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«Pour la première fois, la totalité des espaces de l’IMA se trouve
investie par un projet unique, de l’auditorium
à la terrasse, en passant par tous les espaces d’exposition
et en commençant par le parvis sur lequel sera implantée une somptueuse tente
du sud marocain».
«Pour permettre au public de retrouver quelque chose de
l’ambiance et du climat dans lesquels viennent à éclore les courants artistiques
et les œuvres qui font la spécificité de la création marocaine contemporaine,
aucun cloisonnement ne doit venir confiner ceux-ci dans une
intimité particulière. Le public pourra parcourir toute
la manifestation sans sentir les différences habituelles entre
tradition et modernité ou encore entre l’art contemporain et les autres expressions».
« Ainsi percevra-t-il cette volonté de renouveau qui traverse actuellement le Maroc. Ne seront exposés que des artistes vivants
et ne seront présentées que des expressions artistiques innovantes».
«La même cohérence traverse toute la manifestation : des arts visuels au design, de l’architecture aux arts populaires
et à l’artisanat, de la musique à la danse et au cinéma, de la littérature au débat d’idées, en passant par la mode… ».Dans cet
entretien, Jean Hubert Martin, commissaire de cette exposition, nous parle du «Maroc contemporain»
à l’IMA du 15 octobre 2014 au 25 janvier 2015.
Libération : Quand le président de l’Institut du monde arabe, Jack Lang, vous a choisi comme commissaire de l’exposition, est-ce que cette mission a été facile pour vous? Avez-vous des connaissances sur la scène artistique et culturelle marocaine, ou était-ce une aventure pour vous ?
Jean Hubert Martin : Je connaissais déjà le Maroc. J’y étais allé plusieurs fois. Je connais certains artistes marocains, ceux qu’on appelle les pionniers. Je connaissais un peu ce qui se passait. J’ai fait une exposition en 2005-2006, qui s’appelait AfriqueArt. C’était une exposition sur l’art africain contemporain qui comprenait le Maroc, où il y avait Berrada, Mohamed El Baz et d’autres.
Votre regard a-t-il changé sur les arts au Maroc puisque vous êtes depuis quelques mois sur le terrain pour préparer cette exposition ?
J’ai découvert un monde artistique beaucoup plus vaste et complexe que je ne l’imaginais.
J’avais une vision qu’on a de l’extérieur à travers les galeries ou les réseaux internationaux. Il y a des artistes qui ont une notoriété ici et qu’on connaît mal à l’étranger et des artistes qui n’ont pas de notoriété du tout et qu’il faut aller chercher.
Que manque-t-il au Maroc pour que ces artistes prennent leur place au niveau international ?
Ils la prennent, ceux qui sont connus dans le réseau et ceux qui ont un pied au Maroc et un autre en Europe. Mais ces derniers temps, les Emirats ont joué un grand rôle : le musée de Doha et Art Dubai où ces artistes ont été relayés comme certains opérateurs d’art et de critique sont partis là-bas, ce qui leur a donné de la visibilité. C’est bon parce que cela les sort de nos vieilles relations France-Maroc et du côté francophone.
Comment le Maroc pourra-t-il les rendre plus visibles ? Un festival, des galeries ou des scènes qui présentent les arts, des critiques ?
Il manque véritablement au Maroc un soutien des pouvoirs publics. On est obligé de dire que la plupart de ces artistes ont au début présenté leur première exposition à travers les Instituts français qui ont joué ce rôle de soutien. On se demande pourquoi le Maroc ne crée pas un réseau de centres d’art pour jouer ce rôle-là. C’est très bien qu’il y ait des galeries, des marchés et des collectionneurs mais le pouvoir public doit apporter son soutien.
A part les arts plastiques, lors de cet événement exceptionnel sur le Maroc à l’Institut du monde arabe, que proposez-vous au public comme pratiques culturelles qui viennent du Maroc ?
