Khalid Alaâyoud, coordinateur régional de l'ARARBA à Agadir : “La régression des arganeraies est préoccupante”


ENTRETIEN REALISE PAR IDRISS OUCHAGOUR
Mercredi 28 Avril 2010

Khalid Alaâyoud, coordinateur régional de l'ARARBA à Agadir : “La régression des arganeraies est préoccupante”
Le Club de la presse de Tiznit a organisé
dernièrement un colloque national sous le thème :
« La presse, partenaire
primordial dans la
question
environnementale et le développement durable». Parmi les sujets abordés, celui de l'arganier et son rôle dans les enjeux de la préservation des
écosystèmes de son
habitat. Nous revenons sur cette question avec Khalid Alaâyoud,
coordinateur local du Réseau des associations de la réserve de la
biosphère de l'arganeraie.


Libé : Voulez-vous nous parler de la fonction écologique de l'arganier ?

Khalid Alaâyoud : L'arganier est un arbre endémique qui ne pousse qu'au Sud du Maroc. Son habitat s'étend d'Essaouira jusqu'aux confins  du Sahara. Il joue un rôle crucial dans les mécanismes naturels de protection de l'environnement. L'arganeraie  constitue une ceinture verte qui s'érige comme l'ultime rempart contre les fléaux de la désertification et de  l'ensablement qui menacent certains territoires. En outre, cet arbre  contribue efficacement à la protection des sols contre l'érosion. Surtout que les sols   plantés d'arganiers sont naturellement très faibles en matière d'absorption des eaux pluviales. Si bien que dans les régions montagneuses, l'arganier favorise la pénétration des eaux de pluie et concourt, du même coup, à l'alimentation des nappes  phréatiques. En outre, cet arbre est doté d'une faculté d'adaptation exceptionnelle aux climats arides et secs. Il peut facilement  résister  dans des régions recevant une pluviométrie inférieure à 200 mm par an  et à des chaleurs dépassant 50°c.
Vous avez participé au débat concernant le projet d'élaboration de la Charte de l'environnement.

Qu'avez-vous formulé comme suggestions spécifiques aux arganeraies ?

Bien entendu, l'ARARBA ne peut pas laisser passer une telle occasion sans la   marquer de sa présence. Nous avons mené au niveau de notre Réseau qui fédère plus de 100 associations représentant les différentes régions où l'arganier existe, un large  brainstorming  ainsi que  de nombreux ateliers de réflexion à travers des  séminaires organisés dans plusieurs villes comme Agadir, Taroudant et Tiznit. Ces discussions  nous ont permis de dégager des recommandations que nous avons formulées lors des débats ayant précédé  l'avant-projet de cette charte. Lesquelles  préconisaient grosso modo que l'arganier soit reconnu comme un patrimoine identitaire à préserver, l'arganeraie étant déclarée réserve de biosphère et vecteur capital de développement socioéconomique. Les discussions ont porté, dans la foulée,  sur la nécessité de mettre en place une stratégie claire quant à sa protection et aussi à sa plantation. Laquelle doit privilégier une approche participative  faisant appel aux efforts des habitants, ONG, associations locales et même entreprises privées ou publiques. L'autre problème soulevé et sur lequel nous avons exprimé des recommandations  est celui de l'eau. Notamment, dans certaines régions du Souss où la baisse du niveau de la nappe phréatique par les pompages excessifs pour les besoins agricoles, ne permet plus aux racines de l'arbre de s'alimenter en  eau. La loi 10-95 sur l'eau doit être activée incessamment. Pour ce qui est de la plantation et vu les pertes qui s'élèvent à 600 ha par an,  il s'agit d'un déficit critique qu'il faut combler pour assurer la pérennité de ce patrimoine naturel. La vitesse à laquelle se déroulent les différentes actions et projets de replantation ne permet pas de se rattraper.
D'où la nécessité d'une politique agissante de réhabilitation de l'arganeraie.

L'arganeraie va mal, alors ?

Actuellement, le peuplement en arganiers est estimé à quelque 827.000 hectares répartis comme suit : Essaouira 130.000 ha, Agadir 37.000 ha, Chtouka-Aît Baha 90.000 ha, Tiznit 140.000 ha, Taroudant 360.000 ha et Inzegane Ait Melloul 1300 ha. Auparavant, ce peuplement était de 1 million 500.000 ha. Un autre indicateur très révélateur : la densité de l'arganeraie est passée de 100 à 150 arbres par/ha à 30 pieds seulement par hectare. Donc, on voit que la régression est préoccupante. Elle l'est d'autant plus que cet arbre crée des richesses pour les populations qui l'exploitent. On assiste depuis quelque temps à l'éclosion d'une véritable agro-industrie autour de l'arganier. Ce qui a sensiblement amélioré les revenus des populations. Et c'est dommage qu'une ressource qui crée autant de richesses subisse un aussi mauvais sort.

A votre avis, quelles sont les causes qui ont induit cet état de fait déplorable ?

