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Entretien avec le critique d’art et peintre Abderrahman Benhamza

«L’art au Maroc s’épanouit de façon spectaculaire»


Propos recueillis par ABDELLAH CHEIKH
Vendredi 29 Mai 2009

Entretien avec le critique d’art et peintre Abderrahman Benhamza
Abderrahman Benhamza,  poète, critique d’art  et  auteur de plusieurs recueils de poèmes et  écrits
littéraires dont le dernier est  «Poètes en français, anthologie poétique affective»
(éd Le Vieux Logis, Angers) n’en finit pas de grimper les échelons avec certitude et un sens profond de modestie. Actuellement,  il prépare  à Casablanca sa première  exposition pour nous faire  découvrir   son  langage plastique si original, qui  oscille entre  le   graphisme gestuel  et la géométrie  formelle.

Libé : Depuis le temps que  vous pratiquez l’acte pictural, comment s’opère chez  vous  le passage de l’écriture à la peinture?

Benhamza :      Je pourrais dire qu’au fond,  je n’ai jamais vraiment quitté l’écriture, en l’occurrence littéraire ou journalistique, puisque l’exercice pictural en est à mon avis une des formes : ici graphique, chromatique, photographique (au sens de lumière), sémiologique, etc. Plutôt, je change d’instrument de travail au sens matériel du terme, de la nature des contraintes et des dispositions qui restent propres à cet instrument.
Autrement, il y a régularité au niveau de mes investigations sensitives et un dialogue indifférencié avec le réel, le vécu, l’imaginaire, à des fins d’échange, de connaissance et d’imprégnation. S’occuper en même temps de poésie ne me semble guère avoir quelque chose d’extraordinaire, à moins de transposer la question sur le plan esthétique, du contenu, à savoir le comment, voire à la rigueur le pourquoi autobiographique de la chose. Enfin, je crois ne pas être le seul à mener cette activité bicéphale. Il y a eu par exemple feu Kamal Zebdi, feu Mohamed Kacimi, qui étaient aussi des poètes ; il y a Mahi Binebine, qui est romancier. En France il y a eu Jean Cocteau, Pierre Klossowski, et certainement d’autres que je ne connais pas.

Parlez-nous un peu de  votre  travail plastique qui oscille entre l’abstraction et l’art naïf .

C’est vrai que j’ai l’habitude de parler volontiers  du travail des autres artistes. Je voudrais par conséquent laisser l’appréciation du mien au public ; mais un petit mot là-dessus ne serait pas de trop. J’ai plaisir à utiliser presque tout le spectre chromatique ; je veille à l’aération de l’espace (c’est un trait de caractère). J’utilise aussi un graphisme gestuel, une géométrie à caractère souvent floral, la courbe, des personnages mais très peu, celui de la femme généralement. Les œuvres restent d’inspiration paysagiste dans le fond, avec une tendance à l’horizontalité, etc.

Quel rapport y a-t-il entre peinture et poésie?

Beaucoup de livres ont été écrits à ce sujet. Je réponds en reprenant tout simplement la phrase de Juan Miro : «C’est la même chose». Et pour être un peu pédant, je rappellerai que la plupart des courants ou écoles, sinon mouvements artistiques du 19ème et du 20ème  notamment ont été sinon inventés du moins baptisés par des poètes : le romantisme de Delacroix est d’inspiration proprement hugolienne, le symbolisme a été défini au départ par Jean Moréas, le cubisme a été largement commenté et soutenu par Apollinaire, l’expressionnisme a débuté en littérature en Allemagne avant que l’art ne s’en approprie les structures et la dimension tragique. En fait, tous les courants se valent, restent la conséquence sublimée et le reflet plus ou moins exact de leurs époques (guerres, révolutions, crises sociales …), et en même temps ils n’ont aucune importance. L’intérêt essentiel que je leur trouve réside dans cette qualité de recherche qui étonne toujours, surtout dans ce sens de la profondeur qui fait leur vérité historique.

  En tant que critique d’art, comment  vous voyez  le paysage plastique marocain?

  Au Maroc, les arts plastiques présentent aujourd’hui (cela dit par métaphore) une image sociale des plus prospères. Sans doute, parce qu’ils sont directement liés au marché, à ses règles transactionnelles ; donc, ils relèvent de ce point de vue du domaine de l’économie, une économie de la promotion. On parle à raison d’ailleurs à ce sujet de cote, de publicité, de bourse : un langage qui a trait à l’argent. En Occident, cela a toujours été le cas, avec moins de prétentions et plus de visibilité. Au Maroc, avec l’arrivée sur la place des maisons de ventes aux enchères, on est en passe d’installer une véritable infrastructure administrative et commerciale, avec ses enseignes et ses réseaux, chose qui donnera plus de crédit à la nature des rapports art-marché. Cet intérêt, on ne le trouve pas avec la même densité dans le domaine du livre ou du théâtre, par exemple !

Peut-on parler de l’existence d’une rupture symbolique entre les anciennes générations d’artistes et les nouvelles, en matière de création ?

 Dans cet ordre de réflexion, l’art au Maroc s’épanouit donc de façon spectaculaire, et, par le fait, arrivent à faire parler d’eux, de nouveaux artistes (hommes et femmes nés pour la plupart autour des années 70 du siècle dernier) qui ont vraiment quelque chose à dire.
La chance pour l’artiste marocain,  toutes générations confondues (cela dit sans ironie), et aujourd’hui plus que jamais, c’est qu’il n’y a plus d’avant-garde à l’échelle mondiale, dont on puisse se réclamer, donc plus de revendications groupales, plus de risque de vedettariat par voie de conséquence! Chaque créateur y va de ses propres moyens matériels et relationnels, de sa propre sensibilité. Au Maroc, on bénéficie donc de tous les «styles» d’ici et d’ailleurs, et il y en a qui s’aventurent maintenant sur d’autres terrains encore en pleine période d’exploration, vers lesquels attirent les sirènes de l’art digital, le mec’art, et d’autres célébrations artistiques liées au plan de la forme, surtout à la technologie virtuelle. C’est chez ces gens-là, je crois que s’opère une rupture par rapport à ce que je qualifierais être globalement de l’art visuel traditionnel (huile, gouache, acrylique, etc. y compris le support) pratiqué jusque-là par la génération des années 60/70. Vu que la conception et la pratique de l’image ont subi une profonde mutation, vu les impératifs d’une mondialisation en marche, nos jeunes artistes s’inscrivent allègrement dans de nouvelles conjonctures socio-artistiques et font certainement de belles choses. On pourrait avancer que ce qu’ils font reste quand même facile, très facile, à la portée de tous ; que ce qu’ils font est enfin du n’importe quoi. Mais une telle remarque a déjà été faite à propos des installations, des happenings, des performances, voire de la vidéo. On oublie trop souvent que l’art en soi est quelque chose d’indéfinissable et que beaucoup le confondent avec la technique. Peut-on définir la vie ? la mort ? Justement donc, les nouvelles technologies sont là, qui permettent à de nouvelles sensibilités artistiques de s’aventurer, d’aller de l’avant, avec pour seul credo le « sentiment » de la création, favorisant de nouvelles expressions dont le fin mot demeure la réalisation d’un désir, celui de cette même expression toute humaine, capable de nommer autrement les choses, d’agir différemment sur le réel, qui est toujours à réinventer. Hegel, philhellène, disait que l’art est quelque chose du passé. Comme si l’avenir n’existait pas et partant celui de l’art!



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