La fenêtre de la liberté

Texte dédié aux anciens internes du lycée Imam Malik Hde Casablanca


Libé
Jeudi 25 Février 2021

La fenêtre de la liberté
Le lycée Imam Malik, situé au quartier chic de Belvédère à Casablanca, est un prestigieux établissement d’enseignement qui disposait d’un internat dans les décennies 60 et 70. Dans mon autobiographie, parue en 2012 chez L’Harmattan, j’y ai consacré un chapitre entier sur mon séjour dans cette institution il y a plus d’un demi-siècle. La particularité de ce lycée c’est qu’il a la forme d’une forteresse donnant sur quatre rues dont celle de Sijilmassa. Seule cette dernière rue disposait de grandes fenêtres. L’une d’elles (sur la photo), tout près d’une porte condamnée, était presque toujours fermée. Elle reflète bien, par sa sobriété, ses barres de fer horizontales et verticales et sa grandeur une image de geôle.

Pourtant, pour notre génération d’élèves internes de la promotion 1970-72, c’était, du lundi matin au vendredi aprèsmidi, l’unique possibilité d’entrevoir l’extérieur et d’avoir la sensation de respirer l’air de la liberté. Cette fenêtre qu’on ne pouvait que légèrement entrebâiller, sous peine d’être remarqué par le Surveillant général de l’internat, permettait à quelques-uns d’entre nous de contempler, ne serait-ce qu’une dizaine de minutes, les passants ou mieux les filles à la sortie du collège de la mission française Anatole France.

Pour les élèves fumeurs et ceux qui tentaient cette expérience, pour la première fois, cette fenêtre était sans doute l’endroit idéal pour quémander des cigarettes aux passants. A la fin de la collecte, le butin était hétéroclite à souhait avec des spécimens de toutes les marques aux différents goûts. Des blondes exquises aux noires chocolatées, et des locales bon marché aux importées, plus chères.

Notre fenêtre n’était pas utilisée par tous les élèves de la promotion, mais seulement par quelques-uns, car elle se trouvait dans le couloir en rez-dechaussée avec toujours de petites araignées et de la poussière sur les bords. Mais, en fait, ce qui dissuadait les élèves de s’aventurer pour regarder par la fenêtre ce n’était pas la poussière, mais surtout le fait que, sur le même alignement, juste à quelques mètres à droite, se trouvait la villa de notre Proviseur. Ce dernier passait par là le soir vers l’épicerie toute proche de la rue de Vouziers (devenue rue Abou Amer Benallala). Ce qui nécessitait de doubler de vigilance de crainte d’être remarqué par ce responsable intransigeant en matière de discipline.

Mais c’était sans compter sur l’obstination de nos esprits encore jeunes. C’était l’âge du défi et on ne pouvait résister à la tentation de communiquer avec le monde. Pour nous, cette fenêtre représentait le lien avec l’extérieur, peut-être qu’elle le représente encore pour d’autres élèves de la nouvelle génération. Gustave Flaubert (1821-1880) ne disait-il pas que « La fenêtre, en province, remplace le théâtre et les promenades »

La fenêtre est un symbole. En tant qu’ouverture sur l’air et la lumière, la fenêtre symbolise la réceptivité. Dans le Dictionnaire des symboles (édit. Laffont, 1982) si la fenêtre est carrée, comme c’est presque le cas ici, c’est la réceptivité terrestre, à l’opposé de la fenêtre ronde qui symbolise une réceptivité de même nature que celle de l’œil et de la conscience.

La fenêtre de la liberté
Grand merci à cet établissement historique qui fut, au temps du Protectorat, l’école de la Gare. Elle se trouvait près de la gare ferroviaire Casa-voyageurs. Grand merci aux responsables de l’époque : le professeur Mohammed Amor, Proviseur du lycée, et à feu Abdelkader El-Ghali, Surveillant général d’internat. Nous leur devons la gratitude de nous avoir aidés à devenir ce que nous sommes.

Par Mustapha Jmahri


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