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" Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : La nuit des explosifs et des longs couteaux


Libé
Jeudi 19 Août 2010

" Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : La nuit des explosifs et des longs couteaux
 "On se rappelle l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme... qui a vu l'ours qui a mangé le facteur, et qui n'a pas eu peur. Un peu de gloire du dernier rejaillit sur le premier. Ici c'est de la fragrance sulfureuse qu'hérite celle ou celui qui connaît une personne dont un ami parle parfois en bien de quelqu'un qui a un jour par inadvertance serré la main d'un islamiste, aussi modéré, soit-il". (Laurent Lévy, 2005)
La lecture faite des manifestations terroristes est trop unilatérale, trop simplificatrice et trop émotionnelle pour être rationnelle. Elle se limite parfois aux seules interprétations policières des faits et n'est souvent ni objective ni  scientifique.
Les éléments de ce chapitre ont été rapportés par la presse, par des victimes des attentats ou tirés des aveux et entretiens des détenus Mohamed Omari, Rachid Jalil, Hassan Taoussi, Abdellatif Amrine et Abdelouahab Rafiki, alias Abou Hafs, ainsi qu'à partir d'écrits d'auteurs qui ont tenté de comprendre et d'expliquer ce qui s'est réellement passé.
Casablanca, le 16 mai 2003: les attentats
45 morts et une centaine de blessés. Tel est le bilan des attentats de Casablanca perpétrés par une cellule composée de quatorze membres répartis en cinq groupes, qui ont pris pour cibles l'hôtel Safir, un restaurant près du Consulat de Belgique, un ancien cimetière juif, un club de la communauté juive et le restaurant "Casa de Espana" où le plus grand nombre de victimes a été enregistré. Douze terroristes ont trouvé la mort, dont au moins neuf sont  issus d'un même quartier: Carrières Thomas.
Parmi les personnes ayant trouvé la mort, figurent trois Espagnols, un Italien et un Français.
Les aveux                                                                                         
"Nous avons décidé, le 9 mai, de ne pas mener des opérations prévues pour le lendemain.                                                                                                 
Le samedi 10 mai, nous nous sommes rencontrés après la prière. Abdelfettah nous a déclaré que l'opération a été reportée momentanément et nous nous sommes revus le jeudi, c'est-à-dire la veille du 16 mai.                                                                          
Le jour J, "nous avons accompli la prière de l'aube "Al Fajr" et celle de l'après midi "Addohr", chez Omari. Nous avons pris du lait, des dattes et des sandwiches et visionné un documentaire sur le paradis et l'enfer. Entre temps, Mohamed M'hani a commencé à fabriquer les explosifs.                                   
Peu de temps après et pour ne pas attirer l'attention des gens, nous nous sommes rasés la barbe et nous avons changé nos vêtements".                                                         
C'est en ces termes que Rachid Jalil, l'une des bombes vivantes qui devait participer à l'opération de l'hôtel Farah, a fait état devant la Justice, le vendredi 25 juillet 2003, des préparatifs des attentats.                                    
Son acolyte, Hassan Taoussi, revient dans le même procès sur ce sujet dans les termes qui suivent: " Nous étions 14 individus chez Omari. Nous nous sommes rasés la barbe avant le coucher du soleil. A 20 heures, chacun a pris un sac, des bonbonnes de gaz, des allumes feu et une montre qu'Abdelfettah  Bouliqdane nous a remise. Ce dernier nous a montré comment actionner les explosifs. Mais, en route, je me suis départi du groupe et j'ai jeté le sac dans un terrain vague. Ensuite, je suis parti à Oued El Maleh avant que trois de mes compagnons ne me rejoignent".                                                                          
Ils étaient donc 14 personnes dans le complot, selon les dires des trois survivants, qui vont passer aux aveux, mais 12 ont trouvé la mort; et ce, alors que l'enquête policière confirme la présence d'une quinzième personne dont nous ignorons les détails de son identité.
Le fil des événements                                                                                    A la place de Sahat Al-Arsa
A 21h40 environ du vendredi 16 mai, un groupe de terroristes s'engage à Arsat Ftyeh, dite "Sahat Al-Arsa", dans la vieille médina, anciennement  "Bousbir", à la recherche du vieux cimetière juif Mehara, pratiquement à l'abandon. Désorientés par une fontaine identique à celle qu'ils avaient repérée la veille, Said Abid, Adil Tayee et Youssef Kaoutri actionneront quand même leurs bombes sur une petite place, entraînant avec eux dans la mort trois jeunes célibataires, en l'occurrence Abdessamad Laâmayem, (21ans, chômeur), Mohamed Mouttaqi (17 ans, chômeur) et Noureddine Metouat (23 ans).
