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"Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : Arrestations, procès et condamnations


Libé
Samedi 4 Septembre 2010

"Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : Arrestations, procès et condamnations
Le 17 mai 2004, le ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ (décédé en novembre 2007), a indiqué dans un entretien à "Asharq Al Awsat", quotidien arabe édité à Londres et à Casablanca, que les tribunaux marocains ont inculpé 2.112 islamistes depuis les attentats du 16 mai 2003 de Casablanca, et prononcé 903 condamnations définitives dont 17 peines de mort.
Ainsi, en s'inspirant des déclarations du président américain suite aux attaques du 11 septembre 2001, le gouvernement a-t-il jugé nécessaire de recourir à la "marocanisation" du discours américain qui a prévalu après ces attentats en annonçant notamment que les responsables des attaques de Casablanca s'en étaient pris aux valeurs de la démocratie, de la liberté et des droits humains et en adoptant un train de mesures préjudiciables à la liberté et à la démocratie.
Un examen attentif des suites des attentats de Casablanca permet de distinguer les effets des actes terroristes attribuables à leurs auteurs de ceux que le pouvoir a créés en y répondant notamment par la censure des médias, les arrestations motivées sur la base de l'unique doute, l'augmentation des budgets de la sécurité et les violations de la vie privée des citoyens.
Quelques mois plus tard, il s'est avéré que ces mesures ont participé à la création d'un climat de méfiance généralisé et accentué la rupture des liens de confiance entre les citoyens et la classe politique.
Le rejet des élections de septembre 2007 par les citoyens en est l'exemple le plus patent.
Concernant les mauvais traitements infligés dans les affaires de terrorisme au Maroc et dénoncés par les organisations des droits de l'Homme, le ministre de la Justice a déclaré: "Je ne peux pas dire qu'il n'y a absolument pas eu de dépassements, mais ce que je nie, c'est que cela ait été général".
Durant les cinq dernières années qui ont suivi les événements du 16 mai 2003, plus de 5200 suspects ont été arrêtés et environ 11000 personnes ont été interpellées dans les villes de Salé, Casablanca, Rabat, Tanger, Meknès, El Youssoufia et Tétouan, etc. Plus de 1000 personnes ont été jugées sur la base de la loi 03-03 adoptée juste après les attaques du 16 mai. 
Jusqu'à ce jour, plusieurs détenus continuent de clamer leur innocence. Une trentaine parmi eux, se trouvant à la prison d'Oukacha à Casablanca, ont adressé à la veille de la fête du sacrifice (El Aïd Lekbir), le 27 novembre 2009, une lettre au Roi "l'implorant d'agir pour lever les injustices dont ils font l'objet", notamment à travers leurs arrestations, condamnations et conditions d'incarcération. Les trente deux cosignataires de la lettre n'ont pas manqué de réitérer leur innocence et de demander la révision de leur procès.
Inutile donc de rappeler que ce qui frappe le plus dans cette affaire, c'est l'inadéquation de la réponse de l'État par rapport aux actes incriminés. En estimant qu'il est inutile de chercher les "causes" du crime au-delà de la prise de décision du criminel, l'État et son dispositif politique, judiciaire et policier ont esquivé la question de leur absence lorsque ces milliers de personnes "détenues" préparaient leurs attentats. La fuite en avant s'est traduite par la volonté de "tuer le malade au lieu de le soigner." En privilégiant la solution pénale "bon marché", ils ont également détourné l'attention du problème complexe de la sécurité (incompétence des services de renseignement, questions géopolitiques, économiques, etc.) et réduit le contexte dangereux à une série de faillites du contrôle pénal et à l'absence de textes juridiques concernant le terrorisme.
Dans les pages qui suivent nous tentons de dresser des profils des différents groupes de détenus, notamment ceux du groupe "Youssef Fikri" et Assirate Al Moustaqim, de Casablanca, Rabat, Meknès et Oujda.
Zakaria Miloudi et Youssef Fikri: la plume et le sabre
- Zakaria Miloudi est mort le 14 novembre 2006 à la prison centrale de Kénitra des suites d'une crise d'asthme aiguë, alors qu'il purgeait une peine de prison à vie depuis 2003.
Miloudi a été considéré comme le chef du groupe "Assirat Al Moustakim" (Le Droit chemin). Prédicateur rejetant les règles de l'État (polygame ayant contracté un mariage blanc et disposant d'enfants sans livret de famille), il a été condamné pour avoir commandité, par fatwa, le 24 février 2002, l'assassinat de Fouad Kerdoudi (considéré comme un impie) dans le bidonville Sekouila à Sidi Moumen, et pour d'autres meurtres.