Il y aura différentes sortes de manifestations, c’est moins mon domaine. C’est Mohamed Metalsi qui s’occupe de cela, il y aura beaucoup de concerts, avec un spectre très large qui vient de la musique andalouse et traditionnelle jusqu’aux pratiques musicales des jeunes comme le rap qui est la chanson engagée aujourd’hui. Il y aura la danse, des chorégraphes extraordinaires au Maroc, et le cinéma.
Le théâtre a-t-il été oublié?
On en discute mais il n’y a pas grand-chose pour le moment. Il y en aura peut-être… on aura aussi les acrobates deSalé qui vont participer. En plus de cela, il y aura toute sorte de débats sur la littérature et d’autres sujets avec des intellectuels marocains et des écrivains.
Avez-vous trouvé ce qu’il faut pour animer l’Institut du monde arabe pendant ces 4 mois sur le Maroc ?
Il y a ce qu’il faut, c’est un pays très riche ; ce n’est pas vous qui allez me contredire. Je crois qu’il y a de la matière pour animer toute cette période.
Le public de l’IMA est composé de Parisiens et d’intellectuels arabes. Avez-vous pensé au public des banlieues et des jeunes en général pour drainer un autre public qui n’a pas l’habitude de venir à l’Institut ?
C’est exactement l’objectif de Jack Lang qui est d’ouvrir l’Institut du monde arabe à ce nouveau public qui vient des banlieues. Ce ne sera pas facile, on ne le fait pas venir comme cela. On s’occupe de communiquer sur les réseaux sociaux. Il y a des chanteurs de Casablanca qui sont invités et ont un grand public dans les banlieues parisiennes et on compte sur ces groupes de gens. C’est vrai que l’IMA s’est replié sur des activités plutôt professionnelles et un public qui est là mais vieillissant. Il faut alors rajeunir.
Vous êtes connu pour votre ouverture sur les «autres arts», ce qui n’était pas la ligne de la majorité des conservateurs de Musées en France. L’ouverture du Louvre par exemple sur certains arts a demandé l’autorité du chef de l’Etat de l’époque, Jacques Chirac. La situation a-t-elle changé aujourd’hui en France ?
On a cru qu’il y avait sans doute une espèce de fronde de la part des conservateurs qui refusaient que ça vienne des éléments assez complexes. Les médias ont traité cela de manière assez manichéenne. On a dit qu’ils étaient opposés à cet art non européen et aux sociétés sans écriture. Mais ce n’est pas aussi simple que ça. Le Louvre n’est pas comme le Métropolitain Museum de New York qui a été créé de toutes pièces au XIXème siècle. Le Louvre n’est pas un musée totalement universel. Il n’y a pas tout dans ce musée : les arts asiatiques sont au Musée Guimet ; les arts Muramur aux Invalides, les arts du XIXème siècle au Musée d’Orsay. Ils avaient envie de se garder des espaces pour eux. C’étaient aussi des calculs extrêmement pragmatiques. Au moment où il y avait toutes ces discussions autour de la conception du Musée du Quai Branly, j’étais directeur du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie. J’ai acquis pour une somme très importante une collection d’art du Nigeria, qui était importante pour ce musée, constituée d’œuvres venant des ex-colonies françaises, d’Afrique francophone et évidemment le Nigeria n’en faisait pas partie. On a donc créé une collection d’environ 200 œuvres du Nigeria et ça a coûté très cher. On était dans un système où en tant que directeur, je devais plaider auprès de mes collègues et avoir un vote de leur part pour prendre cette enveloppe sur le budget général des Musées nationaux et j’ai eu un accord à l’unanimité pour acquérir ces œuvres, ce qui prouve que mes collègues n’étaient pas contre ces arts-là.
Ce qui était dit à l’époque de l’intervention de Chirac n’est pas vrai ?
C’est vrai que Chirac a dû leur forcer un peu la main. Mais c’est pour d’autres raisons qu’ils ont préféré garder de l’espace dans leur musée.
C’était incontestablement de la part de Chirac un acte politique fort. On pouvait aussi se demander si on doit ouvrir le musée du Quai Branly alors que les chefs-d’œuvre sont ailleurs. C’était paradoxal. Il y avait des éléments un peu complexes dans la discussion qu’on a un peu oubliés.