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Voilà un sujet dont il est rarement question, et qui aurait fait hausser un sourcil interrogateur à l’auteur lui-même voici quelques années. C’est en effet en entendant mentionner l’existence de punks marocains que Mark LeVine, professeur de sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient mais aussi guitariste ayant joué, entre autres, avec Mick Jagger et le légendaire Dr John, a décidé de commencer ce séjour à travers le Moyen-Orient, à la recherche des fans de metal, de hard rock et de hip-hop qui trouvent dans ces musiques un moyen d’échapper à des sociétés de plus en plus répressives et bloquées. Son itinéraire le conduit du Maroc au Pakistan, en passant par l’Egypte, Israël, la Palestine, le Liban, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et Dubaï.
Rock in Peshawar
Mark LeVine ne se contente pas d’interviewer les fans et musiciens : il jamme avec eux, participant à des festivals rassemblant des milliers de spectateurs comme le Dubai Desert Festival. Ce faisant, il découvre un univers insoupçonné de metalheads, rockers, rappeurs jusque dans des endroits aussi inattendus que Peshawar, à la frontière de la zone tribale du Pakistan.
Son séjour au Maroc lui permet ainsi de découvrir une scène métal bien vivante, représentée annuellement par le Festival l’Boulevard des jeunes musiciens. Il explore les liens complexes entre groupes de métal – ou de hip-hop – d’une part, activistes islamistes de l’autre, s’efforçant de comprendre comment peuvent s’articuler ces deux types de contestation, l’une implicite, l’autre explicite.
Il aborde également la relation ambiguë qu'entretient cette jeunesse avec la mondialisation – le metal local trouve en effet des racines dans la musique traditionnelle, comme le montrent les exemples des Marocains Hoba Hoba Spirit ou du supergroupe pakistanais Junoon. Confrontés d’une part à l’ordre moral islamique, de l’autre à une standardisation mondialisante de la pop music, représentée aussi bien par MTV que par ses équivalents moyen-orientaux, comme la chaîne Rotana, ces scènes locales et bien vivantes luttent pour trouver un espace d’expression propre.
L’évolution du Festival l’Boulevard des jeunes musiciens est à cet égard tout à fait caractéristique : en dépit des menaces de censure de la part du pouvoir, le festival, au départ gratuit, était parvenu à attirer un public issu des quartiers les plus défavorisés de la ville. Puis les sponsors sont venus, et avec eux un esprit différent – et une augmentation des tarifs.
Le mouvement metal est également menacé de perdre son âme par la cooptation, qui permet de faire passer des musiciens contestataires dans le giron de l’Etat. L’histoire des musiciens que rencontre Mark LeVine est donc celle d’une lutte constante pour simplement exister. Certains font passer un message politique, d’autres se déclarent ouvertement apolitiques même si la nature même de leur activité, voire leur tenue, est susceptible de leur attirer des ennuis.
Dans ces réseaux très informels, Internet joue un rôle capital : sous des régimes éminemment répressifs, il permet d’avoir un temps d’avance sur la police. Ainsi, les rappeurs rencontrés à Téhéran se retrouvent pour des joutes nocturnes dans les parcs de la ville grâce à des rendez-vous fixés sur des sites dédiés à leur activité. Le rappeur semi-clandestin Hichkas ("personne" en persan) s’est constitué un public conséquent grâce aux réseaux internet. Mark LeVine décrit au fil des pages une jeunesse à la fois fidèle à sa culture – musicien expérimenté, il décrit les adaptations du metal aux différentes traditions nationales – et extrêmement "mondialisée".
A travers cette galerie de portraits extrêmement empathiques, Mark LeVine exprime la conviction qu’une jeunesse étrangère à la fois aux séductions du radicalisme et à "l’occidentalite" utilise la musique – en l’espèce, le heavy metal ou le hip hop – pour construire des ponts et créer un espace échappant à la malédiction économique, sociale et culturelle qui semble frapper les pays musulmans…Reste que ce titre quelque peu baroque cache un ouvrage tout à fait sérieux, instructif et enthousiaste.