Entretien avec l'intellectuel allemand le Dr. Rainer Funk : Israël veut priver les Palestiniens de toute résistance


Propos recueillis par Hamid Lechhab
Samedi 24 Janvier 2009

Entretien avec l'intellectuel allemand le Dr. Rainer Funk : Israël veut priver les Palestiniens de toute résistance
Funk est connu
au Maroc à travers
plusieurs
manifestations
culturelles organisées à Rabat et à Fès. Il était le coorganisateur d’une grande
conférence à Fès
en avril 2007 autour du thème:“Humanisme et dialogue des
cultures. Erich Fromm comme exemple“.
Sa position sur
la crise palestinienne actuelle lui vaut
une reconnaissance spéciale.

Libé: L’armée israélienne a bombardé 23 jours durant des positions de Hamas à Gaza et tué des civils, des enfants, des femmes et des personnes âgées. N’y a-t-il plus de devoir moral quand il s’agit de vouloir « éradiquer l’ennemi » ?

Dr. Rainer Funk: Il y a plusieurs réponses à cette question, notamment pourquoi le gouvernement israélien a choisi ce moment pour essayer de finir avec toute résistance dans la Bande de Gaza. Les Palestiniens des territoires nord ne sont plus une menace pour Israël, l’administration Bush a cautionné cette guerre, au moment où il semble que la nouvelle administration Obama ne va plus continuer sur cette ligne et il y aura des élections en Israël. On veut donc se présenter vainqueur.

Pourquoi Israël ne respecte-t-il pas les conventions de l’ONU, et pourquoi l’Etat hébreu réagit comme s’il avait seul le droit de vivre sur la terre palestinienne?  

La réponse la plus simple, la plus convaincante et la plus connue réside dans le fait que l’administration américaine soutient sans conditions l’agression israélienne, parce qu’Israël est son partenaire stratégique fiable  et que les Américains ont fait du terrorisme une idéologie de l’Etat. Israël peut agir ainsi, car il est cautionné par les Etats-Unis.

Les pays européens investissent beaucoup dans la reconstruction de la Palestine et la machine guerrière israélienne détruit tout. Les Européens peuvent-ils continuer à supporter passivement ce désastre ?

L’Allemagne a joué certainement un grand rôle dans cette situation. Les nazis ont essayé d’éradiquer les juifs de la terre et tué effectivement un grand nombre d’entre eux. C’est pourquoi les juifs ont voulu s’organiser dans un Etat indépendant pour mieux se protéger de l’antisémite et du génocide. C’est évident que la politique allemande ne veut pas s’opposer à Israël, par sentiment profond de culpabilité envers les juifs. D'où l'hésitation européenne qui a quelque chose à avoir avec l’attitude de l’Allemagne.

 Le rapport de forces sur le plan militaire est inégal. Quelle solution raisonnable pour mettre fin à cette guerre ?  

L’argumentation officielle d’Israël consiste dans le fait de prétendre vouloir protéger sa population des attaques par roquettes provenant de la Bande de Gaza. Cette argumentation ne tient pas debout, vu le potentiel de destruction d’Israël et sa suprématie par comparaison aux Palestiniens. Il est aussi une rationalisation du souhait d’éliminer totalement Hamas. La politique israélienne sur place montre cela suffisamment : Il s’agit, comme l’a bien dit le ministre israélien de la Guerre, de finir par la force avec la partie palestinienne qui résiste et se défend. Il s’agit de vouloir priver les Palestiniens de toute résistance. C’est aussi le discours de tous les politiciens européens quand  ils disent que la condition pour la fin de la guerre, c’est de stopper à la frontière égyptienne le passage des armes destinées à Hamas. Mais, essayer de désarmer l’ennemi n’a jamais conduit à une solution, sinon à un génocide comme c'est le cas lors de la dernière guerre. Les Israéliens feront avec les Palestiniens exactement ce que les Allemands ont fait avec les juifs. On crée une situation de désespoir et d’actions terroristes. Dans tous les cas, cette guerre est contre-productive.

Beaucoup d'observateurs prétendent qu’Israël est le bras des Américains au Moyen Orient. Pouvons-nous voir en cela la décadence de la culture occidentale, quand le plus fort regarde comment on tue le plus faible ? 

Je ne suis pas sûr. C’est plutôt une situation sadique typique, comme on peut l’observer chez la majorité des forts sur cette terre. Ce sadisme se joue publiquement à tel point qu’Israël a perdu toute crédibilité chez tous les gens (en Occident et en Orient) qui ont encore un sentiment moral et un sens de la justice. Il y a de plus en plus de gens qui n’ont certainement aucun sentiment antisémite, mais qui voient mal la politique israélienne.

 A l’exception de l’Iran et de la Syrie, presque tous les autres gouvernements musulmans et arabes sont pro-américains et pro-occidentaux. Pourquoi les gouvernements occidentaux essaient-ils de persuader leurs peuples que le danger vient des pays musulmans ? Peut-on accepter cela moralement ?  

