légitime défense.
En posant le dilemme entre une démocratie stable et efficace et le terrorisme sauvage, aveugle et imprévisible, on dressait, au départ, une toile de fond sur laquelle allait se dessiner toute une rhétorique de guerre et de répression.
"Comme vous le savez, a rappelé le premier ministre, les forces du mal et de l'agression ont attenté à la sécurité, à la paix et à la quiétude dont jouit le Maroc, en commettant une série d'attentats terroristes dans plusieurs lieux publics à Casablanca ayant causé la mort à bon nombre de citoyens innocents et fait environ cent blessés à des différents degrés."
Et de s'attaquer à la presse qui ne partage pas les options du gouvernement et "aime la violence et le spectacle de la violence, le spectacle du sang, de la souffrance et de la mort. Les combats de rats, de chiens, de coqs, de lutteurs et plus généralement les foires où l'on trouve tous ces spectacles qui sont extrêmement populaires."
Ainsi, a-t-il a saisi l'occasion pour mettre en garde ses opposants dans des termes on ne peut plus clairs et menaçant: "Les évènements sanglants qui ont eu lieu dans la ville de Casablanca ont administré la preuve irréfutable de la mauvaise attitude de ceux qui ont pris l'habitude de considérer la préservation de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens contre toute forme de violence ou d'extrémisme comme une simple imposition de la logique sécuritaire et un retour en arrière comme ils le prétendent".
"Je fais allusion, dit-il, en particulier à ceux qui, au cours des derniers mois, ont imputé le procès des membres de la Salafia Jihadia, dont les crimes ont été prouvés, à de simples calculs électoraux. Pire encore, ils ont prétendu que l'existence de ce mouvement est une pure création des services de sécurité.
Aussi, tous ceux qui avaient des doutes, au sein des milieux politiques et de la société civile, sur le caractère évident de ces menaces, se trouvent-ils aujourd'hui confrontés à cette réalité. Ils sont convaincus que la démocratie et les valeurs qui nous unissent doivent être protégées et défendues et que la consécration de l'Etat de droit requiert de nous tous d'assumer pleinement nos responsabilités dans la préservation des acquis qui constituent un motif de fierté pour nous et la preuve de la solidité des liens de notre nation dans les domaines des libertés, de la démocratie, des droits humains, du pluralisme et de la tolérance culturelle et religieuse".
Mais, sur la responsabilité des forces de l'ordre, c'est le mutisme total.
L'incompétence des agents de sécurité est désormais récompensée.
Comme disait un sociologue canadien, "les meilleurs gagnants de toute violence, ce sont les forces armées et les forces policières.
Plus elles sont nulles pour endiguer ou prévenir la violence, plus elles reçoivent des ressources additionnelles et plus elles exigent des pouvoirs exceptionnels. Certes, quelques hautes têtes tombent, mais l'ensemble de ces forces sortent gagnantes. Que ce soit la lutte contre les terroristes, contre la mafia, contre la drogue ou contre les illégaux, le contre-espionnage, les douaniers, l'armée, toutes ces instances de régulation ont intérêt à être médiocres si elles veulent plus de pouvoirs et d'argent." Lundi 19 mai, le ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ a indiqué que huit des auteurs des attentats de Casablanca identifiés résidaient dans un même quartier de la capitale économique.


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