Né en 1970, à Casablanca, Zakaria est issu d'une famille pauvre et nombreuse. A l'âge de 15 ans, il quitte le collège, alors qu'il était en 3ème année secondaire et intègre un atelier de mécanique, avant de s'essayer à la menuiserie.
Après sa rencontre avec "Abou Zoubaïr", un vendeur ambulant, Zakaria est pris en main par des salafistes patentés qui l'ont initié aux préceptes du salafisme et du wahhabisme.
Fortement endoctriné, malgré son faible niveau d'études, il sera très actif dans les bidonvilles de la métropole, Rhamna et Ahl Laghlam, d'où sortiront d'autres jeunes activistes radicaux qui s'autoproclameront salafistes.
Ils réapprennent à prier à leurs familles et voisins et obligent ces derniers à porter une tenue particulière et à se prosterner dans une position précise.
Zakaria puise les fondements de son action dans ce qu'il appelle le Jihad et au nom duquel ses compagnons peuvent confisquer tous les biens de leurs victimes. Que ce soit de l'argent, des bijoux, des marchandises de valeur ou des cartes bancaires.
Dès que le mouvement "Assirate Al moustaqim" a pris forme, Zakaria Miloudi a écrit un brûlot où il stigmatisait "le régime mécréant de bourgeois corrompus" et faisait l'apologie de la lutte des musulmans du monde entier contre les infidèles et les croisés.
Ses références théologiques et théoriques sont tirées des leçons de Chadli, alias "Abou Obeïda", qui est le père spirituel d'"Assirate Al Moustaqim". Toute la vision de Zakaria Miloudi tenait à l'opposition entre le licite (halal) et l'illicite (haram).
Pour imposer leur conception rétrograde de l'islam, les membres de ce mouvement radical ont tenté de prendre la direction des mosquées des quartiers défavorisés.
 - Youssef Fikri est considéré comme le numéro 2 de "Jamaât Assirate Al Moustaqim", qui a semé, pendant des années, la terreur au Maroc.
Natif de Safi en 1978, ex-menuisier, expulsé de la maison familiale à Youssoufia par son père alors qu'il était adolescent, il est d'abord membre du mouvement "Addawa Wa Tabligh" (Prédication et communication), ensuite, il est "recruté" par "Al Hijra Wa Takfir" (Exil et Excommunication) et rêve de se venger des impies. Il commence d'abord par sa famille. Il tue son oncle en 1998 à Youssoufia et disparaît dans la nature.
Depuis cette date, il a installé, sous sa férule, des groupes armés composés de 5 personnes chacun, qui sillonnaient le pays pour appliquer la chariâa sur le terrain. Les références de cet émir sanguinaire, sans domicile fixe, sans principauté ni formation scolaire, sont salafistes. Il a décidé de combattre les impies et a constitué une armée de jeunes issus de milieux déshérités. À son actif, plusieurs meurtres avec préméditation.
Le premier remonte à 1998 à Youssoufia, où Youssef Fikri et ses acolytes assassinent Omar El Farrak. Motif de cet homicide: la dépravation provocante de la victime.
Après avoir fait partie d' "Exil et Excommunication", il décide de partir en pèlerinage dans le Royaume. Désormais, plusieurs des quartiers périphériques de Nador et Agadir vivent sous la loi martiale de Youssef Fikri, qui organise des expéditions punitives accompagnées de vols et d'agressions, dont l'objectif est de constituer un trésor de guerre. 
À Nador, Youssef Fikri et l'un de ses complices donnent la mort en 1999 à un candidat à l'émigration clandestine, réfractaire à la religion. À partir de l'an 2000, Sidi Taibi près de Bouknadel, Beni Makada à Tanger, Aouinat El Hajeb, Ain Haroune, Ben Slimane, Ben Souda à Fès, Toulal à Meknès, et quasiment l'ensemble de la périphérie casablancaise sont devenus des zones de prédilection, transformées en fiefs.
C'est à Sidi Moumen, à Casablanca, que Youssef Fikri croise Mohamed Damir. Herboriste de son état, Damir ou "Abou Al Harith", est considéré comme un dangereux criminel par la police. Ainsi, ils sont devenus les éléments les plus durs des groupuscules et exécutèrent des sentences meurtrières contre plusieurs personnes.  
Le 24 juillet 2002, Youssef Fikri tombe dans les mains de la police de Tanger. Ce sont les enquêtes de la Brigade nationale de la Police judiciaire (BNPJ) qui révèleront sa véritable identité.   À partir de sa cellule de la prison civile d'Oukacha à Casablanca, il explique la guerre sainte qu'il a déclarée contre les " impies " depuis 1998 dans une lettre publiée, le 17 avril 2003, par l'hebdomadaire "Al Ayame". Il estime n'avoir fait qu'appliquer la charia et ne regrette rien de ses crimes.


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