Que le monde musulman soit devenu le nouvel ennemi de l’Occident, cela a une relation avec la nécessité d’avoir l’image d’un ennemi et le besoin de légitimer son comportement de ravisseur. On peut bien argumenter  ce problème : après la destruction de l’ex-Union Soviétique, l’image du communisme comme ennemi a disparu et les Américains ont fabriqué l’image de l’islam ennemi et un danger pour le  monde. Avec le terrorisme, encouragé par l’islamisme et en particulier après les événements du 11 septembre 2001, on a eu la certitude de ne pas s’être trompé d’ennemi. Huit ans de gouvernement de G.W. Bush ont suffi pour ancrer tout cela comme idéologie des Etats en Occident, qui ont besoin pour survivre des « Etats sataniques » et de l’« axe du mal ».

Les pacifistes se trouvent dans les deux camps. Comment peut-on renforcer ce courant pour favoriser une solution pacifique durable dans la région ?

L’agression a toujours engendré une contre-violence. La situation devient dangereuse quand la politique n’est pas prête de choisir d’autres chemins. Et c’est évidemment le grand reproche qu’on fait à l’Etat israélien. On n’a pas besoin obligatoirement du pacifisme pour arriver à une meilleure solution. Le premier pas pour un désarmement (un cessez-le-feu), c’est de reconnaître que toute image de l’ennemi a pour fonction de ne pas reconnaître sa propre agression. Cela est valable pour tout le monde. Avec l’image de l’ennemi, on nie à l’autre sa dignité et son honneur. On ne veut pas voir que « l’ennemi » aime, a des enfants, des valeurs, qu’il est vulnérable et veut œuvrer d’une manière constructive.

Il y a beaucoup d'initiatives et d’initiateurs de passerelles entre les cultures. Que peuvent-ils faire ensemble pour participer à l’établissement de la paix au Moyen-Orient ?

On doit d’abord finir de considérer une culture meilleure que l’autre. Ceci n’est qu’une autre manière de percevoir l’image de l’ennemi et une autre de soi. Si on passe à ce stade, il faut donc épuiser toutes les possibilités de dialogue. En ce qui concerne le problème du Moyen-Orient, il faut fixer comme objectif la survie d’Israël et de la Palestine. Derrière ce conflit se cache en vérité un conflit entre le monde occidental chrétien et les cultures musulmanes, quoique  les racines de ce conflit n’aient rien à voir avec la différence culturelle en premier lieu, mais le besoin d’avoir des images de l’ennemi. Les racines  peuvent se dissimuler dans l’inconscient occidental, qui voit que la fin de sa domination approche et qu’on essaie de combattre cet inconscient avec tous les moyens possibles.

Le penseur et psychanalyste allemand Erich Fromm était lui-même juif et il n’avait jamais été d’accord avec la politique mortifère d’Israël. Pourriez-vous résumer en quelques mots sa position concernant ce problème ?

L’idée fondatrice d’Erich Fromm était dès 1948 la suivante : « Il n’y aura de solution constructive que quand elle sera fondée sur le bien-être et la coopération entre les juifs et les Arabes en Palestine ». Il a proposé concrètement une coexistence entre les deux selon le modèle cantonal suisse, ce qui veut dire que chaque peuple jouira d’une grande autonomie. Fromm s’est engagé toute sa vie pour le droit et l’existence des Arabes  en Palestine.

Que peuvent faire les gens qui entretiennent et développent l’héritage d’Erich Fromm pour faire entendre sa voix et proposer des solutions humaines pour ce problème ?

La grande idée d’Erich Fromm réside dans le fait que l’humanisme a quelque chose qui lie les gens, parce que tous les êtres humains, sans exception, ont les mêmes questions, problèmes, espoirs, souhaits, etc. et quoique les réponses à ces questions se distinguent d’une culture à l’autre, leur fond reste le même chez tout le monde et les désirs d’humanisme, de solidarité, de justice, de dignité et d’amour sont dans la nature de l’homme, plus encore la possibilité de les vivre. Donc ces perspectives des humanistes devraient être le point de départ pour résoudre les conflits et les problèmes en suspens. On doit aussi se persuader que les grandes organisations comme l’ONU n’abandonnent pas ces perspectives.

o Repères
 
L’Allemand Rainer Funk est l’un des intellectuels occidentaux qui œuvrent pour la paix, le dialogue des cultures et la coopération juste et équitable entre les nations. Il est l’héritier légal de l’œuvre complète d’un autre grand humaniste allemand, Erich Fromm. Il est également président de l’Association internationale Erich Fromm, qui compte plus de 10.000 adhérents dans le monde entier. Une ONG qui a pour but essentiel de propager l’idée de l’humanisme et de la possibilité de vivre ensemble sur cette terre qui appartient à tous.  



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