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La capitale des Alizés confrontée à une grave crise de gouvernance : Essaouira entre images d’Epinal et tristes réalités


Abdelali Khallad
Samedi 12 Novembre 2011

La capitale des Alizés confrontée à une grave crise de gouvernance : Essaouira entre images d’Epinal et tristes réalités
Dans une petite ville, si discrète et si merveilleuse telle qu’Essaouira, il est des choses que vous pouvez découvrir en quelques heures, voire quelques minutes. Mais il est aussi des choses que vous devez vivre pleinement. Prendre du temps pour intérioriser son temps social, et saisir ses contradictions frappantes. Ici, il faut faire la différence entre la carte postale et la réalité, pour ne pas subir les effets de l’affreux  décalage entre les deux images.
Essaouira la carte postale ce sont les remparts, les majestueuses portes, la vieille Skala, le port millénaire recelant une longue histoire de partage, d’échange et d’ouverture sur les autres cultures, son littoral, et regorgeant d’une grande richesse piscicole, le patrimoine musical, les infrastructures hôtelières, les femmes au hayek siégeant près de la statuette d’Orson Wells, le marché des épices, les canons de la Skala, les pacifiques et souriants Souiris qui acceptent de se faire prendre en photo sans manifester la moindre objection, etc.
Mais au-delà du panorama il y a la réalité :  Essaouira au quotidien, un musée à ciel ouvert mais sans indications, le patrimoine bâti qui se dégrade continuellement, le cachet architectural défiguré, le secteur informel qui fleurit avec ses innombrables riads, appartements et maisons d’hôtes, les inquiétants  indicateurs de précarité, les contraintes du processus de  désenclavement, les  ceintures de pauvreté, les dizaines de vagabonds, les problèmes de gouvernance, la cherté de la vie, le déficit en termes d’infrastructures et de services de base, les innombrables malaises de la  santé publique, la dépravation qui se propage, l’impunité qui tend à devenir la règle, les projets sinistrés et la misère du politique dont les valeurs basculent toujours vers la médiocrité.
Tant qu’il y a l’impunité, Essaouira aura toujours du mal à concilier ses habitants avec la chose publique ou même politique, les innombrables affaires de détournement de deniers publics, les procédures et actes illégaux, les abus de pouvoir, les symboles de la dépravation qui courent toujours et qui propagent les valeurs de la transgression, de la médiocrité, de la dépravation, de la corruption, de l’opportunisme, de l’arrivisme et du clientélisme.  Les citoyens qui aspirent à un Etat de droit et à une vie politique transparente et crédible sont actuellement confrontés à une forte offensive du clan électoraliste qui cherche, de nouveau, à fausser le jeu politique.
« Nous craignons fort pour notre ville avec les nouvelle figures qui manipulent actuellement la vie politique. Certes, les Souiris comme tous les Marocains ont milité pour un système politique démocratique, mais ils sont confrontés à un clan fort de ses moyens financiers, mais sans aucune référence politique ou institutionnelle », commente un acteur politique.
Les juges de la Cour des comptes ont entrepris depuis quelques semaines une mission d’inspection au sein de la municipalité d’Essaouira. Ils ont passé au peigne fin des projets, audité des dossiers financiers et administratifs et auditionné des fonctionnaires pour rédiger leur rapport et rendre compte des innombrables irrégularités ternissant la gestion de la chose locale depuis plusieurs années.
Ailleurs on parle de rentabilité, d’efficience et d’efficacité. Ici, on se pose toujours des questions sur le problème de la légitimité et les multiples actes adoptés en violation des lois et procédures en vigueur, les biens cédés, les autorisations et  contrats de bail signés, les deniers publics gaspillés, etc. Bref, la valse des problèmes de gouvernance continue.
A cet effet, le comportement des citoyens accompagne cette culture de mépris des lois, les espaces publics sont massivement occupés, le secteur informel fleurit et la corruption devient la règle.