Si les  sécheresses successives ont en quelque sorte affecté ce patrimoine, il n'en reste pas moins que c'est surtout l'intervention de l'homme qui est incriminée, en premier lieu. L'homme exploite d'une manière anarchique et  cupide cette ressource forestière. Les coupes  sauvages continuent de s'effectuer afin de satisfaire les besoins en charbon pour le chauffage ou pour permettre l'édification de projets touristiques ou d'habitat. Les défrichements sont également fréquents dans les terrains proches des terres agricoles, etc. L'homme pense au gain sans penser à préserver les ressources.  Pourtant, avec une exploitation  rationnelle, l'arganier  jouera un rôle économique et social indéniable au profit des populations. Il permet actuellement une production d'huile qui se situe entre 3500 et 4000 tonnes par an. Quant aux coques, on parle actuellement d'une masse de 78 000 tonnes/an. L'autre fonction sociale de l'arganeraie  réside dans les journées de travail qu'elle génère au profit des habitants de la région. L'exploitation forestière procure quelque 800.000 journées de travail chaque année. Pour ce qui est de l'extraction de l'huile, elle assure plus de deux millions de journées de travail par an pour les femmes, sachant qu'un litre d'huile nécessite une journée et demie de travail.  

Quid alors des efforts accomplis pour le reboisement de l'arganeraie et  les mesures prises pour sa protection au niveau de l'ARARBA ?

D'abord nous avons commencé par de petites actions à la portée de nos moyens. Notre première campagne avait été lancée sous le thème « Un arbre pour chaque citoyen». Nous avons pu planter plus de 100.000 arganiers dans différents villages de Chtouka Aït Baha. C'est un succès important qui honore notre réseau en tant que contribution de la société civile. Par la suite, nous avons initié un autre programme du « Projet Arganier » plus consistant, en partenariat avec des associés institutionnels comme le département des Eaux et Forêts et l'Agence de développement social. Ce projet d'envergure et cofinancé par l'Union européenne. Jusqu'à présent, nous pouvons nous targuer d'avoir planté plus de 960.000 ha, soit l'équivalent de 65.000 arbres  dans quatre provinces, à savoir celles de Tiznit, Agadir-Idaoutanan,  Chtouka-Aït Baha et Taroudant. En plus de cette campagne de plantation d'arganiers, l'ARARBA a mené des actions  de sensibilisation à l'importance écologique, sociale et économique de cet arbre, mais aussi d'accompagnement technique et de formation pour une meilleure implication des populations locales, qui, seules, peuvent agir efficacement pour la protection de l'arganeraie.

Lors de votre exposé au colloque du CPT  sur l'environnement, vous avez évoqué le problème de l' « anachronisme » de l'arsenal  législatif régissant l'exploitation de l'arganeraie. De quoi s'agit-il au juste ?

Vous savez que la loi qui réglemente la relation entre les habitants des aires implantées d'arganiers et ces derniers date de 1925. Cette loi place l'arganeraie dans le domaine privé de l'Etat et confère aux seules populations locales le privilège de son exploitation. Je pense que dans le contexte actuel, cette réglementation s'avère obsolète et restrictive quant aux droits d'exploitation des populations. A cela s'ajoute le problème de la délimitation forestière telle qu'elle est conçue présentement. Certains habitants ont le sentiment qu'il s'agit d'un bien qu'on leur a spolié. Pour mettre fin à ce préjugé, il faut que les populations exploitent pleinement leurs droits sur l'arganeraie, dans la limite bien sûr du rationnel, afin qu'elles se rendent compte de son importance économique et sociale. Une fois cette réconciliation établie, les populations agiront vraiment dans le sens de la protection des arganeraies comme une ressource de vie. On gagnera énormément quand l'arganier jouera pleinement son rôle environnemental et écologique.

On assiste aujourd'hui à un engouement effréné, au niveau international, pour l'huile d'argan. Sauf que cela a fait tellement exploser les cours de cet oléagineux que nous Marocains, nous payons désormais très cher. N'est-ce pas aberrant ?

C'est une question pertinente que vous avez soulevée. C'est vrai que les prix de l'huile d'argan ont flambé. Au niveau du marché local, le litre coûte de 300 à 350 DH. A l'étranger, c'est de 200 euros qu'il peut s'agir. Mais, cela, nous incite à nous poser une autre question: Est-ce que cet argent-là va réellement vers les femmes et les  vrais producteurs ? Je pense que non ! Le marché de cette huile regorge d'intermédiaires peu scrupuleux qui s'enrichissent sur le dos des pauvres femmes tout en leur parlant de commerce équitable, solidaire…. Toutefois, rien de tel n'est vrai. C'est honteux ! L'amélioration de la situation des femmes productrices, souvent présentée comme induite par ce commerce, est un leurre qui cache des visées mercantiles.  Le marché des produits de l'arganier doit donc être encadré et structuré de manière à ce qu'il soit assujetti aux principes actuellement en vogue et qui prônent l'équité et les valeurs de solidarité. 


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