“Missa” : L'absurde dévoilé



L’artisan de l’égalité homme-femme en matière d’héritage n’est plus

Décès du président tunisien Béji Caïd Essebsi


Libé
Vendredi 26 Juillet 2019

Vétéran de la politique, le chef de l'Etat tunisien Béji Caïd Essebsi, décédé hier à quelques mois de la fin de son mandat, avait servi sous Bourguiba et Ben Ali avant de devenir président en 2014, trois ans après la révolution tunisienne.
Plus vieux chef d'Etat au monde en exercice (92 ans) après la reine Elizabeth II d'Angleterre, cet avocat de formation est né dans une famille bourgeoise tunisoise. Il était revenu sur le devant de la scène à la faveur de la révolution, qui a entraîné la chute de Zine El Abidine Ben Ali début 2011, et déclenché les printemps arabes.
Doté "d'une intelligence politique extrême et d'un pragmatisme extraordinaire", il n'a toutefois "pas moralisé la vie politique alors que c'était pourtant nécessaire", a déclaré à l'AFP un responsable ayant collaboré à plusieurs reprises avec lui.
Ministre de l'Intérieur dès le milieu des années 1960, puis de la Défense et des Affaires étrangères sous le père de l'indépendance Habib Bourguiba, "BCE" a ensuite été président du Parlement au début de l'ère Ben Ali (1990-91), avant de s'effacer durant l'essentiel des années 90 et 2000.
Durant les trois décennies de dictature, M. Caïd Essebsi ne s'était toutefois jamais opposé à Ben Ali. Il a été accusé, en avril dernier, par l'instance chargée de rendre justice aux victimes des différents pouvoirs politiques, d'avoir constaté personnellement des tortures et autres violations commises sous Bourguiba, mais de n'avoir rien dit.
En raison de sa longue expérience de l'Etat, et malgré son âge avancé, c'est lui qui est nommé Premier ministre provisoire en février 2011, en plein tumulte révolutionnaire.
A son crédit, il a mené le pays vers les premières élections libres de son histoire, en octobre 2011, remportées par le parti islamiste Ennahdha.
Il a participé l'année suivante à la création du parti Nidaa Tounes, assemblage hétéroclite d'hommes d'affaires, universitaires, syndicalistes et sympathisants de l'ancien régime unis par leur opposition à Ennahdha.
C'est pourtant avec ces islamistes que Nidaa Tounes s'allie après ses succès électoraux de 2014, au grand dam de certains de ses électeurs.
Dans la seconde partie de son mandat, à l'approche des nouvelles échéances électorales, son entente avec le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, s'était toutefois dégradée, jusqu'au divorce fin 2018.
Parallèlement, Nidaa Tounes s'est déchiré sous l'effet de luttes de pouvoir, tandis que le jeune Youssef Chahed, propulsé par Béji Caïd Essebsi à la tête du gouvernement, s'est émancipé, lançant une formation rivale.
Sur le plan sociétal, en ligne avec son héritage bourguibiste, celui qui s'était targué d'avoir été élu "grâce aux femmes" avait fait annuler une circulaire empêchant le mariage des Tunisiennes musulmanes avec des non-musulmans.
Il souhaitait plus largement rester dans l'histoire comme l'artisan de l'égalité entre femmes et hommes en matière d'héritage, obtenant qu'un projet de loi soit présenté au Parlement sur ce sujet délicat qui touche au texte coranique. Mais le débat s'est enlisé à l'approche des élections prévues cette année, et il est décédé sans que le texte n'ait été soumis au vote.
Bien qu'il répète souvent que le respect des droits de l'Homme était l'un des acquis de la jeune démocratie, le président Essebsi n'était pas parvenu à faire taire les soupçons sur son inclinaison à rétablir des pratiques de l'ancien régime.
Il a été à l'origine d'un projet de loi controversé d'amnistie de personnes impliquées dans la corruption sous la dictature. Face au tollé, le texte a été revu pour ne concerner que les fonctionnaires accusés d'être impliqués dans des faits de corruption administrative et n'ayant pas touché de pots-de-vin.
Premier chef d'Etat tunisien élu librement au suffrage universel, M. Caïd Essebsi s'était dit favorable à un régime davantage présidentiel, ce qui impliquerait une révision de la Constitution de 2014, un des grands acquis de la période post-révolution.
Tout en assurant être le garant de la liberté de la presse, il a parfois affiché son incompréhension -voire son courroux- contre les critiques de certains médias.
Enfin, la place accordée à son fils Hafedh, dirigeant de Nidaa Tounes, a fait polémique, contribuant aux luttes fratricides au sein du parti.
Le président a été soupçonné de vouloir favoriser une succession dynastique, ce qu'il a toujours nié.


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