D’autre part, la ville vit toujours sur le rythme des chantiers inachevés, à l’image du projet de mise à niveau urbaine. Plusieurs quartiers n’ont pas encore été touchés par les travaux une année après leur entame. Les moyens matériels et humains déployés par la société chargée de ces travaux laissent à désirer. De ce fait, le rythme des réalisations reste en deçà des attentes des citoyens.
« Je me demande si le cahier des charges du projet comporte des conditions liées aux moyens matériels et humains pour la réalisation des travaux selon les normes de qualité et les délais fixés. Nous avons l’impression que ces travaux traînent. On trace une zone, puis on la quitte vers une autre qu’on laisse inachevée à son tour, et ainsi de suite. Ça commence vraiment à nous taper sur les nerfs ! », nous a confié l’un des habitants du quartier Azlef qui se plaint des gravats entassés, des égouts à découvert, et de l’absence de signalements.
On retrouve le même constat dans l’ancienne Médina qui fait l’objet d’un projet de réaménagement du réseau d’assainissement liquide. Le principal circuit touristique de la ville ressemble maintenant à un chantier dont personne ne sait maîtriser les délais, car il est toujours difficile d’entreprendre des travaux souterrains à Essaouira vu ses spécifiés géologiques, l’étroitesse des ruelles et surtout le problème des vieilles demeures fragilisées qui menacent ruine.
«  Dans le temps, Essaouira fut une cité modèle au niveau des infrastructures de l’assainissement liquide. La surdensité et la pression exercée par les innombrables structures hôtelières ont largement dépassé les capacités de traitement de son réseau. Certes, le projet ne pourra qu’améliorer la qualité du service et épargner aux touristes les malheureuses images des égouts saturés et flaques d’eau. Toutefois, nous espérons que les délais seront respectés et que les travaux ne vont pas traîner des années encore comme cela a été le cas pour le projet de réaménagement du réseau d’assainissement liquide de la ville», nous a déclaré un opérateur touristique.  
Depuis le 5 octobre 2011, un groupe de jeunes chômeurs diplômés observe un sit–in devant la délégation du ministère de l’Education nationale à Essaouira. Il revendique l’intégration directe dans la fonction publique avec comme slogan «  La priorité au licencié souiri ». Cet acte de protestation légitime et pacifique reflète une réalité que nul ne pourra cacher, c’est qu’il y a  une masse de jeune diplômés que le secteur du tourisme, choisi comme axe du processus de développement local de la ville, n’a pas réussi à intégrer. Ces jeunes contestent les embauches dans les communes et  administrations de la ville.
Autre phénomène qui mérite d’être mentionné : plusieurs milliers de citoyens souffrant de la précarité, résident dans les ceintures de pauvreté à Jrifat, Lafrina, Chbanat, Lmalah, Quartier industriel, Skala, etc. Un environnement propice au développement de différents fléaux sociaux… et qui alimente la cherté de la vie dans cette petite ville manquant de tout.
« Les prix des légumes, fruits, poissons, produits de première nécessité sont vraiment inabordables, on se croirait dans l’un des quartiers les plus huppés de la capitale ! », s’indigne un visiteur.
La vie devient de plus en plus chère à Essaouira, les loyers, le panier de la ménagère et même le poisson atteignent des prix inaccessibles. Personne ne fait rien pour les régulariser et les adapter au pouvoir d’achat des citoyens. D’ailleurs, cette situation résulte du monopole et de la  spéculation que se permet une poignée d’individus qui ont progressivement préparé le contexte local à la flambée des prix avec la complicité des responsables locaux.
Essaouira est assise entre deux chaises : elle espère être propulsée comme destination touristique d’une part, mais elle est confrontée également à un quotidien jalonné de problèmes économiques, sociaux, structurels et institutionnels. Une image contradictoire  porteuse d’indicateurs d’une crise des valeurs.


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