Gaza, hélas est devenu un objet de consommation médiatique, passé au Moulinex de la médiasphère; la tragédie palestinienne revit pour la énième fois une immense récupération politico-médiatique. Les victimes sont devenues des statistiques macabres dans l'agenda des journaux télévisés; le drame d'un peuple est réécrit comme une dramatique pour les écrans, comme un scénario en fonction d'une dramaturgie obéissant aux normes de l'audimat. Les images ont épuisé l'événement. L'image du reporter a remplacé l'information. Elle s'y substitue ouvrant la voie au zoom, au gros plan, au montage qui construisent un autre discours. La guerre à Gaza est d'abord la guerre que nous racontent les médias.
L'information est principalement un récit médiatique. Et les gens en consomment à satiété; l'image de la tragédie se substitue à la tragédie; on vit l'événement par procuration dans une sorte de catharsis. Jean Baudrillard parle ainsi d'une forme d'évasion, de conjuration de l'événement. L'image de l'événement à la télévision devient refuge imaginaire contre l'événement. Cette médiatisation à outrance est une violence faite à événement. D'où l'espace restreint à un discours autre que celui de cette dramaturgie. Et pourtant, il faudra quand même trouver l'occasion pour placer deux mots maintenant qu'on a marché et évacué toute sa colère et sa détresse…par procuration devant les caméras.
Oui, tenter de placer deux mots pour dire la tristesse de voir la défaite de la pensée, de la raison; l'abdication de l'esprit des lumières face au retour de la barbarie. Deux mots pour dire que la séquence actuelle n'est pas inédite et relève du déjà vu. Le remake d'un film ressassé depuis maintenant des décennies et dont la morale est pourtant simple et limpide. La nouvelle tragédie qui se dessine est le signe d'un double échec: l'échec du projet sioniste de la création d'une entité factice sur les décombres d'une entité historique et l'échec du projet panarabe (kaoumi) de créer un Etat palestinien pur et dur.
L'impasse actuelle est le résultat de la confrontation de deux aveuglements, du télescopage de deux approches qui se ressemblent dans leur esprit exclusif, fondé sur le déni et la discrimination. Et paradoxalement, cet enlisement dans la logique des guerres de Cent ans, des guerres de religion, des conflits de tribus et de villages… remet timidement en scène le seul projet possible pour permettre une autre issue à la région, celui du projet de la Palestine démocratique et laïque. Les intégristes des deux bords ne veulent pas la paix parce qu'elle est incompatible avec leur projet de société viscéralement fondé sur l'exclusion de l'autre.
Un autre projet de société d'altérité et de tolérance est tributaire d'une rupture culturelle et intellectuelle d'abord chez les élites. Si cela demeure une utopie qui aide à vivre, il est hélas encore une hypothèse lointaine tant que l'opportunisme et les petits calculs politiciens ont valeur de programme, au double sens du mot, politique et médiatique.