Trois morts pour un club vide
A 21h45, en face de l'hôtel Hyatt Regency, trois jeunes hommes sont assis Place Maréchal. Un coup de fil fait sursauter le groupe de Mohamed M'hani, désigné pour se faire exploser devant l'Alliance juive. Après la première explosion de la ville nouvelle, rue El Khawarizmi, place Oued Al Makhazine, une forte détonation se fait entendre dans ce club composé d'un restaurant et d'une salle de jeu, exclusivement réservés aux membres de la communauté juive de Casablanca.
Le premier terroriste se serait collé à la porte blindée du local et actionné sa charge, défonçant la porte vers l'intérieur.
C'est à ce moment là que le second complice, resté à une centaine de mètres, investit les lieux, y dépose sa bombe et rebrousse chemin. L'explosion ne lui laissera pas le temps de quitter le local, il mourra. Quant à Rachid Jalil, qui devait accompagner ses amis, il a craqué au dernier moment et a balancé son sac entre deux voitures rue Al Khawarizmi, avant de s'enfuir. Trois jours plus tard, il se fera arrêter à Oued El Maleh, non loin de Mohammedia et fera son apparition, le 25 juillet 2003, à la première audience, devant la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Casablanca.                
Au restaurant le Positano
Le troisième objectif, le restaurant le Positano, rue Farabi, étroite artère débouchant sur le boulevard Rachidi, non loin du Cercle juif et du Consulat de Belgique. Ce restaurant est fréquenté lui aussi par de jeunes cadres. Vers 21h.50, deux individus arrivent au restaurant. Empêchés d'entrer, ils se font exploser à la porte.                                                                                                                                                                                                                
Il y a eu plusieurs victimes. Une voiture a pris feu, d'autres ont été endommagées, et la façade vitrée de l'immeuble flambant neuf du consulat de Belgique a volé en éclats.
Un Français est mort. Les policiers en faction devant le consulat précité ont été blessés. Comme au club de l'Alliance israélite, le spectacle de lambeaux de corps déchiquetés est atroce.  
A la Casa de España
Il est 21h55. Une centaine de clients sont attablés, Mohamed Laaroussi, Mohamed Arbaoui et Mohamed Hassouna arrivent à la Casa España, rue Faidi Khalifa. Ce club privé, repaire de cadres fêtards de la classe moyenne, organise chaque soir une partie de Bingo sur sa terrasse intérieure. Pour pénétrer dans le club, les terroristes égorgent froidement le gardien, puis traversent discrètement un vestibule. Ils aboutissent, par une petite porte, à l'intérieur de la terrasse et se font exploser au milieu des clients. Une terrible déflagration plonge alors ceux qui resteront conscients parmi les survivants dans l'obscurité, l'étourdissement et l'hébétude.
Il y eut 22 morts dont un Italien, deux Espagnols et 19 Marocains.
Aux environs de dix heures du soir, raconte Nadia Janani, une caissière du Club ayant survécu au drame, "l'ambiance de joie fut rompue par des cris scandant trois fois Allah Akbar." (Dieu est grand).
Levant les yeux, elle aperçut deux jeunes courir derrière les toilettes, le premier vers la table des dirigeants du club, le second avançait vers elle. "C'était, dit-elle, le paysan venu prospecter les lieux avant le jour des attentats".
Explosion prématurée à l'hôtel Farah
C'est le cinquième groupe, conduit par Mohamed Omari, qui force en dernier la porte d'entrée de l'hôtel Farah bordant l'avenue des FAR. Repérés, les terroristes se font refouler par un agent de la sécurité. Entre temps, deux autres individus pénètrent en force sous le porche et actionnent leur bombe.
Omari, qui les précédait, est assommé par le souffle de l'explosion. Il a de la peine à se relever. Blessé, il est vite rattrapé par un chauffeur de taxi.
Victimes et survivants
Par les quelques dirhams dépensés dans la fabrication de bombes artisanales, les terroristes ont montré l'incapacité de l'État à défendre les populations et à assurer leur sécurité.
Hassan Qarib, 44 ans, agent de sécurité de l'hôtel Farah, marié et père de 4 enfants a trouvé la mort au cours de cet attentat, alors qu'Omari, l'un des principaux organisateurs des attentats, a été simplement blessé dans le hall de l'hôtel Farah.


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